A une malabaraise

30 septembre, 2008

Entre, je me souviens de toi.
Bien sûr que je me souviens de toi.

Tu étais venue me voir la semaine dernière, toi qu’on avait jamais vue dans ce cabinet.
C’est que tu arrivais d’Afrique, et que tu n’étais là  que pour quelques mois, en vacances. Toute douce, très attentive, jeune, jolie. Tu venais d’une grande ville d’Afrique, j’ai oublié laquelle, pardonne moi. En tout cas, j’avais noté ton français impeccable et ton allure très européenne. Tu n’avais pas de carte vitale, du coup, bien sûr, et pas de couverture sociale, mais tu allais payer ta consultation de ta poche sans problème.
Tu venais me voir pour tes problèmes de sommeil.
Tu m’a raconté calmement, de ta voix joliment lointaine, joliment détachée, ta rupture récente, douloureuse, ton départ en vacances qui avait tout l’air d’une fuite, et puis, depuis, l’impossibilité de t’endormir le soir.
Tu m’as servi l’insomnie transitoire aiguë la plus belle de toute ma (certes jeune) carrière.
La même chose qu’à la mort de ton père il y a plusieurs années. Tu avais pris 3 ou 4 semaines un Stilnox avant de te coucher, et puis c’était passé, et tu n’en avait plus jamais repris depuis.

Elle était belle ton histoire.
Moi, j’étais vaguement mal à l’aise, mais elle était belle.
J’ai beaucoup pensé à toi après ton départ.
Bien sûr, j’avais pensé à la possibilité que tu me mentes. On voit des tas de gens inconnus qui ont de belles histoires qui débouchent sur une demande de prescription de benzos. Rarement aussi belles que la tienne, mais on en voit plein.
Je n’étais pas sûre que tu ne me mentes pas, mais je me méfiais de ma méfiance. On a vite fait de se méfier trop des gens. Et puis, comme on ne peut pas reprocher aux gens leurs trop jolies histoires, et comme on ne peut pas se fier seulement à son malaise, à son instinct, à ses antennes qui frémissent, je t’avais accordé le bénéfice du doute.
Pour tout ça, et aussi parce que derrière quelqu’un qui ment pour avoir ses stilox, il y a une personne malade. D’une autre maladie, mais malade. Et cette personne là, il faut essayer aussi de faire ce qu’on peut pour elle, la dénicher, l’accrocher comme on peut, la faire revenir et travailler avec elle. Et pour la faire revenir, parfois, on fait des concessions.
Tu étais partie en évoquant un « bilan » que tu voulais profiter de ton séjour en France pour faire, et tu m’avais dit que tu reviendrais.
Et tu es revenue.

Tu es revenue, mais pas pour le bilan. Tu voulais revenir avant, mais comme je n’étais pas là, et que c’était vraiment moi que tu voulais voir, te voilà aujourd’hui.
Parce qu’on t’a volé ton sac, et, c’est ballot, quand même, ton ordonnance avec.
Merci pour l’eau à mon moulin, merci d’avoir transformé mon vague instinct en conviction intime, ça va m’aider.
Le rideau est levé, début de l’acte II, on va pouvoir bosser maintenant.

Mais ça cloche. Le voile est levé, mais ça cloche toujours.
Tu es toujours aussi jolie, toujours aussi calme, toujours aussi parfaite, et moi, je suis toujours aussi mal à l’aise. Ca sonne toujours du côté de mon alarme intérieure, et je ne sais pas pourquoi. A croire que c’est ni du lard, ni du cochon. Je sais que je suis en train de passer à côté de quelque chose dans les grandes largeurs, mais je ne sais toujours pas à côté de quoi.
Ton discours est toujours aussi parfait, et toi toujours aussi poliment distante, toujours aussi attentive à ce que je dis, toujours aussi agréable.
Tu connais ton texte, mais tu joues mal.
Alors, comme je sais quelle pièce on joue,  même si je n’arrive pas à discerner l’envers du décor, je te donne la réplique.
Je joue mal aussi. Et j’ai l’impression qu’on le sait toutes les deux.

