Pauvres pécheurs
25 septembre, 2010
Allez, un post rapide, juste pour énerver ma sœur.
L’autre jour, je reçois une jeune patiente, 23 ou 25 ans peut-être, avec son tout nouveau bébé.
Une petite fille qu’elle m’amène à deux semaines de vie, et qui a patienté sagement 2 bonnes heures dans ma salle d’attente, sous le regard placide et dans les miasmes des huit patients d’avant qui devaient se dire par devers eux qu’elle avait qu’à faire la queue COMME TOUT LE MONDE et que eux aussi ils en avaient marre d’attendre et que de toute façon donner des sous aux clochards si c’est pour qu’ils s’achètent à boire merci bien ma bonne dame mais trop bon trop con.
Bref.
Comme toujours, je commence par prendre des nouvelles de la maman : l’accouchement, le moral, la rencontre avec l’enfant, tout ça. Parce qu’en 2010, une jeune mère se doit d’être dégoulinante de joie et de bonheur sur fond de symphonie pastorale dans la rosée du matin, et elle doit trouver sa fille magnifique sinon c’est une mère indigne parce que l’instinct maternel c’est pas pour les cochons. À la rigueur, elle a parfois le droit d’être un peu fatiguée mais seulement avec décence.
Du coup, je prends toujours nouvelles. Au cas où.
Pour cette maman-là, ça ne s’est pas si bien passé. Malformation digestive découverte chez le bébé à l’écho du 3ème trimestre, hospitalisation pendant toute la fin de la grossesse pour d’autres raisons, début du travail un peu prématuré à 34 semaines, césarienne en urgence et départ immédiat de la petite pour le bloc opératoire où on a réparé la malformation digestive qui l’aurait empêchée de s’alimenter. Si je peux me permette un avis de non-maman, ça me paraît quand même un peu hard à avaler, surtout pour une si jeune femme et pour une première grossesse.
Malgré ça, les choses se passent bien. La mère réussit à tenir le coup, le père aussi, la rencontre avec leur fille se passe bien, et tout ce petit monde réussit même l’exploit d’un allaitement maternel exclusif (en dépit d’un personnel hospitalier qui penchait plutôt pour un allaitement au biberon histoire de pouvoir mesurer le nombre de décilitres ingurgités quotidiennement). Bref, tout roule.
Évidemment, un bébé un peu prématuré opéré à J1 d’une malformation digestive, vous vous doutez qu’on surveille le poids attentivement. À la PMI, en l’occurrence. Et là, comme je m’apprête à pourrir la PMI, je préviens histoire qu’on ne me tombe pas dessus : je n’ai rien contre les PMI. Les PMI sont gentilles, les PMI sont belles, les PMI sont mes amies. Des fois on y fait du bon boulot. Là, juste, non. Ça aurait pu être un médecin, ça aurait pu être un pédiatre, ça aurait pu être pas mal de monde vu le niveau général de la connaissance de l’allaitement maternel chez les soignants en France.
Bref, ma patiente se présente régulièrement à la PMI pour faire peser sa petite, avec son allaitement maternel qui se passe bien, ses seins qui vont bien et sa petite qui prend du poids très honnêtement, en tétant un peu comme elle veut quand elle veut, avec une maman qui donne un peu le sein comme elle veut quand elle veut, sans que personne ne souffre de pleurs, de douleurs ou de problèmes de sommeil ou de surmenage quelconques.
Mais, tenez-vous bien le scandale est à vos portes, la mère allaitait PLUS DE DIX MINUTES PAR SEIN !
Alors, ils lui ont fait comprendre, à la PMI… C’est mal de donner le sein plus de dix minutes de chaque côté, malheureuse ! Et qu’elle allait avoir des crevasses et que ses seins allaient finir par brûler dans les feux de l’enfer pour l’éternité et que ce serait bien fait pour eux. Et qu’il fallait laisser TOUJOURS au moins deux heures entre deux tétées. Parce que la gourmandise est un péché aussi, on ne le dit pas assez, et que ça allait faire un enfant capricieux.
Bien embêtée, ma patiente, parce qu’en deux fois dix minutes, elle a pas l’impression de pouvoir donner tant que ça.
La fois d’après, la petite avait pris moins de poids. Ma patiente toute contrite a suggéré de compléter, peut-être, du coup, par des biberons ?
Mais oui ! qu’on lui a dit à la PMI… Puisque vos seins abrutis ne sont pas capables de nourrir correctement cette enfant dans les 7 x 2 x 10 minutes imparties, donnez-lui donc des compléments.
La petite, elle les a vomis tout ce qu’elle pouvait, vos compléments.
Et la fois d’après, du coup, elle en avait perdu, du poids.
Alors on me l’a envoyée se coltiner 2 heures dans ma salle d’attente.
Cette anecdote est d’une banalité déprimante. On part quand même d’une histoire qui va bien, où tout se passe bien, où tout se passe même mieux que ce qu’on aurait pu espérer dans nos rêves les plus fous, et parce que ça ne colle pas aux petites cases à la con dans lesquelles des petits cerveaux à la con ont voulu à toute force et à tout prix faire rentrer l’humanité entière, on ruine tout. On part d’un truc qui va bien, et on le fait tourner au désastre. C’est juste atterrant.
Et c’est la même histoire toujours renouvelée, pour plein de choses. Pendant la grossesse, on se nourrira de capsules protéinées désinfectées pour éviter la salmonellose, puis on nourrira son enfant au sein 2x7x10 minutes, à cinq mois et 12 jours on commencera la diversification en donnant 13,8 grammes de haricots verts, on tirera sur les pénis pendant 37 secondes dans l’eau tiède tous les soirs pour les décalotter proprement et on ne prendra JAMAIS son enfant avec soi pour une nuit dans le lit parental parce que ça fabrique des délinquants.
Ça suffit. Merde. J’aime les cases, ok, mais pas à ce point.
Autorisons-nous une marge de bon sens autour des règles.
Il n’y a pas UNE façon de faire, il y en a autant qu’il y a de familles, qu’il y a d’histoires, qu’il y a de rencontres.
Collez-zy pas des frites et du coca mixés dans le biberon à 3 mois, c’est tout ce que je vous demande.
Écoutez-vous, faites-vous confiance, écoutez VOS limites. Votre enfant ne sera pas capricieux parce que vous l’avez pris avec vous dans le lit un soir ou parce que vous ne l’avez pas « laissé pleurer » ou parce que vous lui donnez le sein quand il a faim. Si vous respectez vos limites à vous, si là, ce soir, non là vraiment j’en peux plus je suis trop fatiguée je me lève pas, ça se fera tout seul.
Un caprice, ce n’est pas aller au-delà des cases décrétées par le Professeur MesCouilles, c’est aller au-delà de vos limites. En vous faisant confiance les règles se placeront d’elles-mêmes, et ce seront de bonnes règles.
Et envoyez chier les médecins.