C’est beau, une garde, la nuit…
9 septembre, 2007
Aaaah, les nuits de garde aux urgences…
Horloge, salle d’attente, patients, patients, patients. Sonnerie du bip. Téléphone, radio, stéthoscope, horloge, scalpel, patients, kit de suture, patients, horloge, encore.
Du grave, du sordide, du pas grave, de la piqûre de moustique, du touchant, du touché, du drôle.
Les anxieux, les trop, les pas assez. Les mères angoissées, les fils effondrés, les gentilles hystériques, les agressifs.
Ils sont tous différents. Ils se ressemblent tous.
Et, sur le coup de trois heures du matin, quand on entame sa dix-septième heure de boulot d’affilée, quand la patience et l’indulgence dont on s’est si souvent gargarisé ont une fâcheuse tendance à s’effilocher doucement, on essaie, malgré tout, de garder certaines phrases au fond de la gorge. En priant très fort pour qu’une nuit elles ne nous échappent pas…
– À celui qui est venu réclamer sa radio de genou, là ce soir, à 22h30, pour une douleur qu’il traîne depuis deux semaines et pour laquelle il a, au fond de sa poche, une ordonnance de son médecin traitant pour une radio en ville le lendemain après-midi, quand il vous toise de tous ses centimètres et qu’il dit : « Mais demain je travaille, moi, monsieur !! »
(Ah ? Parce que moi demain, j’me branle, connard…)
– Au type avec sa croix gammée sur l’épaule, dont vous essayez tant bien que mal de recoudre l’arcade, pendant qu’il vous vomit consciencieusement dessus avant de se mettre à hurler que vous avez intérêt à le lâcher tout de suite, parce que c’est pas aujourd’hui qu’il va se laisser emmerder, et qu’on est en démocratie et qu’il peut encore choisir qui va le soigner, et que ce sera certainement pas une gonzesse de ses deux…
(Aaaaah, bah vous voyez bien qu’on va finir par s’entendre, monsieur, figurez-vous que moi, je ne soigne pas les gros cons…)
– À la gentille petite dame qui ne sait rien de ses antécédents parce que c’est sa fille qui s’occupe d’elle, mais qui est sûre de prendre tous les matins « Le cachet, là, docteur, tout blanc, avec une boîte blanche et verte…. »
(Ah oui, je vois ! C’est le cachet pour la maladie, là, avec les symptômes ?)
– À celle qui arrive pour une « boule sous le bras » qu’elle a depuis un mois et demi, quand on lui demande pourquoi elle se décide à consulter, précisément cette nuit, à 2h30 du matin, et qu’elle vous répond : « J’ai une amie cet après-midi qui m’a dit que ça pouvait être un cancer, alors forcément vous comprenez je m’inquiète, vous pouvez bien me faire une écho vite fait ? Dites d’ailleurs, ça va prendre encore longtemps ? Parce que je suis dans la salle d’attente depuis au moins trois quart d’heure…»
(Un petit moment, oui… Surtout en comptant le scann pour votre cancer du cerveau…)
– Au dixième de la journée qui dit « J’ai tombé, docteur…. »
(Ah… ? Et vous avez fait mal ?)
– Au type qui vient à quatre heures du matin pour avoir des antalgiques, pour sa douleur abdo qui refuse de passer malgré sa séance d’acupuncture de l’après-midi, quand il ajoute en levant les yeux au ciel : « Et pour que je vienne dans un hôpital, c’est vraiment que j’ai mal, parce que de toute façon, moi, la médecine traditionnelle, ça me fait vomir… »
(Ah ? Et les coups de pied au cul, ça te fait vomir, aussi? Parce que tu peux toujours essayer d’aller réveiller ton acupuncteur, juste pour voir…)
– À tous ceux qui sont scandalisés d’avoir attendu une heure, ou deux, ou trois, dans la salle d’attente, quand ils s’exclament : « Mais c’est un service d’urgences, quand même ! »
(Oui garçon. Et tu seras gentil de me laisser décider de ce qui est une urgence. Sinon, va l’apprendre et reviens dans 10 ans. Moi, j’ai tout mon temps. )
– À tous ceux qui vous répondent « Oh, un moment » quand on leur demande depuis combien de temps ça dure…
(Ok, j’ai mon diagnostic. Il est presque certain que vous avez une maladie)
– À celui qui refuse catégoriquement de passer son scanner, parce qu’il veut une IRM, et qui finit par dire « Mais enfin Madame, le client est roi !»
