Elle a 2 ans, elle est amenée par sa mère hystérique d’inquiétude aux urgences à 2h du mat.
Elle a été vue la veille pour la même raison : de la fièvre. On n’a rien trouvé, on lui a dit de repasser dans 3 jours si ça persiste.

La mère, elle, ne dort plus depuis 4 jours, elle n’en peut plus, elle débarque en hurlant. Je suis obligée de lui dire à plusieurs reprises « S’il vous plaît, arrêtez de crier, je suis juste à côté de vous. »
Elle m’énerve déjà, sa gosse a été vue la veille, on lui a dit de repasser dans TROIS jours et elle n’en fait qu’à sa tête.
C’est qu’il est tard, que je suis épuisée et que j’en oublie le premier commandement de la pédiatrie : « Toujours faire confiance à une mère qui s’inquiète ».

J’examine le bambin comme je peux, j’écoute ses poumons quand il reprend sa respiration entre deux hurlements, j’essaie d’y voir quelque chose dans le brouillard épais que la tension qui embue peu à peu la chambre a fait naître.
Je ne trouve rien.

Je vais voir ma chef, je lui dis que je ne trouve rien, je lui demande de ré-examiner la petite.
« Lance le bilan, je verrai après », qu’elle me dit.
Soit, je lance le bilan.

Radio de thorax, examen d’urines, prise de sang.
Trois heures plus tard, la petite a enfin fait pipi, et la prise de sang nous confirme ce qu’on savait déjà : il y a une infection tapie quelque part.
Mais ni dans le thorax, ni dans les urines.
Ma chef passe pour revoir l’enfant.
Courageusement, j’avais annoncé clairement les choses à la mère : « Je n’ai rien vu d’anormal, je vais demander à ma chef de passer la voir au cas où je serais passée à côté de quelque chose ».

J’étais passée à côté d’une magnifique otite bilatérale. Des tympans en feu, des deux côtés.
La mère est terriblement soulagée.
Elle me remercie quatre fois avant de partir.

Oh bah de rien, hein.
Je t’ai juste coûté trois heures d’attente sur une chaise avec une gamine en pleurs, ta nuit, celle de ton enfant, et vos deux journées de demain pour ce qui aurait dû être un diagnostic de 10 minutes.
Et à la sécu, j’ai dû coûter pas loin de 200 euros d’examens pour ce qui aurait dû être un diagnostic clinique.

Il faudra juste qu’on m’apprenne comment PUTAIN DE DIABLE on peut voir les tympans d’une môme qui hurle et qui se débat.
A bien y réfléchir, il faudra juste qu’on m’apprenne comment voir des putains de tympans tout court.

Tu n'apprendras jamais, bis.

11 décembre, 2007

« Tu n’apprendras jamais, bis« , donc.
Ou « Tu la sens ma grosse b… bis« , au choix du lecteur.

Externat, stage de gastro.

– Mon chef de service : « Tiens, cet après-midi, tu devrais passer voir le type de la 18. Il a un foie métastatique très palpable, on sent super bien le bord inférieur et les métas. J’en ai parlé à Toncollègue1 et Tacollègue2, ils sont allés voir tout à l’heure, ils l’ont bien senti »
– Heuuu…..
– Quoi, « Heu » ?
– Bin c’est pas mon patient, quoi. Je m’en occupe pas.
– Oui, je vois, et quand c’est pas tes patients, ça t’intéresse pas, c’est ça ? Tu t’occupes des chambres 1 à 12 et faut pas te demander de pousser jusqu’à la 18 ?
– Bin non, mais heu… Enfin, jveux dire… Enfin, tu vois….
– Je vois quoi ?
– Non, rien, oublie, c’est compliqué.

Qu’est ce que tu vois ??
Tu vois la scène ?

Bonjour Monsieur ! Paraît que vous avez un super cancer trop génial, ça vous embête pas si je suis la troisième inconnue de la journée à surgir dans votre chambre d’agonie pour coller mes mains sur votre ventre ?
J’en ai pour deux minutes, hein, je sens votre grosse b. , je hoche la tête, je dis au revoir et vous ne me reverrez plus, ne vous inquiétez surtout pas.

Je n’y suis pas allée, mon chef m’a prise pour une tire au flanc jusqu’à la fin du stage, et je n’ai jamais plus eu l’occasion de palper un foie métastatique jusqu’à maintenant.
Reste à espérer que quand ça arrivera à un de mes patients, je sentirai qu’il y a quelque chose qui cloche au bout de mes doigts.

Super-Externe

30 novembre, 2007

Les ambulances, à part ramener chez eux des gens qui ont consulté à trois heures du mat pour une vague douleur qui dure depuis deux semaines, servent aussi à assurer le transport des malades d’un hôpital à l’autre. Quand on a besoin d’examens qu’on ne peut pas faire sur place, par exemple.

