Le fax est cassé, bisous !

26 octobre, 2010

On lit des choses passablement déprimantes sur l’avenir de la médecine générale, ces temps-ci.
Que tout va foutre le camp ma bonne dame, que la sécu va péter, que les médecins partent à la pelle et ne seront pas remplacés, que le système de soins va s’écrouler.
Que ça va être le chaos, que ça va être la guerre, que les petits vieux mettront des coups de cannes aux petites vieilles pour leur voler la place chez le médecin, qu’il faut tout ré-inventer avant de nous retrouver assis sur un tas de cendres. Tout reconstruire. Rien que ça.
Moi qui ai la flemme d’aller acheter un canapé…

Ça m’emmerde passablement. J’ai eu mon lots d’emmerdements, j’ai eu mon lot de réformes à éponger (les « années test », c’était toujours pour ma gueule…), j’ai mangé mes 9 neuf ans d’étude, j’ai fait ma jolie course d’obstacle en bon petit poney appliqué. Si c’est pour passer enfin la ligne d’arrivée à l’aube d’Hiroshima, je dois avouer que sur sur une échelle de 1 à 10, ça ne me fait pas chier qu’à moitié.
Le truc, c’est qu’ j’ai pas d’idée M’sieurs Dames. Pire que ça, j’ai pas d’opinion. Les syndicats, les débats sur la sécu, sur les ministres, sur les finances, ça m’en cogne une sans bouger l’autre. J’ai pas appris à penser à si grande échelle. J’ai essayé d’apprendre à soigner les gens et à m’occuper de mes malades, et c’est déjà bien assez dur comme ça. Vous m’excuserez de ne regarder que mes pieds ; c’est que si je ne les regarde pas, je trébuche et jme casse la gueule.
Je sais bien que j’ai tort. Je sais bien. S’occuper de ses malades, c’est bien joli, encore faut-il vivre dans un système qui le permet, et encore faut-il se battre pour ça. Je sais.
J’aimerais être de celles qui vont au front, de ceux qui mènent la bataille ; je pense que je ne suis simplement pas taillée pour.

Alors à mon petit niveau, grimpée sur ma petite échelle, je vais faire comme d’habitude : je vais vous parler de mon petit nombril et vous raconter pourquoi moi, je ne m’installe pas encore.

1) Je ne m’installe pas parce que j’ai pas ma thèse, de une. Ce qui, vous me l’accorderez, est une raison à part entière. J’ai beau twitter régulièrement des offres alléchantes « Achète thèse de médecine générale, même médiocre. Bon prix. PS : je couche. » , j’ai beau attendre de voir si elle serait pas livrée en cadeau bonus avec les 10k points de hauts-faits sur Wow, j’ai beau attendre de voir si par hasard elle s’écrirait pas toute seule vu qu’elle me doit bien ça, cette salope, le constat reste le même : j’ai pas ma thèse. Hop.

2) Je ne m’installe pas parce que pour le moment, j’adore absolument ma façon d’exercer. Pour le moment, je fais des remplacements fixes : tels jours chez le Dr Carotte, tels jours chez le Dr Cerise. Et c’est assez simple : j’ai tous les avantages de l’installation et aucun de ses inconvénients.