(Joker)
Que celui qui n’en a jamais pensé une jette la première pierre…
15 novembre, 2007 à 13 h 07 min
J’ai ri, j’ai eu les larmes aux yeux, je me suis senti si proche de vous que c’en est presque une honte, j’ai aimé sincèrement ce que vous êtes. C’est beau. Vous écrivez magnifiquement. Vos patients d’aujourd’hui et ceux de demain ont une chance extraordinaire. Merci d’exister dans ce monde de brutes.
Jacques Rouillier
Généraliste installé depuis 3 ans
Co-auteur avec Franck Garden-Brèche du livre « Etats d’Urgence » qui raconte un peu des choses comme les vôtres, en moins bien. ;-)
15 novembre, 2007 à 23 h 14 min
Merci beaucoup. Vraiment.
J’ai longuement hésité à faire ce blog, et vos encouragements (pour le moins élogieux !) me vont droit au coeur.
Enfin, pas tout à fait « droit au coeur » : après un large détour par mes joues qui rougissent et mes chevilles qui enflent ;-)
3 décembre, 2008 à 0 h 30 min
(Ah ? Parce que moi demain, j’me branle, connard…)
(Oui garçon. Et tu seras gentil de me laisser décider de ce qui est une urgence. Sinon, va l’apprendre et reviens dans 10 ans. Moi, j’ai tout mon temps. )
Ah ça c’est clair que c’est pas moi que vous la jetterai, la pierre ! :D
(Ca fait du bien de plonger dans les profondeurs de ce blog !)
13 août, 2009 à 23 h 31 min
c’est incroyable!!j’en reviens toujours pas!!vous etes vraiment « au top » pour raconter avec les mots exacts ce que l’on peu ressentir au quotidien.Je suis externe a l’hopital nord a marseille,et on a 17grdes de 24h sur 3mois!et tous les patients que vous decrivez je les ai eu!!Mais bon,ca reste tout de meme le stage le plus formateur de « toute ma carriere d’externe » et le stage ou je me suis sentie le plus utile!
merci pour votre blog(qui m’a ete conseillé par une de mes internes)je me regale!!
19 avril, 2010 à 17 h 54 min
Bon style…
19 mai, 2010 à 20 h 21 min
Bon, ben voilà, j’ai tout lu.
Bravo :)
20 mai, 2010 à 14 h 56 min
externeengynéco Dit:
c’est incroyable!!j’en reviens toujours pas!!vous etes vraiment « au top » pour raconter avec les mots exacts ce que l’on peu ressentir au quotidien.
– C’est pour ça que son blog se développe de + en +
Je suis externe a l’hopital nord a marseille,
– Oh, le monde est rikiki ;)
et on a 17grdes de 24h sur 3mois!
– Pas de problème, quand on est interne ici sur Marseille, la périph, les Alpes et la Corse, c’est pire !!!
et tous les patients que vous decrivez je les ai eu!!
– oh que Oui !
merci pour votre blog(qui m’a ete conseillé par une de mes internes)je me regale!!
– Oui, merci, merci,merci :D
24 juillet, 2011 à 7 h 44 min
Je prends plaisir à vous lire avant d’aller en garde!C’est exactement ça.Je parle pour moi: je me reconnais dans ce post!Maintenant je n’hésites plus à dire « et votre médecin tt il n’est pas?,parce que ça n’a rien d’urgences d’avoir mal au genou depuis un mois! » Un grand merci de me faire déculpabiliser de perdre patience parfois!