Et, si le patient est un peu lourd, la présence d’un « membre du corps médical » est exigée à bord.
C’est à dire qu’il faut quelqu’un pour s’occuper de lui s’il est susceptible de lui arriver quelque chose. Comme bien sûr, on ne va pas mobiliser un vrai médecin pour se coltiner 20 minutes de transport, une à deux heures d’attente sur place le temps que l’examen se fasse, 40 minutes d’attente des ambulanciers pour le trajet retour, et 20 nouvelles minutes de transport, on y colle l’externe. Quatrième à sixième année de médecine, soit deuxième à quatrième année d’hôpital.

Et dans « quelque chose », tout est possible.
Si le patient est sous oxygène, et si en passant un dos d’âne le tuyau d’oxygène se décroche, il faut un « membre du corps médical » pour prendre le bout de tuyau et le clipser sur l’embout de la bouteille d’oxygène.
Si un patient va très mal, il faut un « membre du corps médical » pour assurer la prise en charge immédiate. Genre, s’il fait un arrêt cardiaque, il faut un externe pour crier très fort « Au secoooours ! Au secoooours ! Je sais pas comment on faaaaait ! »

Pendant mon stage, je m’occupe d’un patient très lourd, au sens premier du terme. Il pèse 160 kilos.
– Comme il vient pour rectorragies (= sang dans les selles = plein de diagnostics plus ou moins graves possibles), il faut lui faire plein d’examens.
– Comme c’est toujours compliqué, on ne peut pas lui faire les examens sur place. Soit parce qu’on n’a pas du tout de quoi les faire, soit parce que le matériel qu’on a pour les faire ne supporterait pas ses 160 kilos.
– Comme il pèse 160 kilos, il doit voyager en « lit », et non en « brancard ».
– Comme il doit voyager en « lit », il doit être accompagné par un « membre du corps médical« .

Là, quand même, je m’interroge.
Parce que je suis à mi-temps à l’hôpital, et que si je dois l’accompagner partout, je suis partie pour une semaine de trajet en ambulances. Et avec un examen par jour, 4 heures d’ambulance et de salles d’attente par examen, ça s’annonce très formateur.
Que mes 5 années de médecine soient hautement indispensables pour brancher un tuyau ou pour crier au secours, soit.
Mais quel rapport avec le lit ??

Ah, m’explique-t-on.
C’est que les lits n’ont pas les dimensions qui collent avec les rails de l’ambulance.
Donc, ils ne sont pas bien fixés.
Un jour, lors d’une accélération un peu brutale, un lit est parti en arrière, a défoncé les portes de l’ambulance et s’est retrouvé sur la voie publique.
Depuis, les ambulanciers ont exigé, et obtenu, une clause qui précise qu’un « membre du corps médical » doit accompagner tous les trajets en lit.

Très bien très bien.
Bon, faisons le point sur ce qu’on attend de moi.
–> Si le tuyau se débranche, je rebranche le tuyau.
–> Si le patient fait un accident grave, je panique et je crie Au secours-Au secours.
–> Si le lit se décroche, je sors mes supers-biceps de super-externe, et je le rattrape à la volée.

C’est bien ça ?

Drame

30 novembre, 2007

Premier stage d’externe, en traumato.

Staff du matin, on se présente les dossiers des patients qu’on a vu la veille, et on discute éventuellement des cas difficiles.
La salle se remplit doucement de plein de blouses plus ou moins blanches. Dans l’ordre d’immaculité (ça existe si je veux) : le grand chef de service, les chefs de cliniques, les internes, les externes.

Mon interne, mon interne préféré, mon poisson-pilote à moi que j’ai, celui dont j’ai agrippé en début de stage, pour ne plus la lâcher, la blouse moins blanche que blanche, m’accueille avec un visage décomposé.
Il me chuchote : « Il faut que je te parle après le staff« .
Je me décompose moi aussi. Je quémande des explications, mais la salle se remplit vraiment, et l’heure n’est plus aux discussions. Il a tout juste le temps de m’expliquer que oui, c’est au sujet d’un truc que j’ai fait, et que oui, c’est assez grave. Mais pas trop-trop, ajoute-t-il devant ce qui doit me servir de visage.

La première idée qui jaillit dans mon cerveau malade :
« Oh mon dieu, j’ai tué un patient« .
Je passe le staff autour de l’hypothèse, en grand dialogue avec moi-même.
– Mais c’est pas possible ! Tu tiens des jambes au bloc, quoi ! Comment on peut tuer quelqu’un en tenant sa jambe au bloc ?!
– Et si je m’étais mal lavé les mains ? Et si j’avais refilé une infection à un patient pendant une opération ?
– Oui, bien sûr. Et sur l’analyse bactériologique, y a marqué « Infection mortelle à microbes-des-mains-de-l’externe« , et tout le monde sait que c’est toi. Idiote…

La fin du staff arrive enfin. Avec elle, le poids de mes responsabilités.
Mon interne m’emmène dans un coin, pour discuter de ma faute.