– « Mmmm, on va essayer de changer de molécule, d’accord ?  »
Tu me vois venir, avec mes gros sabots, et tu me liste très calmement toutes les molécules qui ne te font aucun effet, toi qui es « très résistante aux médicaments ». Tu essaies même de me servir quelques crises d’angoisses bien typiques, au cas où ça pourrait faire pencher la balance, mais tu abandonnes vite.

On se donne encore un peu le change pendant un moment.
On fait semblant de parler de ton bilan, je fais semblant de faire les choses bien. Je fais semblant de te faire parler, et de m’intéresser à ce que tu dis. Je fais semblant de te ré-expliquer le sommeil, les médicaments, tu fais semblant de m’écouter toujours aussi attentivement. Je te donne l’adresse de quelques psychologues, en faisant semblant d’insister, et tu fais semblant d’acquiescer. On se quitte chaleureusement, pleines de sourires toutes les deux.

J’ai compris après que tu sois partie.
Tes stilnox, ma douce, je crois que tu les vends.
Tu ne les boulotte pas, tu les fais boulotter à d’autres.

Sous cet éclairage là, la pièce prend forme, soudain.
Voilà ce qui clochait, voilà ce qui sonnait.
Je cherchais ta souffrance, alors que tu ne souffres pas.
Je t’ai cherché dépendante, je t’ai cherchée toxico, je t’ai cherchée folle d’angoisse, je t’ai cherchée partout et tu n’étais nulle part.

Ca explique pourquoi tu étais tellement lisse.
Ca explique pourquoi tu étais tellement polie.
Ca explique pourquoi tu étaits tellement jolie.

Ca explique pourquoi j’étais tellement mal à l’aise, du malaise du manipulé, alors que je n’aurais plus dû l’être dès le lever de rideau de l’acte II.
Ca explique ton absence totale d’affolement quand je t’ai refusé les benzos. C’est souvent à ce moment de la consultation que le vrai dépendant flanche. On voit une lueur de panique dans ses yeux, on entend un début de tremblement dans sa voix, on le voit se débattre avec de nouveaux mensonges mal cousus pour essayer encore, pour essayer quand même.
Ca explique ton grand numéro de séduction. Les dépendants sont manipulateurs, mais ils sont rarement séduisants.
Ca explique pourquoi tu voulais nous revoir exclusivement nous, moi et mes couettes.

Je sais qu’il n’y aura pas d’acte III, que tu iras le jouer dans un autre cabinet, et ça me soulage.
Je n’aurais pas su m’occuper de toi.

Misogynie à part

24 septembre, 2008

Septembre, le temps béni des certificats.

Elle est jeune, vue sept ou huit fois au cabinet, sans soucis de santé particuliers.
– Bonjour, je viens parce que j’aurais besoin d’un certificat pour faire de la musculation.
– Bon, très bien, on va voir ça. Il n’y a rien d’autre ? C’est la seule raison de votre consultation ?
– Oui oui, il n’y a que ça.
– Bon, ça va aller vite, si il n’y a que ça. Tant mieux, on va en profiter pour compléter votre dossier médical, alors.

Texto, ça a commencé comme ça.
Mot pour mot.
La passionnée des interrogatoires et des petites cases bien rangées qui sommeille en moi en jubilait d’avance. Je te lui ai fait un dossier aux petits oignons que même les formulaires d’assurance ont jamais vu ça. Ça a largement rempli les 20 minutes de la consultation, mais ça valait le coup ; c’était nickel.
Pour ça, j’aime bien les certificats sportifs. Ça donne l’occasion de mettre au propre toutes les petites choses essentielles qu’on est souvent frustré de devoir laisser en vrac.
C’est donc avec toute la béatitude du travailleur satisfait accrochée sur mon visage que je lui demande 22 euros s’il vous plaît mademoiselle. (Dur apprentissage, au passage, demander des sous à la fin d’une consultation. Je ne m’y suis toujours pas tout à fait faite…)

– Ah alors oui, aussi, me glisse-t-elle à ce moment précis, pleine de dédain pour ma béatitude qu’elle est, je pars en Asie dans quatre jours, alors il faudrait voir pour mes vaccins, c’est trop bête que j’ai oublié mon carnet de santé, et puis pour les médicaments pour le palu et puis les autres médicaments.

