Oh, mon, dieu.

31 mai, 2009

Il y a un accent circonflexe à côlon oO

> Préambule à Thomas :  je décline toute accusation de plagiat. Jte signale que c’était mon titre avant le tien. Sauf que bon, ok, tu l’as publié avant. Moi je dis, il y a des hasards qui n’en sont probablement pas…
> Préambule aux lecteurs non-médecins : je sais, c’est bourré d’abrévations obscures. C’est le principe du carnet à spirales. J’essaie de vous aider dans le premier commentaire.

Vendredi  après-midi

1) M. Macrin. Toujours aussi mal, toujours sous morphine ET antidépresseurs ET Lyrica ET Rivotril. Va falloir songer à baisser tout ça.
On réussit enfin à parler un peu plus de son moral et un peu moins de son dos.
Etait chef d’entreprise en Roumanie, est agent de sécurité en invalidité en France… « Ne sert à rien », « Le monde se porterait mieux s’il n’était plus là ». Joue au backgammon. Je le sens bien s’investir dans des associations caritatives, l’idée semble lui plaire. Majoration des ATD. Me remercie cent fois avant de partir. M’a amené un lapin en chocolat.

2) M. Dumbo. Rhinite allergique. Xyzall Opticron Nasacort.

3) M. Poissard.  A encore eu « une crise de goutte » poignet G + cheville Dte. Ca fait beaucoup d’articulations pour une seule goutte. Ne supporte plus la Colchicine (et tant mieux du coup) ; Zyloric baissé (insuffisance rénale et de toute façon indication à revoir). Grosse flemme de dépatouiller ça moi-même, CS rhumato.
Veut partir « en maison de repos aux sables d’olonnes comme la fois dernière ça lui avait fait tellement de bien ». Je botte en touche, se renseigner pour la prochaine fois.
Toujours déprimé, toujours CS sevrage benzo à prévoir.
A recroisé un amour de jeunesse, 85 ans aujourd’hui, ont essayé de faire l’amour sans succès, veut que j’arrange ça. Contre-indication formelle Viagra (78 ans, angor). Je botte en touche, prévoir baguette magique pour prochaine CS.

4) Mme Aubade. Vient en CS avec sa fille qui a oublié de faire son certif de reprise (acte gratuit).
Cervicalgies. 84 ans, rayonnante, très active, seul ttt = Esidrex qu’elle a arrêté de prendre car elle « n’est pas trop médicaments ».
Ttt antalgique a minima, je ne suis pas chaude pour lui coller des anti-inflammatoires, trop en forme pour risquer de tout gâcher. Revoir si persistance.
TA 190/110 contrôlée aux deux bras, reprendre Esidrex. Balance bénéfice risque détaillée avec la patiente, je pense l’avoir convaincue.

5) M. Farid. GEA probable mais douleurs assez localisées FID quand même. Ttt sympto et surveillance de près.

6-7) M. et Mme Brun, 72 et 68 ans.
Lui : pneumopathie meumeu, vu par pneumo en urg ce matin, mis sous Augmentin. Dyspnée ++ à la parole, crépitants sibilants bilat ++, EG égal à lui même : claironne et sourit, fait des blagues. PO 140 cm, 115 kg. TA 150/90. RO et critères de surveillance expliqués. Veut partir en Bretagne pour anniv de mariage en juin : ok j’espère. Ancien danseur passionné (rock et tango).
Elle : RO. Inquiète pour son mari. Insomnies (mais il ronfle beaucoup malgré l’appareillage) TA limite. Bio à prévoir la prochaine fois. 1m55 53 kg.

8-9) Enfants de la Roche, 6 et 8 ans.
Lui :  Laryngite. Celestène.
Elle :  Pollakiurie et brûlures mictionnelles récidivantes, toujours sans fièvre, avec toujours BU et ECBU neg. Disparition des spo en vacances, la mère avance d’elle même un contexte de stress. Echo de principe avant CS pédopsy au CMPP (je ne me sens pas de gérer seule). Avec une mère pareille je la comprends.

10) Mme Lachaise. Gros rhube. Veut s’y prendre tôt avant que ça tombe sur les bronches. Rhinotrophyl Doliprane Couette DVD.

11) Enfant Lepeigne. 
Examen des 9 mois + toux fébrile depuis 24h, terrain atopique mais pas d’atcd perso d’asthme ou bronchiolite. EG pas si mal mais grognon et diminution de l’appétit (50% rations habituelles).
Crépitants base droite. Pas de signes de gravité ni de détresse respi, mère cortiquée.
Augmentin, bio et radio en urgence. Consignes surveillance.