Pas la mienne, en fait, de faute, il s’avérait.
La faute à l’autre externe.
La veille, elle avait vu dans le service un patient du grand chef de service. Qui voulait le joindre.
Comme il était injoignable, elle avait pris un bout de papier et un crayon, elle avait écrit : « Je rencontre aujourd’hui votre patient Mr Truc, actuellement hospitalisé dans le service à la chambre 14bZ3, qui souhaite vous contacter« , et elle avait laissé le papier dans le tiroir-à-courrier du chef.

Voilà.
Fin de l’histoire.
C’était ça le drame.
C’était ça mon patient mort, mon ostéite fulminante, ma septicémie mortelle, ma veuve éplorée.
Une blouse grise s’était adressé directement à une blouse super-blanche, sans passer par la cohorte de blouses indéterminées intermédiaires.

Soulagement.
Ce n’était pas moi.

Consternom

25 novembre, 2007

Consultations de traumato.

J’accompagne mon interne, qui assure les consultations. Beaucoup de post-op. On regarde les radios de départ, on regarde les radios de contrôle, on regarde la cicatrice qu’elle est belle, on regarde la mobilité des gens qu’elle va revenir petit à petit.

Une très vieille dame attend sagement son tour, sur son brancard, dans le couloir.
Enfin, « sagement » est un euphémisme. On dirait une petite momie. Elle fixe le plafond en silence, parfaitement immobile, les bras croisés sur sa poitrine. Qui se soulève un peu de temps à autre, histoire de montrer qu’elle n’est pas tout à fait encore morte.

La secrétaire arrive paniquée dans le bureau de mon interne, les bras chargés de deux énormes dossiers en carton qui débordent de partout.
C’est le tour de Mme Momie. Sauf que des dossiers au nom de Mme Momie, il y en a deux. Jeanne ou Bernadette, sensiblement le même âge, et, pour une raison obscure mais probablement rigolote qui m’échappe encore, il est impossible de savoir quelle Mme Momie attend dans le couloir.

Branle-bas de combat.
Elle a appelé la secrétaire qui a pris le rendez-vous, et qui n’a ni prénom, ni date de naissance.
Elle a essayé d’appeler la maison de retraite de Mme Momie, sans succès.
Quelqu’un suggère d’appeler le chirurgien qui s’est chargé de l’opération, au cas improbable où il ait soigneusement rangé l’information inutile dans un coin de sa mémoire.
Quelqu’un suggère de regarder les antécédents chirurgicaux dans les dossiers, et de les comparer aux cicatrices de la dame. Pas de chance, deux cols du fémur, tous les deux à droite.

Ensuite vient le défi : raconter la suite de l’histoire de façon pas trop théâtrale, et de façon pas trop « Je-suis-la-reine-du-monde-et-tout-le-monde-est-un-con-sauf-moi » ; ça va être difficile.
Je me suis levée, je suis sortie dans le couloir, je me suis penchée sur le brancard de Mme Momie.
– Mme Momie ? Dites moi, c’est quoi votre prénom ?
– Jeanne, répond Mme Momie.

Voilà voilà…

Empathique ta mère

24 novembre, 2007

Paraît qu’on apprend (aussi) en se plantant…
Bon… Bon, bon, bon.
Tant mieux.

Je me présente : Rrr, interne en médecine gérérale, empathique.
Si si. A fond. Plus empathique que moi, tu meurs.
J’ai un truc, pour être empathique : je fréquente assidûment un forum médical. Je lis des centaines de messages de patients par jour. Alors tu penses bien, moi, les angoisses et les questions inavouées, ça me connaît !

Et voilà qu’au détour d’un signal quelconque, je ne sais plus lequel au juste, je me rends compte que je n’empathise pas, je monologue.
Toute fière que je suis de SAVOIR ce qui angoisse mon patient, et de deviner à coup sûr les questions qu’il se pose, j’y vais de mon petit couplet d’explications, j’enchaîne mes perles, l’une après l’autre, sur le fil bien huilé et unique de la conversation : le mien.
Et il faut bien dire qu’elles sont jolies, mes perles. J’explique bien, je ne vous dis que ça.
Parce que vous savez, c’est très important, les explications. Ohlala, soigner sans expliquer, c’est pas bien. Alors j’ex-pli-que. Tout ce qui est explicable, comptez sur moi pour l’expliquer.