Bien sûr.
Normal.
Affligeant de banalité.
Tu te souviens, gentille abrutie, que je t’ai posé la question, clairement, tout à l’heure, il y a 19 longues minutes, avec des mots et tout ? Oui, probablement que tu te souviens.
Alors sans doute que tu ne sais pas que « juste les vaccins et juste les médicaments », ça va entraîner plein de nouvelles questions, et que ça va prendre plein de nouvelles minutes.
Et figure-toi que c’est précisément parce que je sais que tu ne sais pas que j’ai FUCKING POSE LA QUESTION TOUT A L’HEURE.

La « consultation de seuil », ça s’appelle.
Le terrible « Ah et oui docteur aussi, je voulais vous dire… » qui nous hérisse systématiquement tout ce qu’on a de système pileux parce que la fin de la phrase est systématiquement tout sauf un détail, et qu’elle survient systématiquement quand l’ordonnance est faite, le patient rhabillé, le chèque signé et la carte vitale vitalisée.

Il y a plusieurs espèces de consultation de seuil. Globalement, on peut les classer en trois grandes catégories, que Brassens avait très justement décrites dès 1969 : les emmerdantes, les emmerdeuses, et les emmerderesses.

Les emmerdantes, ce sont celles dont on aurait effectivement pu s’occuper pendant la consultation qui vient de s’achever, en plus du reste, pour peu qu’on nous ait seulement appris leur existence 20 minutes avant. On aurait raccourci un peu les politesses, on aurait rogné quelques secondes de-ci de-là, on aurait remis à plus tard le truc pas urgent qu’on a justement fait parce qu’on pensait naïvement que c’était l’occasion de le faire.
Exemples d’emmerdantes : « J’ai quelque chose sur le pied depuis un moment, un genre de bouton ou je sais pas quoi, je pensais que ça allait partir mais ça part pas » OU « Je voulais vous montrer un grain de beauté que je trouve bizarre » OU « Sinon, de temps en temps, j’ai un peu mal aux genoux » ET quand le patient vient tout juste de descendre de la table d’examen, de remettre son jean, de relacer ses chaussures et de reboutonner minutieusement sa chemise.

Dans ces cas-là, on peut expliquer gentiment, que, ah, là, ça va pas être possible, qu’on n’a plus trop le temps, mais qu’on verra ça la fois prochaine.
Des fois, le patient se fâche et dit qu’il va porter plainte au conseil de l’ordre parce que c’est pas normal un médecin qui refuse d’examiner un patient. Ça arrive préférentiellement quand la consultation comportait déjà 4 ou 5 motifs différents, le bouton sur le pied étant le numéro bonus.
Dans ces cas-là, j’ai tendance à sourire de toutes mes dents et à encourager vivement la démarche.

Les emmerdeuses sont, sans surprise, un peu plus raffinées. Elles présentent deux caractéristiques principales : d’abord, et c’est obligatoire pour atteindre le rang d’emmerdeuse, elles nécessiteraient à elles seules une ou plusieurs consultations rien que pour elles.
Ensuite, et c’est souvent un corollaire, ce sont les vrais motifs de la consultation un peu bateau qui les précède. De celles qui ne se dévoilent que pudiquement, une fois le dialogue et le climat de confiance installés. L’air de rien (comme si c’était ça, le détail, et pas la rhino ou la tension à contrôler), on nous glisse sur le ton de la conversation mondaine : « Ah, et puis je dors terriblement mal la nuit depuis deux semaines, mais j’ai pas trop le moral en ce moment alors je suppose que c’est pour ça » OU « Vous pourriez me mettre quelque chose pour l’appétit et pour la fatigue ?« , OU « Oh, c’est pas très gai à la maison en ce moment avec ma femme qui s’est remise à boire« .

