DTS
14 février, 2008
Dans plusieurs services où je suis passée, les femmes étaient appelées par leur nom de jeune fille.
Toutes. Jeunes, vieilles, veuves, mariées, démentes, pas démentes.
Sur les étiquettes, sur la chambre, sur les dossiers, partout, le nomdejeunefille. Sauf dans la partie A1 du dossier, en haut à gauche du feuillet bleu des renseigements administratifs.
A force, on finissait par authentiquement oublier que les dames avaient possiblement un autre nom d’usage.
Quand j’ai demandé pourquoi, on m’a répondu que c’était parce que c’était le nom qui sortait en premier dans le dossier informatique, et que d’ailleurs ça permettait d’éviter les confusions si deux dames avaient le même nom d’épouse…. (Ah. Parce que donc, deux dames avec le même nomdejeunefille, ça se peut pas. C’est bon à savoir.)
Bref.
Déjà, il faut bien dire que ça mettait un peu de piment dans la monotonie ambiante. Ca donnait lieu à des situations rigolotes comme tout.
Quand la dame se présentait par son nom, on ne savait plus qui elle était.
Quand quelqu’un nous demandait au téléphone à joindre Mme X, ou à avoir de ses nouvelles, on lui soutenait que « Ah mais non, on n’a aucune Mme X dans notre service, ou alors elle est sortie« , et les gens raccrochaient en se demandant où avait bien pu disparaître leur tante / amie / voisine.
Quand on finissait par réaliser qu’on parlait peut-être seulement deux langues différentes, et qu’on demandait le nom de jeune fille de la personne désirée, et que les gens ne savaient pas, parce que c’était seulement leur voisine, il fallait qu’ils rappellent le standard, pour avoir les admissions, pour demander le nomdejeunefille de madame nomd’épouse et qu’ils rappellent le service après.
C’était rigolo comme tout.
Et ensuite, surtout, c’est le genre de détail idiot que peut-être je dramatise, mais je reste intimement convaincue que c’est foutre un sacré coup de pied au cul de toutes celles qui sont déjà sur la douce pente de la folie.
Les femmes de quatre-vingt-dix ans, en 2007, sont toujours fragiles, souvent un peu démentes, souvent mariées depuis soixante ans, souvent veuves.
Moi, je ne sais pas ce qui se passe dans la tête d’une femme démente, ou d’une pas-encore-tout-à-fait, qui est en train d’hésiter entre récupérer toute sa tête ou se laisser glisser dans l’Alzheimer.
Je sais encore moins ce qui se passe dans sa tête quand elle s’entend appeler par un nom qu’elle n’a pas entendu depuis soixante ans.
Peut-être qu’elle croit qu’elle est sa mère.
Peut-être qu’elle croit qu’elle est sa soeur.
Peut-être qu’elle croit qu’elle a dix ans quand elle a été hospitalisée pour sa tuberculose.
Peut-être qu’elle ne sait plus où elle est, qui elle est et quand on est.
En tout cas, je ne vois pas du tout en quoi ça peut l’aider à se raccrocher à la réalité du ici et du maintenant qui est déjà en train de glisser doucement entre ses doigts.
Il y a quelques années, quand ma grand-mère a failli mourir d’un anévrisme de l’aorte à deux doigts de lâcher, elle s’est réveillée de son opération toute confuse, et on ne savait pas si elle allait récupérer sa tête ou non. Elle entendait des enfants rire dans le couloir, elle se croyait en colonie de vacances (elle a la confusion sympa, ma grand-mère), elle répondait à côté de la plaque, elle nous reconnaissait à peine.
Elle a récupéré comme un miracle.
Elle était dans un hôpital où j’étais déjà passée, et où je savais que le système informatique trouvait que les nomsdejeunesfilles étaient vachement plus pertinents à utiliser que les nomsd’épouse.
Je lui ai demandé comment elle avait vécu l’expérience.
Elle a cru que l’infirmière se présentait, elle.
Elle s’est demandé qui ça pouvait bien être, cette femme qui avait le même nom qu’elle. Elle a cherché si c’était une petite-cousine ou une nièce. Elle n’a jamais compris qu’on lui parlait à elle. Alors forcément, elle n’a jamais répondu quand on lui parlait.