Il ne faut pas culpabiliser en vous disant que blablabla, parce que voyez-vous
Ca lui était peut-être même pas venu à l’esprit, de culpabiliser. Mais maintenant que j’en parle…

[Situation difficile. Souffrance psychologique, drame familial, message de détresse…Vite, vite, montrer sa grosse empathie !]
Oooh oui, je comprends, c’est difficile parce que ceci, et puis on se dit cela, mais vous savez il faut vous dire que patati, et puis il y a des gens qui pensent que cela, mais dans ce cas on croit souvent que
– MAIS TA GUEULE !! J’essaie de te dire quelque chose, là, j’essaie de te dire ma souffrance ; pas la tienne, pas celle des lecteurs de ton forum, pas celle de ton dernier patient qui a eu la même chose, pas celle que tu m’imagines avec tellement de compassion dégoulinante, la mienne.

Votre maladie, elle s’appelle comme ça et elle fonctionne comme ça. C’est tel truc qui dysfonctionne, ça entraîne telle et telle conséquence, et on peut la traiter comme ceci
Mais il en avait peut-être déjà entendu parler ? Sa représentation à lui de cette maladie, c’est quoi ? Il en a compris quoi ? Qu’est ce qui lui fait peur ? Qu’est ce qu’il voudrait savoir, là, maintenant ?

J’ai longtemps cru que j’expliquais tellement bien que les patients n’avaient jamais aucune question à me poser. Je ne m’étais jamais dit que, quand je disais « Vous avez des questions ? », le ton de ma voix voulait dire « Vous n’avez bien sûr pas de questions, après toutes ces belles explications ? ».
Alors forcément, non, ils n’avaient pas de questions. Faudrait pas casser une telle fierté et un tel enthousiasme…
Et si par hasard je leur laissais assez de champ libre pour ne pas être complètement paralysés sous le flot continu de mes explications et pour se permettre un froncement de sourcils, je me disais que je n’avais pas assez bien expliqué et je repartais pour un tour de disque.
Que quelqu’un trouve mon bouton pause…

Empathie : faculté de sympathiser avec autrui, de ressentir les mêmes impressions que lui.
Pour demain, vous me copierez cent fois : « La faculté de ressentir les mêmes impressions que quelqu’un n’est pas la même chose que la faculté de le séduire pour l’amener à ressentir les mêmes choses que vous. »

_____________

J’ai écrit ça il y a déjà quelques années.
En me relisant, je suis très fière d’avoir l’impression d’écrire quelque chose de très vrai, et remplie de honte : après toutes ces belles paroles, je n’ai pas progressé.
Oh, peut-être un peu, peut-être à peine.

De temps en temps, je me force à me taire, je me force à poser une question et à écouter la damnée réponse. JUSQU’AU BOUT.
Mais c’est encore beaucoup trop rare.

L’autre jour, j’ai expliqué à une fille qu’elle avait peut-être (PEUT-ETRE !!!) la mononucléose. Et vas-y que je t’explique, que c’est pas grave comme maladie, qu’on va faire tel test, et que si c’est ça, peut-être elle sera pas fatiguée longtemps mais que peut-être elle sera fatiguée longtemps, et que si elle est fatiguée longtemps, on y fera des arrêts de travail, mais que des fois on n’est pas fatigué longtemps, hein, ça dépend des gens, et que peut-être d’ailleurs si ça strouve c’est autre chose, hein, qu’il y a d’autres virus qui peuvent donner ces symptômes, et que le traitement et que les virus et que les fleurs dans les champs…

Quand j’ai repris ma respiration, elle pleurait. Avec de vraies grosses larmes sur ses joues.
J’ai dû lui faire drôlement peur à répéter que c’était pas grave comme un disque rayé.
J’ai dû drôlement m’écouter parler pour ne pas être fichue de m’arrêter AVANT que les larmes ne coulent.
Je me suis empêtrée, mais pourquoi que vous pleurez ? C’est pas graaaaaaaave, attendez, je ré-explique….

Et à l’arrivée, elle avait même pas la mononucléose.
Un oscar pour moi.

Le mot d’ordre reste le même : ne pas oublier.

Coucou ? Beuh !

24 novembre, 2007

J’aime beaucoup cette histoire. D’abord parce que c’est une histoire de chasse qui a toujours son petit succès facile dans les dîners plus ou moins mondains ; ensuite, parce que je suis fière d’avoir eu un peu de flair.

Je suis de garde aux urgences de la maternité.
Je m’occupe des urgences gynécologiques (comprendre : je m’occupe des mycoses et des problèmes non-urgents de toutes celles qui n’ont pas pu obtenir un rendez-vous avec leur gynéco avant un ou deux bons mois) et des grossesses débutantes.
Au delà de 7 mois, les patientes sont directement prises en charge par les sages-femmes, qui gèrent la plupart des situations et m’appellent si elles ont besoin de moi.