12) M. Mehoul. 34 ans, 2ème consultation au cab, 1ère avec moi, fille de 9 ans présente. Diabète ++ a priori, méprisé depuis des années, arrêt de tout traitement, notion de cholestérol.  Histoire difficile à reconstituer, il faut à la fois être légère et aller vite (résistance importante et risque d’être contre-productive…) et ne pas passer sur la gravité potentielle de la situation. Refuse en bloc toute exploration, a déjà arrêté alcool et cannabis (1 bouteille whisky – 20 joints/j), et « c’est Dieu qui décidera quand il doit mourir de toute façon ».
J’essaie d’ouvrir une porte doucement mais fermement. Difficulté supplémentaire du fait de la présence de la fille. Je gère mal, trop brutale ++ pour elle. 
A moitié dans la provoc (rien à foutre, tout ça il en veut pas, dieu etc) et à moitié dans la séduction (mais pour moi il reviendra, j’ai tellement bien soigné sa fille la fois dernière, pas comme ces cons à l’hôpital, je suis un tellement bon médecin…) Ca s’annonce dur.
Motif de CS = abcès inguinal pas encore prêt pour incision, soins locaux et surveillance.  

Interlude 12-13) Coup de fil de l’hémato de Mme Fernandez. Nouvelle transfusion aujourd’hui comme prévu, mais altération de l’état général importante, échappement thérapeutique, hyperleucocytose majeure. Retour à domicile selon souhait de la famille et de la patiente, aggravation rapide à prévoir. Pas douloureuse au sortir de l’hospitalisation (à 16h) mais voudrait que je passe à domicile ce soir pour mettre en place une PCA morphine si besoin (!).
Je ne me vois pas du tout débarquer chez eux à 21h (charge anxieuse, bonjour :))  pour réévaluer une douleur inexistante 5h avant et mettre en place quelque chose qui serait de toute façon impossible à mettre en place un vendredi soir.
Je propose de passer demain, au calme, et de me mettre en contact avec l’HAD et le réseau de soins palliatifs pour gérer au mieux le week-end.
Mme Fernandez est un amour de patiente, je ne veux pas qu’elle meure.

13) Mlle Phillipe. J+5 d’une extraction de verrues plantaires sous AG, boiterie importante, veut une prolongation AT. Plaie profonde et suintante ++ 3x1x0,5cm, je comprends qu’elle boite.
Betadine tulle et prolongation AT 2 semaines (restauration)

14) Enfant Baloumba. 2ème Engerix. Bonnes courbes, tonique et super souriante comme d’hab et comme sa mère. Exam neuro normal, Exam ORL normal, Exam abdo normal. Conseils alimentation. Verif vaccinations sur carnet du grand frère.

15) M. Bavoir. GEA. Tiorfan Vogalène Spasfon, AT 48h.

16) M. Rachis (oui, le même) Toujours en demande d’examen ++. Rachialgies persistantes, hémicorporelles irradiation crâne. Veut nouveau bilan radio, dernier <4mois normal, non. Kiné. Demande de ttt ++, veut un médicament pour la fatigue et pour l’appétit et pour le dos. Je cède sur Voltarène emulgel et bio. (dernière bio > 5 ans)
Refuse toujours de payer, n’a jamais payé et y a droit.

Interlude 16-17) Fax du labo.
> Enfant Lepeigne = 22 000 blancs, CRP en cours.
> M. Durieu = à nouveau en hyperkaliémie malgré switch Tareg > Esidrex. Appel pour demander qu’il passe demain, prévoir consult HTA et écho des artères rénales.

17) Mlle Chrétien. Consulte pour malaises bizarres avec « pression dans la nuque et circulation coupée et jambes en coton ». 
Vue la semaine dernière pour asthénie, essai bb depuis 3 ans, proposition de Rdv Gynéco avait été dure à entendre ++
Bio normale, pas d’anémie, rdv gynéco semaine prochaine. Je ré-oriente sur pb d’infertilité. Très bonne acceptation de la possibilité que les « malaises nucaux  » soient en rapport avec souffrance psy. Proposition de se revoir rapidement, rapidement acceptée. Demande si j’ai un cabinet à moi dans le coin.

Interlude 17>18>19>20>21.  Tiens, M. Boutargue est dans la salle d’attente, et tiens, il parle toujours aussi fort.

