Dieu-Café

12 janvier, 2008

Il y a des tas de choses qu’on n’apprend pas dans les bouquins.
Certaines règles obscures et implicites de l’hôpital, par exemple.

Gardes aux urgences.
Il est 5h du matin, je n’ai pas dormi, j’ai eu quelques patients compliqués, mon chef est allé dormir, je me suis angoissée deux ou trois fois pour savoir si je pouvais ou pas me permettre de le déranger pour une question de néophyte, j’ai cru que j’allais pouvoir me coucher quand deux nouveaux patients sonnent à la porte.

L’équipe paramédicale prend un café. Chacun a ramené un petit quelque chose pour la garde, et, comme pour le moment c’est tranquille, ils prennent le temps d’un café-gâteau-chocolat.
Avec ma politesse légendaire, avec mon sourire jusqu’aux oreilles, je demande si je peux leur en prendre une tasse.
Non, on me dit.
Je ris, d’abord. En premier réflexe. Ahahah, sacré toi.
Et je prends conscience soudainement du ton revêche et ferme, des sourcils froncés et des lèvres pincées.
Heuuuu, non ? Vraiment, non ?? Vraiment, là, avec votre cafetière pleine devant vous, avec mes gentillesses et mes sourires pour demander, avec le fait qu’on vient de passer 6 heures à bosser ensemble en pleine nuit, non ???

Au fur et à mesure des gardes, on se rend compte progressivement de l’institution cafetière de l’hôpital.
On fini par remarquer le cadenas sur le placard de droite, celui de l’équipe de jour.
On se rend compte que pendant la journée, la cafetière est verte, alors que la nuit elle est noire.
On passe et on entend des bribes de conversation sur Bidule qui a toujours pas payé sa cotisation.
On note que ah, tiens, oui, le placard du milieu est cadenassé aussi.

On comprend que les gens en ont eu marre que ce soient toujours les mêmes qui achètent le café, qu’il y a eu des histoires de filtres disparus, qu’il y a eu des histoires de médecins qui se servent alors qu’ils ne cotisent jamais, et qu’il y a une véritable guerre autour du café.
Que le café est un symbole.
Que le café a pris une dimension mystique.

Et puis quand même, quand on nous refuse une tasse, 20 pauvres centilitres de café, alors qu’on n’a rien fait à personne, alors qu’on est physiquement authentiquement épuisé, alors que la nuit est encore longue, l’envie nous prend de sortir un billet de 5 euros de sa poche, de le lancer dédaigneusement à la figure des sourcils, et de dire « Mais tiens, je te le paye, ton café ! ».

Et puis on se rend compte que c’est exactement la même chose dans l’hôpital suivant.
Et dans celui qui suit encore.
Et dans celui d’après.
Alors le deuxième jour de stage, on amène sa demi-livre de café qu’on dépose en offrande.

Edit : un infirmier raconte la même chose ailleurs en beaucoup mieux que moi :)

14 Réponses à “Dieu-Café”

  1. AnA-l Dit:

    C’est un des trucs qui m’avait marqué dans la boite ou je suis, les gens se battent pour se payer le café, rassures toi, le monde n’est pas si pourri :)

  2. Sel Dit:

    on peut même evaluer sa cote de popularité et de respect aux nombres de cafés que l’on nous offre spontanément…

  3. Katrin Dit:

    Ça me fait penser à cette équipe, qui, le soir venant, avant que l’équipe de nuit prenne la relève… mettait sous clef le matériel. Pas le café, non, les protections, les gants à usage uniques, les pénilexs, les rouleaux d’essui mains, draps …

    « parce que tu comprends, c’est nous, l’équipe de jour, qui les montons pendant la journée, elles ont cas se démerder! »

    Un argumentaire imparable…

  4. marie Dit:

    J’ai très vite compris la règle de survie pour l’externat : « Si tu veux apprendre quelque chose des infirmières (et éviter qu’elle te traite comme un chien pour l’ECG de la chambre 3!), apporte du café ET lave ta tasse … »
    Mais c’est génialement raconté, merci :-)

  5. Rrr Dit:

    Amusant de voir l’universalité de la chose ^^
    J’en profite pour recaser le lien http://www.uninfirmier.fr/index.php/2008/01/24/13-guide-de-survie-en-salle-de-detente, que j’ai rajouté en fin de texte après la première publication, parce que le blog vaut vraiment le coup d’oeil.

  6. Anonyme Dit:

    le blog de Thomas, l’élève infirmier anesthésiste, oui, excellent. surtout sa proposition de se faire appeler « la petite fée du dodo »

  7. ksk Dit:

    D’où l’intérêt de ne travailler que dans les établissements dans lesquels le café est pris en charge par l’employeur, le matos en état et en quantité suffisante… sisisi ça existe.

  8. Olivier G. Dit:

    Attention, l’URL du billet indiqué dans l’édit de fin de billet à changé, c’est http://www.uninfirmier.fr/2008/01/24/guide-de-survie-en-salle-de-detente/ maintenant.

  9. Rrr Dit:

    Merci, c’est corrigé.
    Ca m’a donné l’occasion de le relire, et c’est toujours aussi bon.

  10. Rrr Dit:

    Au secours. Où est passé « Un infirmier » ? 403 forbidden toi-même ! On part 3 mois et tout a foutu le camp quand on revient ! Que se passe-t-il ?

  11. Marietoune Dit:

    C’est pareil dans les écoles…

  12. Docmam Dit:

    Oui la première fois que ça m’est arrivée, j’ai cru à une blague.
    Faut dire je n’était qu’externe. Je leur explique, on est là que 6 semaines que le matin alors ben oui, on est prêt à cotiser tout ça.
    Mais non refus, on ne touche pas au café.
    Je leur demande juste la cafetière en fait, parce qu’on amènera notre café, pas de soucis.

    Et là tu comprends pas, parce que t’es sympa toi, tu dis bonjour, tu leur donnes pas d’ordre, tu peux pas t’es que externe de toutes façons, bref t’es sympa, tu souris. T’y croyais à l’esprit d’équipe toussa.
    Mais là visiblement, tu prends pour tout ce que tes collègues ont peut être fait un jour, ou plutôt tu prends pour ce que tu feras certainement plus tard quand tu seras un con d’interne.
    Alors t’as pas de café.

  13. Ambroisia Dit:

    Eh non, c’est pas exactement partout pareil, là où j’suis les infirmières proposent spontanément de prendre le café ! :p
    Et quand il y a des croissants/gâteaux/autres gourmandises c’est « n’hésite pas à te servir surtout hein, mais allez prends-en ! » limite si tu te fais pas engueuler !

    Mais faut dire qu’ici tout le monde se connait depuis des années, et que l’ambiance est très bonne.

  14. paulb Dit:

    Attention, l’URL du billet indiqué dans l’édit de fin de billet à changé, c’est
    http://uninfirmier.actusoins.com/2008/01/guide-de-survie-en-salle-de-detente/
    maintenant…

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