Ma collègue des urgences « normales » me passe un coup de fil pour me signaler qu’elle m’envoie une patiente de 16 ans, accompagnée par ses parents, qui consulte pour douleurs abdominales, mais qui, quand même, a un retard de règles, et, semble-t-il, un ventre assez rond pour être suspect.
Elle ne se dit pas enceinte, ses parents ne la disent pas enceinte.

Dans la salle d’attente, elle attire vite mon regard.
Je ne sais pas trop pourquoi, mais je me dis « Oooh, toi cocotte, je vais te prendre avant les autres« . Aux urgences gynéco, comme il s’agit en grande majorité de consultations sans rendez-vous, et pas d’urgences urgentes, prendre les gens par ordre d’urgence et non par ordre d’arrivée est assez rare pour être signalé.

Quand elle enlève son manteau et son pull, effectivement, elle est très enceinte.
Bon, je suppose qu’elle était aussi très enceinte avant d’enlever son manteau, mais c’était assez peu visible pour ne pas sauter aux yeux.
Je commence à la questionner.
C’est vrai, elle n’a pas eu ses règles depuis quelques mois. Quatre peut-être, ou six. Elle ne sait plus exactement. Non, ça ne lui a pas paru bizarre de voir son ventre s’arrondir.
Enfin, elle paraît quand même un peu gênée quand elle me répond. Je suppose qu’elle est coincée : si elle se sait enceinte, c’est une menteuse ; si elle ne se sait pas enceinte, c’est une idiote. Le choix est cornélien…

Je pose encore quelques questions, mais j’arrête rapidement l’interrogatoire pour l’examiner.
Fait encore assez rare pour être signalé : j’ai l’habitude des interrogatoires policiers, interminables, qui me font remonter jusqu’aux antécedents de l’arrière-grand-tante et aux amygdalectomies d’il y a 27 ans.

Je lui fais un toucher vaginal, et le temps suspend son vol.
Bon, ok, je suis en tout début de stage, et j’ai l’habitude des tout débuts de grossesse, mais quand même, si je sens au bout de mes doigts seulement ce qui ressemble fort à une tête de bébé, et du col nul part, ça s’appelle une dilatation complète, non ??

Je décroche le téléphone : SOS sages-femmes.
La cavalerie arrive, tv-ette à tout va, et confirme : dilatation complète, complètement en travail, on passe fissa en salle d’accouchement.

La rencontre avec les parents, ensuite, a été assez rigolote. Annoncer dans l’ordre :
– Mmm, oui, votre fille est enceinte.
– Elle est d’ailleurs passablement très très très enceinte
– Non, vous ne pouvez pas la voir maintenant, elle est en train d’accoucher, là.
– PS : on n’a aucune idée de l’âge de la grossesse, donc aucune idée de l’âge du bébé, donc aucun moyen de prévoir si il sera très en forme ou très prématuré en sortant de là.
– Allez, bisous !
est un exercice d’improvisation de haute-volée.

Pour la fin de l’histoire, je signalerai que le bébé était une petite fille, un peu prématurée mais pas tant que ça, très en forme, et qu’elle est repartie chez elle accompagnée d’une maman pas si mal, et de grands-parents un peu sous le choc mais néanmoins très heureux de l’accueillir.
Happy-end, donc. :)

MDR

15 novembre, 2007

Un jour, vraiment, je poserai une bombe dans une maison de retraite.
Ah, non, zut, mince, les petits vieux…
Un jour, vraiment, je poserai une bombe dans les locaux administratifs d’une maison de retraite.

A chaque fois ils nous font le coup. A CHAQUE FOIS.
Les trois dernières fois :

1) )
Elle a 84 ans. Sur la feuille des pompiers, c’est marqué qu’elle vient pour « Malaise et occlusion« .
Ahahah, ça commence bien ^^
« Malaise et occlusion« … Pourquoi pas « Douleur et cataracte » ?
(Un jour, je vous raconterai les « motifs de détresse » des pompiers. Motif de la détresse : « Un homme de 52 ans fait un malaise ». « Une femme a mal au ventre ». « Un homme est trouvé sur la voie publique ».
Ma grande préférée, indétrônée à ce jour : « Motif de la détresse : une femme de 42 ans est assise sur son canapé« . Ca ne s’invente pas…)

Bref. Celle-là vient pour « malaise et occlusion », on a dû leur dire ça à la maison de retraite. (Médicalisée, hein, la maison de retraite. Avec des infirmières et tout.)
Dans l’enveloppe qui l’accompagne, j’ai une feuille avec la photocopie de sa carte vitale. Comme ça, je sais qu’elle s’appelle Marguerite.
Dans l’enveloppe, encore, …
Ah, non, rien.
– Les coordonnées de la maison de retraite ? Il faudra utiliser les pages jaunes.
– Les antécédents ? Pour quoi faire ?
– Le traitement en cours ? C’est important ??
– L’histoire de la maladie ? Pensez-vous ! Elle viendrait pour fracture du col du fémur, je pourrais me dire que l’histoire de la maladie, c’est « A tombé« . Non. Elle vient pour « malaise ». LE problème entre tous dont le diagnostic repose à 99% sur l’interrogatoire et l’histoire de la maladie. Et comme Marguerite m’a été livrée très, très démente, je ne peux pas tellement compter sur elle pour me raconter ce qui s’est passé.