18) Mme Legoût. Rhino. Doliprane, citron chaud, couette et DVD.

19) Mlle Bango. 1ère CS, travaille à côté et MT trop loin.
Veut « juste » renouvellement Médiator prescrit par nutritionniste. 26 ans, surpoids esthétique uniquement, pas de diabète. Désolée, mais vraiment non. Je montre site de Prescrire et propose qu’elle s’informe sur internet.
Certif sport (gym et natation)
Rhinite allergique.
CMU non à jour.

20) Mme Narta. L’indienne qui m’avait épuisée l’autre jour. Parle de mieux en mieux français, CS un peu plus facile.
Pertes jaunes et prurit vaginal depuis accident de préservatif. Examen : je ne vois rien car s’est bourrée de Dexeryl, en tout cas pas de douleur à la mobilisation utérine. Dépistage MST et ttt d’épreuve mycose.
Asthénie depuis retour Pakistan, sensation de fièvre non objectivée, ras à l’examen, frottis goutte épaisse.
Toujours demande de médicaments ++ (gaviscon dexeryl locoid antadys…), je ne cède pas. Essayer de la revoir au calme sans ses enfants.

21) M. Leibniz. GEA. Tiorfan Vogalène Spasfon AT 48h.

21-22) M et Mme Boutargue.
Elle : asthénie et sdo des jambes sans repos. En fait épuisée par son mari. Bio et je propose CS moral en tête à tête la prochaine fois. Pas de ttt.
Lui : me déborde complètement une fois de plus, je perds pied. Hurle, agressif, ne me laisse finir aucune phrase, en colère contre les médecins de la terre entière, exige les médicaments qu’il veut sur l’ordonnance qu’il veut rédigé comme il veut, me demande mon avis sur son insulinothérapie mais de toute façon doit prendre un 2ème avis endoc dans 7 jours et n’écoute pas ma réponse. Je perds complètement la consultation, je me perds, je tape du poing sur la table, je jure comme un charretier. Je réponds à ses caprices par des caprices, professionnalisme zéro.
Dit que « ça se passe mieux avec le Dr Carotte », j’en profite pour proposer qu’effectivement on ne se voit plus. Je n’y arrive pas, je n’y arrive pas.
Attention à rester neutre pour la prochaine CS avec sa femme. Ne pas dire « Barrez-vous, je ne sais pas comment vous le supportez et je ne suis pas surprise que vous soyez déprimée, il m’a déprimée en 20 minutes. »

23) Mme Ferrer. Asthénie, douleur intercostale typique et troubles du sommeil.
Belle-soeur décédée K ovaire fulgurant. Examen clinique minutieux à l’extrême pour rassurer.
Tranquital, discussion ++, je pense efficace. Sort souriante.

24) Dr Jaddo.  Asthénie intense transitoire. Pas de tristesse de l’humeur, pas de signes dépressifs. Ne souhaite surtout pas d’AT, passionnée par ce qu’elle fait. Couette(s) et DVD.

Bonozio

6 mai, 2009

Consultations libres chez le Dr Cerise.

Le Dr Cerise exerce dans un coin beaucoup plus huppé que le Dr Carotte.
J’y vois des tas de petits couples avec leurs petits bébés proprets, on m’y paye en chèques, et à la fin de la journée, on m’a réglé toutes les consultations.
Les gens y sont blancs, je n’y vois pas de pénisalgiques, pas de chomeurs, pas de CMU.

Sauf, rarement, des gens « du voyage ». (On dit « gens du voyage » en langue de bois, je ne sais pas comment on dit en langue normale.)
Il y a un camp pas très loin, la rumeur a vite circulé qu’on les recevait plutôt avec plus d’égards que d’habitude, et de temps en temps, quand ça va vraiment pas bien, ils viennent.

Hier, j’ai vu une dame. Elle m’attendait avec sa canne, ses huits couches de vêtements et ses dents en or dans la salle d’attente.
J’ai dû lui mimer de venir pour qu’elle me suive dans la salle de consultation.

A peine assise, elle a soulevé les 5 premières couches, écarté la 6ème sur la gauche et baissé les deux dernières pour faire émerger du tout un sein gauche qu’elle a soulevé, pour me montrer l’objet de sa visite. Une banale mycose de plis, ce qui m’a un peu soulagée. Dans une consultation difficile, un motif de consultation facile, c’est toujours bon à prendre.