15 février, 2008 à 3 h 15 min
Le nom de jeune fielle ?! Non mais quelle connerie encore…
Les traditions, toujours les traditions.
15 février, 2008 à 11 h 25 min
ah les douces joies de l’administratif…. moi qui n’ai qu’un nom de « jeune fille », quand je donne mon nom (de jeune fille, donc) on me demande toujours quel est mon nom de jeune fille!!! ben c’est celui-là!
15 février, 2008 à 17 h 34 min
Je viens de passer 3 heures à TOUT lire, même les commentaires. Quel délice. Je suis fascinée. Touchée par la justesse du ton, la limpidité de la prose. J’ai beaucoup apprécié le post sur l’empathie. L’autodérision – quand elle est utilisée modérément – est pour moi une belle preuve d’intelligence. Bon courage…
16 février, 2008 à 18 h 46 min
salut Toi ! ta littérature soignante : génial. moi ch’suis infirmière psy et mon nom de scène soins-bizz est mon nom d’ex épouse (bonjour la problématique mais fort pratik mon kiki). je me présente tjrs aux déments même aux bébés qui pigent tout. chacun sa noblesse ! Graouff
MagiW : tinhinen.com pour te servir.
Et je te sers en toute révolutionnarité peuchère !
16 février, 2008 à 18 h 47 min
MagikW est mon identité citoyenne. Oups.
16 février, 2008 à 20 h 15 min
Dans nos formations d’instits, les femmes mariées sont aussi appelées par leur nom de jeune fille, ça créé des situations plutôt cocasses quand on se retrouve avec 5 personnes portant le même prénom et donc 10 noms de famille différents pour une seule promo de 80 !!
16 février, 2008 à 23 h 24 min
Bah oui, comme dit niluje, la tradition.. si les femmes gardaient « traditionnellement’ leur nom de naissance, ça simplifierait..
18 février, 2008 à 23 h 12 min
je viens de parcourir ton blog… c’est passionnant !
20 février, 2008 à 0 h 37 min
Le nom de jeune fille ?
Je ne connaissais pas cette abération ! Mais peut-être (peut-être, mais quelle horreur…) que je l’ai utilisé moi aussi sans m’en rendre compte ? Non… je ne crois pas mais le doute persiste, j’irai vérifier dès que possible !
Merci pour ce billet une fois de plus si bien raconté (J’ai même rêvé dernièrement que tes articles étaient publiés…), et merci de continuer à nous faire partager tes histoire :-)
20 février, 2008 à 1 h 24 min
A Marie (j’arrive après pour les autres, c’est promis) : zut, c’est la honte, j’avais déjà du retard dans mes réponses, et là, c’est votre troisième gentil message alors que je n’ai même pas répondu aux deux premiers.
Merci beaucoup pour vos encouragements, et pour le lien sur votre blog :)
20 février, 2008 à 14 h 13 min
Mééééheuuu, faut pas me vouvoyer voyons ! je ne suis qu’une petite étudiante de rien du tout, qui aurait pu être externe dans le même service et partager les mêmes galères et les mêmes repas de stage !
Non mais ho !
:-p
21 février, 2008 à 20 h 12 min
> Niluje : je suis pas sure qu’il soit question de tradition. Je pense qu’il est question d’idiotie d’ordinateur, et d’une absence totale de réflexion.
>Pat la fourmi : aaaaaaah les douces joies du célibat ;)
> Xdep : très touchée, et très flattée de vos compliments. Reconnaissantes salutations :)
> MagikW : chouette, un nouveau blog à lire :)
> Marine : ils doivent avoir aussi des ordinateurs idiots chez les instits…
> Ptitemaikress : je découvre grâce à votre commentaire (merci à lui !) votre blog, très agréable à lire :) Merci !
> Marie : je vouvoie si je veux, non mais.
9 juin, 2008 à 19 h 06 min
Ma soeur a le problème inverse: elle est mariée mais désire se faire appeler par son nom « de jeune fille » (bah oui, quoi, c’est *son* nom). Mais y’a tout un tas de gens qui l’appellent d’autorité Madame nom-de-son-mari. A commencer par son banquier qui persiste à lui envoyer des chéquiers à son « nom d’épouse » malgré des avis répétés et de plus en plus rageurs.