Folle de rage, j’appelle. Je tombe évidemment sur le gentil aide-soignant de nuit, qui n’a rien vu, mais qui a entendu dire qu’elle avait fait un malaise.
– Mais quel malaise ? Elle a dit j’ai la tête qui tourne ? Elle est tombée ? Elle s’est cogné la tête ? Elle a perdu connaissance ?
– Heu… Bin vous savez, moi je suis de l’équipe de nuit… Je sais qu’elle a eu un malaise pendant le repas et qu’elle a glissé de sa chaise…
– Bon. Bon bon bon. Et son état habituel, c’est quoi ?
– ….
– Je veux dire, elle est désorientée depuis la chute ?
– …..
– Je veux dire : elle est toujours folle comme ça ??
– Ah oui, ça oui, elle est un peu perdue tout le temps, vous savez.
– Bon, et cette histoire d’occlusion ?
– ….. ?
– C’est écrit « occlusion » sur la feuille des pompiers… Elle a dit qu’elle avait mal au ventre ? Ses dernières selles remontent à quand ?
– Heu…..
– Vous pouvez bien me trouver la date de ses dernières selles dans son dossier ? C’est forcément écrit quelque part…
– (De bonne volonté) : Je vais voir et je vous rappelle.

Non, ce n’était écrit nulle part. Alors dans le doute, hein, on fait un ASP (oui, pour ceux qui suivent, l’occlusion fait partie des cas où l’ASP sert à quelque chose…), un scanner cérébral, un bilan bio, on a gardé Marguerite en observation (au service portes, toujours pour ceux qui suivent, bravo) 48h et on l’a renvoyée chez elle.

2))
Il a 76 ans. Je ne sais plus pourquoi il est là.
Dans l’enveloppe qui l’accompagne, j’ai la photocopie de sa carte vitale (comme ça je sais qu’il s’appelle Raymond), et, ô, miracle, une autre feuille !!
Qui ne me dit rien de ses antécédents, rien de son traitement, rien de l’histoire de la maladie.
Par contre, je sais qu’on l’a changé à 12 et 16h, qu’il a eu un repas mixé à 11h30, qu’on lui a lavé les cheveux avant-hier et que la pédicure est prévue pour mercredi prochain.
(Je vous jure….)

3)) Elle a 78 ans. Elle vient, toujours d’après la feuille des pompiers, pour « Hypertension sévère et déséquilibre glycémique« .
Ce jour-là, miracle, encore, j’ai une photocopie d’un compte-rendu d’hospitalisation de 1995, et la liste de ses médicaments. Non datée, la liste. Ca s’trouve, de 95 aussi.
Je ne sais pas à combien était la tension chez eux, mais chez nous, à l’entrée, elle est à 14/8 ; on a vu plus sévère.
Bon. Voyons voir cette histoire de diabète. Je ne sais pas à combien était le dextro chez eux, mais chez nous, oui, il est élevé.

J’épluche…
– Médicament qui-sert-à-rien pour les oedèmes des jambes
– Médicament qui-sert-à-rien-et-qui-est-dangereux pour les troubles de la mémoire…
– Laxatif
– 2ème laxatif
– 3ème laxatif (Bon, je suppose qu’elle est constipée…)
– Traitement contre l’ostéoporose
– Antihypertenseur (Ah ! Elle est hypertendue habituellement ! On progresse…)
– Antalgique
– Médicament-qui-sert-à-rien-pour-les-vertiges
– Médicament-aux-plantes-qui-sert-à-rien-et-qui-est-dangereux pour les « troubles dépressifs mineurs »
– Crême-pour-les-escarres

Mmm. Et un médicament pour le diabète ? Non ? Vraiment ?
Parce qu’elle vient un peu pour déséquilibre du diabète, hein, à la base, je le rappelle…
Elle est juste assez lucide pour me soutenir qu’elle prend du Diamicron et du Stagid depuis des années, juste assez démente pour ne plus savoir si on lui a donné ce matin.