2 août, 2011 à 16 h 28 min
Je n’ai pas encore lu tout le blog (me reste tout 2007), mais autant j’ai adoré la quasi-totalité de ce que j’y lis, autant là, je grince des dents.
Certes, j’ai conscience qu’il y a une différence entre une « vraie » urgence et une « urgence du point de vue du patient », mais j’ai toujours en travers de la gorge mon dernier passage aux Urgences (de jour), où je suis arrivée avec des douleurs dorsales carabinées (suite à une scoliose, qui ne m’a été diagnostiquée que des mois plus tard par la kiné), et on m’a fait patienter CINQ (5) HEURES avant de s’occuper de moi (et de me donner des anti-douleurs).
Je sais bien que mes jours n’étaient pas en danger, mais là, un an après, je l’ai encore mauvaise d’avoir été ignorée (même pas un « on est désolés on a des urgences plus urgentes », même pas un regard, même pas un verre d’eau – en cinq heures, hein, au mois de juillet) avec sur les murs des panneaux dans le style « ici on laisse pas les patients souffrir ».
Mais bon, je peux pardonner cette entrée du blog (:p), ayant bien apprécié les autres ^^
3 août, 2011 à 0 h 41 min
Ce qui est absolument fascinant avec le monde médical, c’est cette espèce de relation d’amour-haine qui existe entre les gardes interminables aux urgences avec leur lot de petits et grands malades et les médecins.
On sent un attachement viscéral, comme si passer par là faisant de vous de vrais médecins, vous révélait ; un peu comme d’aller au feu pour un militaire. Le moment qui sépare la bleusaille des vrais.
Et en même temps, la fatigue, les cas improbables, les situations extrêmes… et pour couronner le tout, les mille patients qui ne sont pas vraiment des urgences mais qui font finalement le fond de roulement (parce que s’ils n’y avait que les vraies urgences, elles ne résisteraient pas à une compta analytique et fermeraient de partout au désespoir de la profession et des patients)
Bref, on voudrait réformer ça que je serais prêt à parier qu’il y aurait plus de réticences que de soulagement.
Sinon, aux urgences, le principe effectivement, c’est qu’on attend jusqu’à ce qu’on passe (quand j’y vais, je sais que ce principe est immuable, tant pis si je dois attendre 5h, c’est le jeu)
Nonobstant les réactions fort justes et bien senties, je serais tenté de dire que le monsieur qui vient aux urgences parce qu’il travaille le lendemain n’a peut-être justement pas la possibilité de ne pas aller à son travail. Car il ne se fait pas soigner sur son temps libre… le médecin, lui, soigne sur son temps de travail (même si force est de reconnaître, bien volontiers d’ailleurs, que le temps de travail des médecins est plus élastique qu’un gant en latex !)
6 septembre, 2011 à 16 h 42 min
Allez j’attaque par la début et ça commence fort, je souris, je pense qu’on les as tous eu ces patients là… et pour l’instant, j’ai toujours retenus ces petites phrases au fond de la gorge…
15 novembre, 2011 à 4 h 25 min
Merci pour les rires !
Pas merci pour la presque-nuit blanche à tout lire…
26 janvier, 2012 à 16 h 52 min
Génial! Humain, très humain, véridique, effrayant, drôle, triste, fantastique, comme la Vie elle-même… je suis sous le charme de votre blog! Vos patients ont une chance folle!!! J’ai un médecin de votre style, moi aussi, et je peux vous dire que j’ai pas mal galéré pour la trouver, pour trouver quelqu’un de compétent, de logique, alliant bon sens et humanité, en qui j’ai une confiance absolue et qui veille avec moi, depuis 5 ans, sur ma santé! Merci mille et mille fois d’exister! Et quel chouette talent de conteuse, en plus! Bravo, bravissimo!!!
