Elle a 2 ans, elle est amenée par sa mère hystérique d’inquiétude aux urgences à 2h du mat.
Elle a été vue la veille pour la même raison : de la fièvre. On n’a rien trouvé, on lui a dit de repasser dans 3 jours si ça persiste.

La mère, elle, ne dort plus depuis 4 jours, elle n’en peut plus, elle débarque en hurlant. Je suis obligée de lui dire à plusieurs reprises « S’il vous plaît, arrêtez de crier, je suis juste à côté de vous. »
Elle m’énerve déjà, sa gosse a été vue la veille, on lui a dit de repasser dans TROIS jours et elle n’en fait qu’à sa tête.
C’est qu’il est tard, que je suis épuisée et que j’en oublie le premier commandement de la pédiatrie : « Toujours faire confiance à une mère qui s’inquiète ».

J’examine le bambin comme je peux, j’écoute ses poumons quand il reprend sa respiration entre deux hurlements, j’essaie d’y voir quelque chose dans le brouillard épais que la tension qui embue peu à peu la chambre a fait naître.
Je ne trouve rien.

Je vais voir ma chef, je lui dis que je ne trouve rien, je lui demande de ré-examiner la petite.
« Lance le bilan, je verrai après », qu’elle me dit.
Soit, je lance le bilan.

Radio de thorax, examen d’urines, prise de sang.
Trois heures plus tard, la petite a enfin fait pipi, et la prise de sang nous confirme ce qu’on savait déjà : il y a une infection tapie quelque part.
Mais ni dans le thorax, ni dans les urines.
Ma chef passe pour revoir l’enfant.
Courageusement, j’avais annoncé clairement les choses à la mère : « Je n’ai rien vu d’anormal, je vais demander à ma chef de passer la voir au cas où je serais passée à côté de quelque chose ».

J’étais passée à côté d’une magnifique otite bilatérale. Des tympans en feu, des deux côtés.
La mère est terriblement soulagée.
Elle me remercie quatre fois avant de partir.

Oh bah de rien, hein.
Je t’ai juste coûté trois heures d’attente sur une chaise avec une gamine en pleurs, ta nuit, celle de ton enfant, et vos deux journées de demain pour ce qui aurait dû être un diagnostic de 10 minutes.
Et à la sécu, j’ai dû coûter pas loin de 200 euros d’examens pour ce qui aurait dû être un diagnostic clinique.

Il faudra juste qu’on m’apprenne comment PUTAIN DE DIABLE on peut voir les tympans d’une môme qui hurle et qui se débat.
A bien y réfléchir, il faudra juste qu’on m’apprenne comment voir des putains de tympans tout court.

Tu n'apprendras jamais, bis.

11 décembre, 2007

« Tu n’apprendras jamais, bis« , donc.
Ou « Tu la sens ma grosse b… bis« , au choix du lecteur.

Externat, stage de gastro.

– Mon chef de service : « Tiens, cet après-midi, tu devrais passer voir le type de la 18. Il a un foie métastatique très palpable, on sent super bien le bord inférieur et les métas. J’en ai parlé à Toncollègue1 et Tacollègue2, ils sont allés voir tout à l’heure, ils l’ont bien senti »
– Heuuu…..
– Quoi, « Heu » ?
– Bin c’est pas mon patient, quoi. Je m’en occupe pas.
– Oui, je vois, et quand c’est pas tes patients, ça t’intéresse pas, c’est ça ? Tu t’occupes des chambres 1 à 12 et faut pas te demander de pousser jusqu’à la 18 ?
– Bin non, mais heu… Enfin, jveux dire… Enfin, tu vois….
– Je vois quoi ?
– Non, rien, oublie, c’est compliqué.

Qu’est ce que tu vois ??
Tu vois la scène ?

Bonjour Monsieur ! Paraît que vous avez un super cancer trop génial, ça vous embête pas si je suis la troisième inconnue de la journée à surgir dans votre chambre d’agonie pour coller mes mains sur votre ventre ?
J’en ai pour deux minutes, hein, je sens votre grosse b. , je hoche la tête, je dis au revoir et vous ne me reverrez plus, ne vous inquiétez surtout pas.

Je n’y suis pas allée, mon chef m’a prise pour une tire au flanc jusqu’à la fin du stage, et je n’ai jamais plus eu l’occasion de palper un foie métastatique jusqu’à maintenant.
Reste à espérer que quand ça arrivera à un de mes patients, je sentirai qu’il y a quelque chose qui cloche au bout de mes doigts.