9 juin, 2008 à 23 h 30 min
J’ai eu le souci inverse avec une patiente…
Mme X, une bonne soixantaine voire 70 ans, hospitalisée pour je ne sais plus quoi de digestif (ben oui, mon stage c’était en hépato-gastro). Plusieurs antécédents, notamment une coloscopie 2 ans auparavant dont j’ai bien besoin d’avoir les résultats…
Je téléphone à la clinique où elle l’a passé, mais comme elle se souvient pas le nom du médecin qui s’est occupée d’elle, et qu’à la clinique en question il n’y a que des médecins qui n’y consultent qu’une demie-journée la semaine, j’ai un large panel d’appel…
Au bout du compte, personne ne l’a vue, elle n’est dans les ordinateurs d’aucun des médecins, ni en ville ni ailleurs, d’aucun des secrétariats externes des médecins, ni dans les ordinateurs de la clinique, à quelque secrétariat que ce soit… Y a bien des madames X, mais elles ont pas la date de naissance de ma patiente…
Au bout du compte, j’ai perdu 2 heures de mon temps en coups de fil divers et variés, mon interne me harcèle et j’ai vraiment l’impression de mal faire mon job (qui entre parenthèses n’est pas sensé être un job de secrétaire, mais c’est un autre débat)…
Je suis fier d’avoir eu cet éclair de génie qui m’a fait lui demander si elle ne s’était pas mariée ou n’avait pas divorcé entre temps… Le nom avait changé, je l’ai retrouvé beaucoup plus facilement (ordinateur de la clinique dans le secrétariat des endoscopies, là où on cherche en premier, quoi) avec son nom de l’époque…
Ca ne serait pas arrivé avec e système « nom-de-jeune-fille »…
Bref, si tout le monde pouvait remplir les DEUX noms (épouse et jeune fille) dans les formulaires d’entrée à l’hosto, et si les ordinateurs avaient la capacité pour quelques lettres de plus, ça faciliterait bien des choses ! :D
27 novembre, 2010 à 15 h 37 min
En fait, c’est juste que le « vrai » nom est le nom de jeune fille. Qui d’ailleurs est le nom tout court.
Le nom d’usage pour les femmes mariées, si elles le souhaitent seulement, est le nom du mari. (et réciproquement, le nom d’usage du mari, si il le souhaite, est le nom de son épouse, mais bizarrement, ça se voit moins :D)
Mais leur « vrai » nom reste le nom qu’elles ont porté dés la naissance. Et du coup, administrativement, il sort en premier parce que c’est le seul viable aux yeux chassieux de l’Etat.
L’usage du nom du mari n’est qu’une tolérance. Tradition, tradition.
27 novembre, 2010 à 15 h 53 min
Merci de ces précisions, mais je dois avouer : m’en fiche de « administrativement »…
Je voudrais juste qu’on appelle les gens comme ils ont l’habitude d’être appelés, quoi.
Si on appelle une dame un peu démente d’un nom qu’elle a plus entendu depuis 50 ans, on m’ôtera pas de l’idée que ça l’aide pas à se situer…
30 juillet, 2011 à 23 h 36 min
Le nom de femme mariée est le nom d’usage, et comme son nom l’indique c’est celui dont on use.
Sa raison est toute pratique, c’est traditionnellement, qui disait mariage, disait enfants, et que c’était vachement plus pratique pour une entité familiale que tout le monde ait le même nom (et pour avoir grandi avec une maman qui ne porte pas le même nom que moi, j’assure que c’est tout à fait galère dans le quotidien !!!)
Après, on passera sur la symbolique d’appropriation qui consiste à coller son nom sur quelque chose qui est très certainement également présente dans cette tradition de la femme qui prend le nom de son mari (n’oublions pas que jusqu’à il y a peu, une femme sortait du contrôle de son père pour passer sous celui de son mari, le veuvage étant à peu près sa seule chance de prendre sa vie en main)
On évolue, et aujourd’hui, les femmes peuvent aussi donner leur nom à leur époux en usage et les enfants peuvent porter le nom de leur mère, ou un nom composé des deux (cette dernière option étant une belle connerie qui va foutre le bordel dans les généalogie et à l’état civil pour les siècles à venir, sans parler du fait que les gens qui ont déjà un nom composé vont se faire assimiler à ça et qu’on voudra, à la génération d’après, amputer leur nom !)