J’ai réussi à lui faire dire qu’elle était roumaine, mais l’interrogatoire n’a pas pu aller beaucoup plus loin. « Rangez votre sein, Madame, faut déjà que je vous fasse un dossier », même pas je sais le dire en anglais.
Comme j’avais du temps, comme j’avais envie de plutôt bien faire, j’ai sauté sur l’occasion pour faire un vrai premier test du site dont je vous ai déjà parlé, Traducmed.
Jusqu’ici, ça s’y été toujours peu prêté. L’ordinateur n’avait pas de son, le type avait emmené un pseudo-traducteur qui parlait un pseudo-anglais, la langue n’existait pas ou je n’avais pas été foutue de la déterminer. (Mmmm, oui, Bangladesh, ok. On cause quoi, au Bangladesh ??)

Bref, toute contente, je fais « attendez attendez » avec les mains, je dégaine mon browser, je débranche le casque, je coupe Wow (histoire que ça fasse pas tadaaaaadaaaaaaaam par au-dessus), et je me lance.

– Bonjour ! Je vais utiliser l’ordinateur pour traduire des phrases qui ont été enregistrées à l’avance.
Et c’est parti : Bonozio, zo utilizé zo calplato….

Son oeil s’éclaire, son visage s’anime, elle se jette à moitié à plat ventre sur mon bureau, saisit mon PC à deux mains, le tourne vers elle, et colle sa bouche à deux centimètres de l’écran.
BONOZIO ! BONOZIO ! qu’elle se met à hurler à mon browser…

Bon. J’ai cherché quelque part la phrase « Il n’y a personne dans l’ordinateur, c’est juste un ordinateur, arrêtez de cracher dessus et rasseyez-vous s’il vous plaît », y avait pas.
Mais après, ça a roulé. Une vraie aide pour la consultation.

Chacun cherche…

1 mai, 2009

« Un peu désespérant. A une bonne tension… »

C’est ce que j’ai écrit dans son dossier la première fois que je l’ai rencontré.
Il avait la soixantaine, et tout ce qu’on peut imaginer comme facteurs de risques cardio-vasculaires. Il en a même probablement inventé certains qu’on ne connait pas encore.
Les bilans biologiques qu’il me ramenait dataient de quatre semaines, et auraient été parfaits si on avait pris la peine de redistribuer les chiffres comme il faut.
11,8, ça aurait été pas si mal pour une hémoglobine tout court, sauf que c’était son hémoglobine glyquée.
6,1 ça aurait été parfait pour une hémoglobine glyquée, sauf que c’était sa kaliémie.
4,1, ça me serait allé pour une kaliémie, mais c’était sa glycémie à jeun.
Mastermind biologique.
Même la clinique s’y mettait : 133, ça aurait été fabuleux comme clairance, sauf que c’était son tour de taille. Et son poids au passage.

« Un peu désespérant. A une bonne tension…
Hb Gly 11,8% Gly 4,1
Refuse majoration de ttt, a peur des hypo
RO pour 2 mois. Ne veut rien entendre à rien. Je suis très claire (voire brutale) sur les risques
 »

Parce qu’il ne voulait rien entendre à rien.
Je le soupçonnais d’y mettre un peu de mauvaise volonté.
« Votre kaliémie est trop haute, 6,1 c’est trop élevée M. Hamdaoui, il va falloir refaire une prise de sang pour contrôler, aujourd’hui. »
« Mais non, c’est pas grave si c’est trop haut je me lève la nuit et je mange du sucre et ça va ! »
Ah ? Ok, alors.

Les risques, il ne les entendait pas. Le cardiologue, il l’avait pas vu, les examens, il les avaient pas faits et de toute façon il avait déjà tout eu.
Vous allez avoir une crise cardiaque ! Boah, c’est déjà fait.

Tout glissait sur lui. Il était absent de la consultation, impossible à accrocher, impossible à pénétrer.
Comme s’il venait chercher la liste des commissions de sa voisine de pallier chez l’épicier.
Je me suis entendu dire des vérités crues, brutales, pour la première fois. Presque des menaces.
Je crois que j’essayais d’ébranler l’inébranlable.

M. Hamdaoui est difficile à décrire.
C’était le mélange improbable d’un Gros dégueulasse de Reiser et d’un enfant de cinq ans.
Je ne sais pas, essayez de vous figurer un Jaques Villeret moustachu, couperosique et marocain.