– Je n’ai pas à courir à droite et à gauche, me réhabituer à chaque fois à une nouvelle façon de faire, à un nouveau logiciel, à de nouveaux patients, essuyer leurs regards déçus et surpris, recopier des ordonnances avec lesquelles je ne suis pas d’accord parce que ça ne sert à rien d’essayer de révolutionner une affaire qui se passe sans moi. Bref, je n’ai pas à prendre de train en marche.
– J’ai ma patientèle, à moi, de gens que je suis et que je revois régulièrement. Les gens qui veulent me voir, ils savent quels jours venir, et ils viennent ces jours là. Je les suis, sur la durée, en vrai. Je peux construire des choses avec eux, comme un vrai docteur qui a sa plaque dorée sur le pas de la porte.
– Je ne gère absolument rien. C’est d’un repos indécent. Le loyer, la femme de ménage, le secrétariat, les emmerdes avec la sécu : repos. Quand le fax est cassé, je prends un post-it, j’écris « Le fax est cassé, bisous ! » et je le colle sur le fax. Ou alors « Il n’y a plus de formulaires de demandes d’ALD, il faudrait en commander, bisous ! ». J’ai deux chèques par mois à encaisser, je n’ai pas besoin d’avoir un compte professionnel à la banque. Les impayés (les chèques sans provision, ou le bon quart des consults CMU que la sécu ne paiera jamais) c’est le médecin que je remplace qui me les paye de sa poche. (Ouais, je sais, c’est dégueulasse)
– Parce que les médecins que je remplace sont fabuleux, je ne suis jamais seule. Quand un dossier est difficile, je peux leur en parler. Je peux suivre leur travail, je peux voir ce qu’ils font, je peux continuer à apprendre en toute sécurité. Quand un patient me gonfle, je peux lui suggérer habilement de revenir plutôt les jours où je ne suis pas là. Quand une situation est merdique, je sais que j’aurai une autre paire d’yeux pour m’aider à la gérer.
– Je n’ai aucun engagement. Si après-demain, l’envie me prend d’aller remplacer 6 mois en Martinique pour plonger et me pogner la gueule au Ti Punch, je peux. Bon, ça n’arrivera pas parce que les médecins que je remplace sont fabuleux, et que je ne leur ferai pas ce coup-là, mais sur le principe, je peux. ((Corollaire : ils peuvent aussi me dire après-demain qu’ils n’ont plus besoin de moi et que je dois arrêter de les remplacer. Ils ne me feront pas ce coup-là parce que je suis fabuleuse, mais sur le principe, ils peuvent.))
– A l’heure où ma vie personnelle n’est pas encore construite, je ne m’enchaîne nulle part. Si mon amoureux de demain habite à Marseille, je peux aller poser ma plaque à Marseille.
– J’ai le confort monumental de bosser à mi-temps. Et encore, un petit mi-temps. Et ça, pour jouer à Wow écrire sa thèse, c’est quand même le luxe absolu. Pour aller à la banque / chez le coiffeur / à la poste aussi.
– Bosser à mi-temps, ce n’est pas confortable que pour aller à la poste. C’est aussi confortable pour prendre le temps de faire ses demande d’ALD au calme, rappeler les patients pour prendre de leurs nouvelles, organiser une hospitalisation, se renseigner sur le syndrome de Drogfur Marlingbourg qu’une patiente nous a sorti de derrière les fagots, se restaurer après une journée trop remplie et attaquer la suivante sereinement. Je suis hyper admirative des médecins qui bossent à temps plein et qui continuent à faire du bon boulot sans finir par avoir envie de prendre un patient pour taper sur l’autre.
– Oui, je gagne suffisamment ma vie. Certainement pas pour longtemps, certainement pas assez pour une vie de famille, mais pour ma vie d’étudiante attardée qui n’a guère d’autres dépenses que ses sorties, ses clopes et sa connexion internet, c’est tout à fait assez.

Alors, oui, si je m’installais, j’aurais la fierté d’avoir un joli ordonnancier à mon nom et une jolie plaque dorée dans la rue. Je les prendrais en photo et je les enverrais à Maman. Jusqu’ici, je m’en passe.
Alors oui, si je m’installais, je mettrais ce que je veux dans la salle d’attente, je m’organiserais comme je veux, j’aurais des gants à ma taille et de quoi faire des frottis. Mais encore une fois, il suffit de bien choisir les gens qu’on remplace pour que leur système colle à peu près au nôtre.
Alors oui, si je m’installais, je n’aurais plus à entendre « Ah… C’est pas le Docteur Carotte aujourd’hui… Bon… Bin comme je suis très malade, je vais venir quand même, hein… »

Que les choses soient claires : oui, à terme, je veux m’installer. Je veux tout ça. La plaque dorée, MES patients encore-plus-à-moi, mes règles, mon organisation. Et à terme, plus que des Mme Pouteau.
Mais j’ai le temps.
La vie m’a suffisamment gâtée jusqu’à présent, je sais qu’un jour elle m’amènera des choses qui me donneront envie de me poser, là et pas ailleurs, avec ces gens-là et pas d’autres.
Pour le moment, j’ouvre grand les yeux, j’apprends et j’attends.