Regarde docteur, regarde ce qu’il y a sous le voile. Tu vois, c’est là, c’est moi, c’est ça que je voulais te dire, c’est ça qui me pèse, mais déjà que je me l’avoue à peine à moi… Et puis c’est pas une vraie maladie, je voulais pas te déranger rien que pour ça…

Les emmerdeuses sont difficiles à gérer. Il faut réussir à dire : « Non, je ne vais pas m’en occuper maintenant, je ne vous écouterai pas. Ce n’est pas parce que ça ne m’intéresse pas, c’est parce que ça m’intéresse trop, et qu’il faut qu’on prenne vraiment du temps pour en parler, du vrai temps, pas du temps au rabais d’entre deux portes. »
Il faut réussir à les faire revenir pour ça alors que justement ils cherchaient à venir pour autre chose.
Ou alors, il faut s’en occuper tout de suite pendant que c’est là, ce qui implique de réussir à avoir une salle d’attente vide un lundi après-midi.

Les emmerderesses, ce sont toutes les consultations de seuil qu’on ne peut pas se permettre de le laisser franchir. Celles qu’il va quand même falloir voir, là maintenant, même si les probabilités veulent qu’elles ne seront sûrement que des emmerdantes.
Exemple d’emmerderesses : « Oh, et puis mettez-moi quelque chose pour la tête, j’ai terriblement mal à la tête depuis deux jours, ça m’a pris d’un coup« , OU « Ah et par contre j’ai très mal au ventre« , OU « Et sinon, je voulais vous dire, je trouve ça bizarre, je ne vois plus très bien du côté gauche de mon œil« .

Pour celles-là, on sait qu’on va se rasseoir, faire re-déboutonner la chemise, re-poser des questions, re-faire un examen, re-commencer depuis le début.
De toute façon, le chèque de 22 euros est déjà prêt.

Nouvelles, bonnes nouvelles.

17 septembre, 2008

Quelques nouvelles de la mère de ma patiente.
Celle qui avait l’outrecuidance de mourir d’autre chose que d’un bon vieux cancer bien de chez nous.

J’ai trouvé un réseau.
J’ai eu comme interlocutrice une infirmière dont la voix m’a paru pleine d’énergie, pleine de douceur, pleine de détermination. Et qui ne trouvait pas honteux d’avoir un coeur qui s’épuise.
J’ai enfin réussi à l’avoir, après beaucoup de coups de fils aoûtesques infructeux, un beau jour J.

A J+2, elle est passée voir la dame pour une première visite à domicile.
A J+4, elle avait ré-organisé les aides ménagères, parce qu’elle trouvait que bon, 15h par semaine pour faire uniquement le ménage, et laisser les courses, les carreaux et la cuisine à la fille, c’était limite.
A J+5, le médecin du réseau est passé pour évaluer le problème de douleur.
Entre J+5 et J+20, il y a dû avoir, je suppose, quelques épines en moins dans la vie de ces deux femmes. 
Parce qu’à J+20, on m’a livré un bouquet de roses au cabinet, au beau milieu de ma consultation.

Bonheur :)

En guise d’anniversaire blogal, je me relance dans une petite sélection de mes recherches google préférées à moi que j’ai. Florilège, donc.

D’abord, pour me faire plaisir, on notera deux différences majeures avec la fois dernière
>> il y a des gens qui sont venus parce qu’ils me cherchaient. Moi. Si si. Bon, pas tout le temps avec les bons mots dans le bon ordre, mais quand on tape « jador ourse medecine blog« , c’est quand même qu’on a envie de trouver mon blog. Et je passe modestement sur le fabuleux lapsus.
>> il y a beaucoup moins de gens qui se demandent combien il reste d’ours polaires dans le monde en 2008. Bon, il y en a encore, mais moins. L’instit sadique a dû partir en congé maladie.

Ensuite, au milieu des dorénavant classiques recherches de grosses bites, ou d’infirmières nues qui font des choses avec les grosses bites, on notera les « presque classique mais pas tout à fait » :
tu la sens ma grosse b 3 points (Ah, parce qu’il y a un barème ??)
juste du cul (Trop de décorum sur les sites habituels ?)
empathie cul (Ok…)

Même si on se fiche maintenant de savoir combien il en reste, les ours ont encore la part belle :
compien vie un ours
photo d’ours en rouge
photo d’ours mangeant
photo d’ours amoureux avec des coeurs (Hou c’est meugnon)
des nouvelles des ours droles
prénom pipe ours (Pardon ?)
pas de trous sans ours (Le pauvre, il cherche toujours…)

