Je vais vous re-situer ce que ça signifie, pour les gens qui la passent, une épreuve de statistiques de PCEM1.
Ou du moins essayer. Parce que, je l’ai déjà dit, c’est très difficile de raconter ces années-là. Raconter à quel point c’est fou, à quel point c’est sauvage, à quel point on change de monde. On arrive dans un monde où il est NORMAL de boire son café à la paille pour avoir les mains libres pour faire des exercices de biophysique en même temps. Où il est normal de décliner l’invitation aux 18 ans de ses meilleurs amis. Où on joue notre vie, et où on ne le sait que trop bien.
Et où tout va se jouer sur quelques jours, quelques heures de concours.
On va cocher des cases, sur un joli formulaire. On va embarquer 8 stylos au cas où 7 tombent en panne parce qu’on ne sait jamais. On sait que les choses se jouent à 1/10ème de point près, à une case. Et, si on a une panne de métro, ou une gastro, ou si on a décalé les cases d’une ligne, on peut passer à côté de notre vie.
Ou juste si on a raté une seule case que le voisin a réussie, au demeurant.

Je vais vous raconter comment s’est passée, pour moi, l’épreuve de statistiques de ma première année de PCEM1.
J’avais passé le gros de l’année à lire Picsou Magazine en mangeant du beurre de cacahuètes (ce n’est pas une métaphore ; en vrai, j’avais récupéré des vieux Picsou Magazine de la maison de vacances qu’on avait vendue), parce qu’il m’a fallu à peu près toute cette année-là pour comprendre qu’il allait falloir changer de monde. Pour comprendre ce qu’on attendait de nous (apprendre sans comprendre), le genre de bidules qui « tombaient » aux examens (l’exception dont tout le monde se cogne), et comment réussir à se les foutre dans le crâne (en buvant son café à la paille).
Donc, je me suis pointée aux épreuves de statistiques, à la fin de l’année, en sachant que l’année était déjà perdue pour moi.
Quand même, il y avait des matières que j’avais bossées, dans l’idée de préparer la deuxième année, et les statistiques ne faisaient clairement pas partie de celles-là.
Je pense que c’était le truc que j’avais le moins bossé. D’ailleurs, j’ai eu zéro.
Donc, j’ai passé l’épreuve à essayer de comprendre vaguement des histoires de boules rouges et de boules noires, et surtout à chercher s’il n’y avait pas quelque part une question de cours, une formule à recracher bêtement que je pourrais trouver dans ma calculatrice.
Parce que dans les trucs constructifs que j’avais faits en première première année, une fois qu’il était acquis que ce ne serait pas pour cette fois, il y avait de rentrer dans ma calculatrice tout ce que je pouvais rentrer dedans.
On avait le droit à la calculatrice pour deux épreuves, les stats et la biophy, et c’était les trucs programmables qui nous paraissaient fous de technologie à l’époque, même qu’on pouvait programmer un jeu de morpion dedans si on était très très fort.
Et donc, pour ces deux épreuves là, on rentrait tout ce qu’on pouvait de formules dedans. Quand on était moi, on y passait des heures et on rentrait même des exemples d’exercices au cas où, parce que c’était quand même vachement moins culpabilisant que Picsou. Une calculette de dingue, que je m’étais préparée. (et dont l’usage a été interdit lors de ma deuxième PCEM1, mais c’est une autre histoire)
Donc l’heure s’est passée, longuement, et j’ai coché des cases au pif ou à l’intuition de ce qui avait davantage la gueule d’une bonne réponse, et à la fin j’ai eu zéro.

Et puis je vais vous raconter comment s’est passée, pour le reste du monde, l’épreuve de statistiques de ma première année de PCEM1.
Au bout de quelques minutes d’épreuves, y a un prof qui s’est dit « Hey !! Mais ils peuvent entrer des formules dans leurs calculatrices !!?? »
Ouais, la découverte, tu sais.
On avait une liste officielle des calculatrices autorisées et tout, avec dessus 3 modèles d’où qu’on pouvait rentrer des formules et des antisèches dedans, et c’était comme ça depuis la nuit des temps, et les mecs réalisent ça, au pied levé, après le début de l’épreuve de stats.
Alors ils ont décidé que ça n’allait pas du tout, de pouvoir rentrer des formules dans sa calculatrice.
Et alors ils ont fait le tour des salles d’examens, pour supprimer aux gens les calculatrices des modèles qui permettaient les antisèches. Soit 100% des gens, hein, tu penses bien que personne n’allait se pointer aux épreuves avec une calculatrice solaire alors qu’on avait le droit, depuis toujours, aux calculatrices-à-morpion.
Donc y a des types qui se sont fait sucrer leur calculatrice au bout de 8 minutes d’épreuve, parce que leur salle d’examen était juste à côté de la salle du prof qui avait réalisé que ça n’allait pas du tout.
Y a des types qui se sont fait sucrer leur calculatrice au bout de 11, 13, 18, 35 minutes.
Y a des gens comme moi qui étaient dans la salle tout au fond et qui ont découvert après coup en parlant aux copains qu’ils s’étaient fait chourer leurs calculatrices en plein concours, et qui ont gardé la leur tout du long en ne se doutant de rien.
Il y avait ceux qui avaient, à côté de leurs 7-stylos-au-cas-où-tous-tombent-en-panne, une calculatrice solaire qu’ils ont pu garder et avec laquelle ils ont quand même pu faire le gros de leurs calculs.

Je vous rappelle qu’on parle d’une épreuve annuelle, d’un concours, organisé de longue date, où des gens jouent leur carrière.
Bon, moi, ça a pu me permettre de justifier mon zéro à ma mère. « Maiheuuuu, ils nous ont retiré la calculatrice, les chiens jaunes ! »
Mais pour tous les gens dont c’était la deuxième première année, pour l’injustice injustifiable qui leur a été faite ce jour-là, pour l’aberration totale que c’est, de faire un truc pareil à des gens, il faut vraiment qu’on vienne m’expliquer comment cette épreuve n’a pas été annulée (parce qu’elle n’a pas été annulée, hein, et les résultats ont été validés, et les résultats ont compté pour décider de l’avenir de plusieurs milliers de gens) et comment des bureaux n’ont pas pris feu dans la nuit.

Toutes mes pensées vont aux D4 de cette année.
Serrez les dents, tenez le coup, encore, et surtout ne lâchez rien.