7 février, 2012 à 0 h 39 min
Je viens de finir de lire tout votre blog, j’en ai fait comme une boulimie et je suis comme une enfant qui a fini le pot de Nutella : frustrée! J’en veux encore!!
Merci pour toutes ces anecdotes, ces histoires, ces portraits de patients, c’est tout ce que j’aime de la médecine…
Voir la personne derrière le tableau clinique, perdre du temps dans des interrogatoires interminables (mais qui font que ton observ est archicomplète et que le patient te fait un clin d’œil le lendemain), demander si je peux palpouiller votre ventre s’il vous plait, sourire, sourire, sourire et c’est déjà le début du traitement :)
Ce sont des internes et des chefs de clinique en MG qui nous ont conseillé votre blog en amphi, lors d’un séminaire sur la MG, heureusement que j’ai eu la bonne idée d’aller jeter un œil pour vérifier…
Continuez surtout, je me suis régalée et reconnue dans quasiment toutes vos aventures en tant qu’externe, j’ai hâte d’être interne pour voir si la suite y ressemble aussi!
7 février, 2012 à 3 h 09 min
Ahhhh les urgences … Une vraie relation sado-maso ! On sait que ça fait mal, mai on y revient encore et toujours …
Les patients qui les fréquentent sont tous les mêmes …
Mais tu n’as donc pas connu Madame Seringue, venue un samedi soir vers 2h « parce que je n’arrivais pas a dormir » …. Bien bien moi non plus je n’y arrivais pas vraiment ça tombe bien « parce qu’un truc me chagrinait dans un coin de ma tête » ahhhh quoi donc ? » alors je suis allée vérifier » Moui, dites-moi tout » mon rappel de DTPolio, c’était hier !!! »
Suivez donc les gentils infirmiers de psychiatrie, vont vous en faire plein, des piqûres ….
6 janvier, 2013 à 16 h 25 min
Je monte au dernier étage et je vais directement à l’emplacement chirurgie dentaire pour récupérer, enfin, le guide clinique d’odontologie, celui que tout le monde a (presque toute la promo, je pense). Je fais demi-tour et m’attarde sur la table placée à l’entrée de la pièce où je suis entré, celle qui regroupe les bouquins de médecine et d’autres professions médicales. Sur cette table, on trouve le manuel du carabin, de magnifiques ouvrages d’anatomie, etc, etc et tiens … « Juste après dresseuse d’ours ». C’est marrant comme nom de bouquin. Je lis le résumé au dos, je l’ouvre et le lis un peu en diagonale. Génial, j’adore, je vais l’utiliser pour entrecouper mes révisions pour l’examen du 1er semestre, ça va me motiver.
Sauf que je suis à presque 4 jours des examens et je l’ai terminé. Je décide donc de m’attaquer au blog. Je l’ouvre, zut, forcément, le dernier post apparait en premier. Je remonte jusqu’au premier. Je vais tous les lire, les commentaires avec. Tiens, c’est marrant, beaucoup l’on lut à l’envers.
En chirdent, on fait une semaine aux urgences à l’hôpital, en fin de D1. Il apparaît clairement que les urgences deviennent la consultation du pauvre (celui qui ne peut pas s’arrêter de travailler pour consulter), du fainéant, du consommateur roi … Mais même en temps que simple observateur, même si la description dans le post est très réaliste, même si c’était dans un petit hôpital, j’ai trouvé ça génial, enrichissant.
J’ai aussi pu remarquer à quel point il pouvait être difficile de joindre un dentiste pour une urgence …
8 octobre, 2013 à 4 h 25 min
[…] Original post […]
27 septembre, 2015 à 11 h 21 min
Salut !
Commençons par le début ;) Et je vois déjà que la petite description en haut de page est plus que vrai. On a du brut, du crus et ce dès le 1er article.
Je crois que je vais passer des heures et des heures sur ce blog qui me semble d’or et déjà génial !!!