Peut-être bientôt détrônés par les lézards, qui font une entrée remarquée dans le top-500 :
lezard qui fait toc toc
lezard malade qui est tout blanc
tout les lézards pas chères des vrais (Mais vraiment tous, hein)

Si vous avez envie de monter un blog qui cartonne, je vous souffle une idée porteuse : le blog-Allô-Macha :
mes collegues me desteste pourquoi (Peut-être parce que tu es le genre de type à croire que Google a la réponse ?)
j veu devenir ami avc une fille mais elle a une mauvaise reputation (Toutes des salopes)
il dit je t appelle et il le fait pas (Tous des salauds)
de mots pour que mon amoure me pardonne (T’as qu’à lui envoyer des photos d’ours amoureux avec des coeurs)

Il y a ceux qu’on peut aider vraiment :
qui est le docteur vincent (C’est lui)
– cardiologue de brousse (C’est un très apprécié lecteur-commentateur.) 
cardiodebrousse (Pareil)
dr coq (C’est lui. Grand hommage à lui)
badges infirmier rigolo (C’est par là)

Et enfin, mes préférés, ceux aux questions existentielles, qu’on voudrait bien pouvoir aider si seulement on comprenait ce qu’ils cherchent :
vessie pleine des rhumes comment tomber enceinte (Houla. Là, je sais pas.)
septicémie symbolique (C’est quand il y a UN microbe dans le sang.)
septicémie cernes (C’est quand il y a PLEIN de microbes dans le sang. Forcément, ça fatigue)
quel nourrisson a deja attribué une infection urinaire (Et enfin, la pyelonéphrite ira à la chambre… (roulements de tambours…) 214 !)
ton cerveau ne doit pas remplir sa boîte cranienne (Effectivement, j’espère pas pour lui)
mourir d’un mal de ventre règle (Non, ça se peut pas. On croit que si, des fois, mais non)
le test de pipi dans du sel (Je veux bien savoir ce que c’est, ça a l’air rigolo)
film serpillère qui tue (Je veux bien le voir, ça a l’air rigolo aussi)
tout sur le pipi (Tu préfères pas Juste du sexe ?)
le savez vous toto (Et bin maintenant on le saura.)

Et enfin, celui qui cherche le célèbre :
schema caillot au coeur
Je crois bien que j’ai ! Mais comme je n’ai ni mon intégrale de Boby Lapointe sur moi, ni de scanner, je vous en mets une de remplacement en attendant.

 

Je ne peux décemment pas finir cet article sans vous conseiller très, très lourdement la lecture de celui de Thomas, maître en la matière.

A notre santé

7 septembre, 2008

Les patients qui fument, qui boivent et qui mangent n’importe quoi, ils sont bêtes.
Ils auront un cancer du poumon, une cirrhose et un infarctus.
Ils sont bêtes, et en plus ils sont méchants.
Ils se fichent bien de tous les efforts qu’on fait pour qu’ils soient en bonne santé.

Alors, une partie de notre travail, c’est de faire en sorte qu’ils ne fument pas, qu’ils ne boivent pas et qu’ils mangent des haricots verts.
Et, pour cette partie là de mon travail, je suis particulièrement nulle.

Ce n’est sans doute pas tout à fait étranger au fait que je fume, que je bois trop, que je me nourris essentiellement de pâtes, de crême fraiche et de burgers, et que le seul sport que je pratique, c’est mes 10 heures hebdomadaires de raid dans WoW.
Mais ce n’est pas que ça non plus. Je ne crois pas. Je ne sais pas.

J’ai eu un prof dont c’était le dada.
Ses yeux pétillaient à chaque fois qu’il disait les mots « prévention » ou « motivation ».
Les patients, il fallait leur faire comprendre.

Leur faire comprendre que c’est mal de manger du saucisson ; leur faire comprendre que c’est mauvais pour la santé, la bière ; leur faire comprendre que pas fumer, c’est super vachement chouette.
Leur faire comprendre.
Il était plein de bonne volonté, à nous raconter comment on fait comprendre aux gens. Et qu’il faut pas culpabiliser, et qu’il faut pas menacer, et que ouhlala les entretiens motivationnels c’est trop bien.
Il nous expliquait en long et en large qu’il ne faut surtout pas se mettre dans la position du sage détenteur du savoir qui regarde d’en haut le pauvre pêcheur en brandissant l’index et en fronçant les sourcils de l’air mécontent et déçu du bon paternaliste.
Et, à côté de ça, il disait qu’il fallait leur « faire comprendre ».