Bref, Jaddo, tu es dans le vrai : il faut appeler les gens de la manière dont ils ont l’habitude qu’on les appelle. Mais ça n’est pas toujours simple (cf exemples ci-avant des femmes célibataires que l’on suppose mariées, etc.)
Le choix du nom administratif a aussi ses avantages (en ce qu’il est le « vrai » nom, effectivement) et qu’on peut comprendre qu’un hôpital n’ait pas la souplesse de faire de la gestion au cas par cas…
18 mai, 2012 à 6 h 08 min
changez le systeme informatique !
5 août, 2012 à 13 h 50 min
Salut Jaddo ! je ne t’abreuverai pas de compliments même si j’en meurs d’envie, mais les autres ont déjà tout dit…
J’étais ravie de lire cet article (dans ton livre en fait), parce que le nomdejeunefille, il me sort dru par les trous de nez à moi aussi. Heureusement la clinique où je travaille ne pousse pas le bouchon jusqu’à appeler les femmes par leur nom de jeune fille, mais il est demandé systématiquement, et même exigé pour les cartes de groupe. Et je comprends pas pourquoi. Et ça m’énerve. Etant donné qu’il n’y a aucune raison valable (tout argument peut être réfuté par « et les hommes, alors ? »… exemple : « c’est au cas où il y ait des homonymes » « et les hommes, alors ? »), je ne comprends pas pourquoi les systèmes de santé s’agrippent encore à ce sacro-saint nomdejeunefille sacrément désuet en fait, tellement que même l’administration française (pourtant pas une grande rapide) s’en est officiellement débarrassée au début de l’année.
Pour conclure, et tout particulièrement à Pierre : ayant grandi avec une maman qui n’a pas le même nom que moi, et n’en n’ayant pas du tout souffert (voire m’en étant servi de temps en temps !), je suis de celles qui espèrent voir cette coutume (parce que c’en est une – le fait de prendre le nom de son mari n’a JAMAIS été inscrit dans la loi française) disparaitre au fil des temps. Parce qu’au delà de la raison « toute pratique », c’était aussi un bon moyen de plus de rappeler à la femme ce qu’elle est sans époux, c’est à dire rien (il n’y a qu’à ouvrir un livre d’histoire : dès que l’on a voulu réduire des humains à néant on a commencé par leur voler leur nom). Quand on voit que certaines femmes veuves depuis des années reçoivent encore des lettres au nom de Madame Veuve Raymond Tartempion, ça me donne envie de vomir dans le col de mon voisin. Donc pitié restons simples, et appelons les dames par le nom avec lequel elles se présentent…
Je m’arrête là mais n’en pense pas moins. Désolée pour ce plaidoyer quelque peu féministe sur les bords… ça m’a fait du bien ! Moi je garderais mon nom, parce que c’est le mien, parce qu’on ne change pas ce qui fait le plus fort de notre identité du jour au lendemain. Et aussi pour pouvoir répondre comme ma maman aux démarcheurs téléphoniques… « allô Madame X ? » « Vous faites erreur… c’est ma belle-mère ». J’adore.
18 décembre, 2012 à 15 h 36 min
Moi aussi, il m’est arrivé tout juste le contraire: bien qu’étant passée devant MonsieurleMaire, je n’ai pas changé de nom. Mais il était apparemment impossible, à la maternité, d’entrer mon nom dans la Mâchine, il fallait absolument m’imposer celui de mon mari. Je l’ai assez mal pris, et c’était d’autant plus absurde qu’on avait décidé de donner nos deux noms à notre fille – genre « Bébé XY vient de naître, de Mme Y et M.Y ». Accessoirement, je plussoie Aude: il est administrativement normal que l’on enregistre le nom de naissance des gens, qui est leur seul nom légal. Quitte, bien sûr, lorsqu’ils/elles ont un autre nom d’usage, à l’enregistrer également. Et les Mâchines, ça se met à jour, les programmes, ça se modifie…