En appelant la maison de retraite, je tombe, sur, devinez ? un gentil aide-soignant qui ne sait pas du tout si la liste de médicaments que j’ai sous les yeux correspond à son traitement du jour ou pas, et si elle a eu, ou pas, des médicaments pour son diabète ce matin, ni quelle dose elle a d’habitude.
C’est merveilleux.

En fait, j’ai mieux que l’histoire de la bombe.
Un jour, je vous jure, je vous jure que je le ferai, je prendrai une épingle à nourrice, un bout de papier et un crayon, et je renverrai à la maison de retraite une petite dame épinglée :
 » A une maladie. Lui donner des médicaments. « 

La crise

15 novembre, 2007

J’ai un respect infini pour les infirmières.
Vraiment. Je ne compte plus les fois où une infirmière m’a sauvé la mise en rectifiant une de mes prescriptions (« Je suppose que tu voulais pas vraiment mettre 10 grammes de Perfalgan ?« ) ou en corrigeant un de mes oublis (« J’ai piqué les gaz du sang, hein…« )

Mais quand même, des fois, pardon, celles qui appellent la nuit dans les étages…
(Quand on est de garde, on s’occupe des urgences, et on a un bip. Qui bippe quand on a besoin de nous quelque part, le plus souvent « dans les étages », c’est à dire dans les services d’hospitalisation. Dans ces cas-là, on rappelle pour savoir qui nous demande, et on essaie d’évaluer si la situation mérite qu’on quitte les urgences en courant (au ralenti comme à la télé), ou si ça peut attendre un peu…)

– Oui, excusez-moi de vous déranger, je vous appelle parce qu’on a le monsieur du 16 qui a de la fièvre…
– Mmm, oui, quel âge ?
– …………..
– Jeune, vieux, très très vieux ?
– Heuuu, un peu vieux, quoi, normal….
– Ok, et il est hospitalisé pour quoi ? (La question qu’il ne faut JAMAIS poser, et que, naïvement, on pose toujours…)
– ………
– … ?
– …… Heu, vous savez, moi je suis là que la nuit……
– Ok, il a quoi comme constantes ?
– … Heuuuu, ma collègue est en train de les prendre….
– Ok, et il a quoi comme traitement ?
– ……..
– Bon, bah je vais monter….

Une fois là haut :
– Vous avez son dossier médical ?
– ………
– S’il vous plaît ?
– …. Vous en avez besoin ?
– Heuuu, bin oui.
– Bon, bin je vais le chercher, je reviens dans 15 minutes….

La dernière fois :

– Allo, excusez-moi de vous déranger, mais est-ce-que vous pouvez venir ? Le monsieur de la 32 fait une crise….
– Mmm… Une crise de quoi ?
– …. ????
– Une crise de goutte ? Une crise économique ? Une crise de nerfs ?
– Oui ! C’est ça ! Une crise de nerfs !
– ……
– ……
– …… Je monte…..

Le rhume à toto

9 novembre, 2007

Le stage qui a failli me faire arrêter la médecine, et retourner à mes anciennes ambitions de dresseuse d’ours.
Extraits de mails envoyés à l’époque à mes proches, je n’ai pas le courage de raconter à nouveau…
C’est long et passablement déprimant, faites-le vous en plusieurs fois… ;)

La rhumato, c’est super facile :)

– Quand une petite dame de 82ans dit « Ce matin, j’ai eu un peu mal à la poitrine« , on arrête là l’interrogatoire (qui n’a que trop duré), et on demande une tropo, un ECG et un avis Cardio.

– Quand quelqu’un a mal à x, y, n et z, on demande des radios et/ou un scanner de x, y, n et z. Sans oublier le profil, le 3/4 et les autres incidences qui existent. Ce qui permet d’affirmer sans hésitation que l’arthrose de Mme Gémaltoutpartout n’a pas tellement-tellement évolué depuis son dernier bilan en ville il y a 15 jours.

– Quand une IRM d’un patient s’annule, il faut paniquer très très vite. Parce qu’on a 4 créneaux IRM par semaine et qu’il FAUT les utiliser. Alors, on cherche parmi nos patients hospitalisés s’il n’y en a pas un qui traîne et qui n’aurait pas encore eu d’IRM. Tiens, Monsieur Machin a mal à la main, ça tombe rudement bien.

– Le self est très très bon. On choisit ce qu’on veut et même qu’il y a des frites tous les jours. Sauf le mardi. Parce que le mardi, on déjeune en salle de conférence avec le laboratoire du mardi, et ça, c’est chouette, parce que ça fait économiser un ticket repas. Un jour, je voulais des frites, et j’ai demandé à ne pas assister au topo du labo. Interdiction formelle de ma chef de service.