« Ah mais pourtant on y fait comprendre, hein, docteur, au petit, qu’il faut bien travailler à l’école !« …
Sic.
Je ne sais pas trop ce qu’il arrivait à faire comprendre à ses patients, mais moi, de l’écouter 10 min, ça me donnait sauvagement envie d’allumer une clope.
Ou comment expliquer qu’il ne faut pas être paternaliste tout en suant le paternalisme à grosses gouttes.

J’en ai eu un autre aussi, qui disait à ses patients qu’arrêter de fumer, c’était vraiment pas la mer à boire. Que tout ce qu’il fallait, c’était de la VO-LON-TÉ, de celles qui séparent les syllabes. Il refusait de donner des substituts, même quand le patient le demandait, parce qu’il suffisait de la vo-lon-té, et que les patchs, c’était jamais qu’une cigarette plate qu’on se colle sur le bras pour engraisser les laboratoires. (lui qui prescrivait de l’Acomplia et de l’Art 50 à tout va, sic-again…)
Parce que, ajoutait-il : « Arrêter de fumer, c’est vraiment pas compliqué quand on compare à d’autres choses. Vous vous rendez compte qu’il y a des gens qui font le tour du monde à vélo ? A-VÉ-LO ! Vous vous rendez compte de la vo-lon-té qu’il faut pour faire ça ? » (Ai-je déjà dit « Sic… » ?)

Ok, n’empêche que moi, après toutes ces heures de cours et de démonstrations de haute volée, je ne sais toujours pas comment on fait comprendre aux gens.

Quand je m’écoute prescrire un régime (« Prescrire un régime »… Une formulation presque aussi belle que « Faire comprendre »…), la part de moi qui m’observe hésite entre ricaner et me foutre une paire de baffes. Histoire de me faire comprendre…
« Hé bin ma jolie, si avec ça il se met à faire le moindre effort, ce sera vraiment parce qu’il l’aura décidé tout seul, hein… »

Je fais tout ce qu’il ne faut pas faire.
Déjà, j’explique mal, parce que la nutrition, ça me gave et je n’y connais rien. Je saurais comment y mettre de la bonne volonté que je ne saurais pas quoi dire.
J’ai bien cru comprendre qu’en théorie, y a le régime pour les diabétiques, celui pour les triglycéridiens, celui pour les mauvais cholestéroliens. En pratique, quand je lis dans mes bouquins les différents régimes, à la fin du chapitre, je me dis « Ouais, bon, moins de sucres, moins de gras, pis plus de légumes. Un régime, quoi… ».
Dans ma tête, les régimes alimentaires sont aux dyslipidémies ce que les dermocorticoïdes sont à la dermato : de toute façon, ça finit toujours pareil.

Ensuite…
Bin ensuite je ne sais pas trop.
Quand j’explique les « règles hygiéno diététiques » (voui, on appelle ça comme ça, faire la morale, en médecine. On dit Règles hygiéno diététiques. Je ne sais pas vous, mais moi, une formulation avec « règles » et « hygiénique » dedans, je trouve pas ça super sexy.), je n’arrive pas à rentrer dedans.
Je n’y crois pas.
Le type, en face, il a pas attendu 50 ans qu’une fille avec des couettes viennent lui expliquer que c’est mieux de manger des haricots verts que des pizzas, et que fumer ça donne le cancer du poumon.
A la rigueur, je veux bien lui donner des chiffres et des faits. En toute neutralité. Lui raconter que le mauvais cholestérol, ça augmente le risque d’accidents cardio-vasculaires, et que c’est lié en partie à l’alimentation, et que tels ou tels types d’aliments augmentent, ou pas, ce damné LDL.
Lui mettre en main les clés de l’équation.
A lui de savoir s’il veut essayer de la résoudre ou pas.

Peut-être que je deviendrai meilleure avec l’âge.
Peut-être que je deviendrai meilleure quand j’arrêterai de fumer.