Au début, je pensais qu’il ne parlait pas très bien français, mais je crois en fait qu’il ne parlait pas très bien tout court.
Il s’exprimait beaucoup par gestes, beaucoup par grognements, beaucoup par onomatopées.
« Mais non, c’est pas grave si c’est trop haut je me lève la nuit et je mange du sucre et ça va ! » est de loin la phrase la plus longue que j’aie entendu sortir de sa bouche. En dehors de ça, il fixait ses pieds, il haussait les sourcils, il haussait les épaules, il grommelait.
Quand je l’ai laissé partir, la première fois, j’étais fâchée contre lui.

Il a  revu quelques fois les autres médecins du cabinet entre temps, mais moi, je ne l’ai revu que quatre mois plus tard.
Fait nouveau, il sentait le pastis. Pas à plein nez, certes, mais pour 17h37, quand même beaucoup.

Comment vous sentez-vous, M. Hamdaoui ? Quelles nouvelles de vous ?
Grommelements.
En faisant un détour adroit par la consommation de tabac, plus politiquement correcte que sa consoeur « OH+++« ,  j’ai posé la question de l’alcool. Comme il faisait encore semblant de grommeler en agitant la main, j’ai posé la question plus précise de Là, là, aujourd’hui par exemple, maintenant, vous avez bu combien ?
Il a éclaté de rire, comme un gamin pris en faute, et son regard a laché un instant ses chaussures pour croiser fugacement le mien. Je l’ai vu rire pour la seule fois de nos quelques rencontres, et c’est comme ça seulement que j’ai remarqué qu’il lui manquait quasiment toutes les dents du haut.

J’ai passé moins de temps à parler de ses résultats biologiques, j’ai passé plus de temps à essayer de comprendre, à essayer de le trouver.
Que les deux du fond qui commencent à s’émouvoir de ma grande sensibilité se tempèrent tout de suite : c’était bassement et froidement calculé, pour attaquer le bonhomme sous un autre angle, pour trouver la faille où poser le levier sur lequel j’avais déjà en tête de faire glisser gentiment majoration de traitement, consultation chez le cardio et sevrage tabagique.
Rira bien qui rira le dernier.

Il était arrivé en france il y a une trentaine d’année.
Des parents enterrés au maroc, des frères là-bas mais à qui il ne parlait plus, quelques cousins mais qui ne parlaient plus qu’à ses frères.
Pas de femmes, pas d’enfants.
Une compagne ? j’ai demandé…
Il a dit « Boarf, vous savez… », en faisant ouhlala de la main, vers le haut vers le bas, vers le haut vers le bas.
Ah, oui, forcément. Effectivement, il n’y avait pas de raisons que les artères de son pénis fonctionnent mieux que les autres…
Il avait tenu un restaurant, pendant un moment, un truc pizza-kebab à toute heure, il l’avait acheté, géré, et puis ça s’était cassé la gueule, et il avait fermé.
Il n’avait pas de projets. Personne en France, personne au Maroc, pas d’attaches, sauf ses copains de ricard.

Je ne l’ai pas laché. J’ai posé des questions, posé des questions, posé des questions. Je ne sais pas quelle bataille j’étais partie livrer.
Il a répondu d’abord par ses grognements habituels, puis par des syllabes, puis par des mots, puis par des bouts de phrases.

Ses bouts de phrases ont été : « Je n’ai rien fait de ma vie quand j’aurais pu, alors maintenant… » « Retourner au Maroc ? Pour quoi faire ? Je n’ai rien. » et  « Mais non, arrêtez, ma vie elle est finie. »
Une fois, aussi, il a dit « Vous êtes gentille, pourquoi vous me posez toutes ces questions ? »
A la fin, assis en face de moi, il a dit : « Bon, allez… », en faisant ouhlala de la main vers mon ordonnancier.
J’ai dit d’accord, j’ai fait le renouvellement, on s’est souri, il est parti.

Voilà.
Il m’a fallu tout ça pour comprendre à quel point il les avait parfaitement compris, les risques.
Mais quand même, malgré tout, je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’il était toujours venu chercher ses médicaments avant la fin de ses stocks, et que ce jour là, c’est lui qui avait demandé à se peser à la fin de l’examen.

Un mois et demi plus tard, j’ai trouvé un mot du Dr Carotte sur le bureau, le matin de ma consultation.

M. Hamdaoui est mort comme il a vécu… Seul.
La police m’a appelé pour le constat de décès ce matin.
Dur…