– L’autre jour, j’ai reçu Mme R. pour une lombocruralgie déficitaire.
65 ans, vive, dynamique, souriante, en pleine forme, un bonheur de patiente.
Au scanner (oui, parce que bon, quand même, des fois, on en demande des qui servent à quelque chose) des métas osseuses absolument partout. A la visite du lendemain, (la grande visite du jeudi avec la grande chef de service), j’explique à la grande chef de service que Mme R. a eu son scann la veille au soir et qu’elle n’est encore au courant de rien.
Et je m’entends expliquer qu’ il ne faut rien lui dire avant les résultats anapath écrits d’une biopsie osseuse qui sera faite un jour prochain, soit quelque chose comme dans 2 semaines au mieux. Mais qu’en attendant, il faut lui faire un scanner thoracique et une mammographie. Et ah oui, prendre un rendez-vous avec l’oncologue du service.
J’essaie d’expliquer mon enthousiasme modéré à l’idée de dire à cette femme qu’on va lui faire une mammo pour une douleur de la jambe, elle me répond qu’il n’y a qu’à dire « On doit faire plus d’examens » et que voilà. Elle m’interdit au passage de dire quoi que ce soit moi-même à la patiente.

– Le chef de clinique se dévoue : « J’irai lui annoncer la mauvaise nouvelle cet après-midi ».
L’après-midi même, il sort de la chambre de Mme R et me raconte : « Bon, ça y est, je lui ai dit. Je lui ai dit qu’elle avait une inflammation sur le rachis et qu’il fallait faire d’autres examens. Elle n’a pas tiqué »
Elle n’a pas tiqué ??? Vraiment ?? Ah, tiens donc…
J’ai dû appeler le médecin qui nous l’avait adressée pour qu’il passe lui parler.
Le matin de son IRM, elle s’est fracturé le col sur une méta, et elle a été transférée en chirurgie.Tout le monde n’a parlé que de cette triste histoire pendant une semaine.(Par triste histoire, j’entends le fait qu’elle ait été transférée et que par conséquent tout le bénéfice de son séjour chez nous soit gagné par l’orthopédie.)

– Hier, la grande chef de service m’a fait infiltrer une colique hépatique.
Typique, magnifique, tous les signes des livres, et l’écho qui confirme les calculs.
De signes de sciatique, aucun. Mais vraiment aucun.
Je ne suis pas plus maligne que tout le monde, c’est juste que cliniquement, le doute n’était pas possible. J’ai piqué, j’ai sorti l’aiguille, j’ai vidé l’aiguille dans la poubelle, et j’ai écrit dans le dossier « Ce jour, épidurale L5-S1 ».

– L’autre a remis ça avec son histoire d’inflammation… A un homme qu’on traîne d’examens en examens depuis plus de trois semaines, qui nous disait clairement qu’il n’en pouvait plus d’attendre ce fichu diagnostic, qui nous disait qu’il « voulait savoir la vérité même si c’était un cancer« , dont la femme est morte d’un cancer du poumon il y a trois ans, qui a eu une fibro avec biopsie dont il savait qu’on attendait le résultat anapath et qui va être transféré en cancéro…
Bin il a réussi à se pointer dans sa chambre et a lui dire qu’on avait les résultats anapath et que c’était une inflammation du poumon.

– L’infirmière vient nous voir parce que la dame du 16 a mal au ventre. Interrogatoire ? Examen ? Que nenni, qu’existe-t-il qui ne se résolve pas avec un bon ASP ??
(Un ASP, c’est un « Abdomen Sans Préparation » : une radio du ventre. Qui, contrairement à ce que croient certains patients, ne permet pas du tout de « voir ce qui se passe », mais qui peut aider à confirmer ou infirmer, mettons, 2 ou 3 diagnostics, parmi tous ceux qui peuvent donner « mal au ventre »)
L’ASP, oh, surprise, est normal.
Le lendemain, quand l’infirmière est venu nous voir pour nous dire que la dame du 16 avait TOUJOURS mal au ventre (oui, c’est étonnant, les ASP ne soulagent pas la douleur…) savez-vous ce qu’il a fait….??
Oui, vous ne rêvez pas, un autre ASP.

– La chef de service et la chef de clinique sont folles toutes les deux, et se haïssent cordialement.
Enfin, je dis « cordialement » pour le style. C’est à peu près tout ce qu’on peut imaginer d’anti-cordial.
Pas un jour ne se passe sans hurlements ou rendez-vous chez le directeur de l’hôpital.
Elles ne font plus le tour ensemble.
Elles prescrivent systématiquement l’inverse de ce que l’autre a prescrit, avant même de voir le patient.
Au bout de l’ordonnancier, moi.
Elles me préviennent chacune que, si je prescris l’examen que l’autre a demandé, et si ça tourne mal, je serai seule au monde face aux juges et qu’il n’y aura personne pour me défendre.