A un moment donné de sa consultation, M. Jeune, la trentaine, parle de « check up ». (Le fameux « check up », vaste sujet s’il en est…)

Vaccins à jour, aucun antécédent particulier si ce n’est un peu de cholestérol dans la famille et quelques crises d’asthmes pour lui, qui se sont tassées d’elles-mêmes vers ses 7-8 ans.
On cause dépistage, sérologies & co : pas de soucis de ce côté-là non plus, il est en couple depuis longtemps, sans conduites à risque, tout roule.
Et puis d’ailleurs, il a fait un dépistage il y a quelques mois, hépatites et sida, parce qu’il a acheté un appartement avec son amoureuse.
Moi, du haut de ma grande naïveté, je demande quelques précisions d’un posé : « Heuuuuu… Quoi ?? »

Bin oui, il a acheté un appartement, alors il a dû faire un prêt, alors l’assurance de la banque lui a demandé de prouver qu’il avait pas le sida.
Normal.
Tout va bien.
Ah, et d’ailleurs, son prêt, il l’a payé 1,5% plus cher à cause de « son asthme ».

Voui voui voui, « son asthme« .
L’antécédent qui n’existe plus, qui a toutes les chances de ne plus jamais refaire surface et qu’il partage avec un bon 13% de ses contemporains.

Je n’ai pas demandé quels autres antécédents on avait rentré dans la calculatrice, ou pire, quels autres examens pertinents on lui avait fait passer ; j’étais suffisamment de mauvaise humeur.
Je ne me suis pas demandé ce que j’aurais conseillé, moi, s’il était venu me voir avant avec le questionnaire de l’assurance pour me demander mon avis sur les antécédents à signaler ; j’étais suffisamment de mauvaise humeur.
J’ai préféré ne pas me poser la question.
J’ai rentré ma tête bien profondément dans le sable.
La prochaine fois, peut-être, je choisirai d’en jeter quelques grains dans les rouages administratifs vicieux de l’assurance de la banque.

Et tenez-vous bien (tenez-vous mieux), j’ai mieux.

Quand j’étais externe, j’avais vu une vielle dame mal en point aux urgences.
Elle ne va vraiment pas bien. Hospitalisation, bilan, bataclan.
Son fils, la cinquantaine, qui l’accompagne, vient me voir une fois les questions médicales gérées. Il me demande de remplir le questionnaire de l’assurance, pour l’annulation de son safari en afrique, dont le départ est prévu dans quelques jours.

Ce truc, j’aurais dû le photocopier pour m’en servir de guide pour tous les dossiers à venir.
Antécédents médicaux, chirurgicaux, familiaux.
Traitement en cours.
Plaintes du patient.
Examen clinique.
Hypothèses diagnostiques, examens complémentaires prévus, diagnostic retenu.
Et, je vous jure, du haut de toute ma mémoire :

– « Les antécédents médicaux ont-ils un rapport direct ou indirect avec une consommation excessive d’alcool ou de drogues ? »
– « La pathologie actuelle a-t-elle un rapport direct ou indirect avec une consommation excessive d’alcool ou de drogues ? »

Parce que bon, on veut bien vous annuler votre voyage au Kenya si votre mère s’est pété le fémur dans un tremblement de terre ou si elle s’est noyée dans l’innondation de sa maison, mais sa rupture de varices oesophagiennes, on pourra pas dire qu’elle l’a pas méritée, cette sale alcoolique.

J’ai pris une vieille ordonnance, et j’ai écrit :
« Je soussignée Dr Rrr, certifie que l’état de santé de Mme Salealcoolique nécessite une hospitalisation en urgence et la présence de son fils M. Futuralcoolique à ses côtés« .
Ca n’allait probabement pas passer.
Mais je n’allais quand même pas remplir leur machin.

En même temps, quand on voit comme c’est dur d’obtenir des renseignements médicaux sur quelqu’un…
Il suffit d’appeler le secrétariat du Dr Spécialiste (de préférence un hospitalier) et de dire : « Bonjour, Dr Rrr à l’appareil. Je suis interne aux urgences de (la ville d’à côté) et nous venons de recevoir Mme Salealcoolique. J’ai un peu de mal à faire le point sur ses antécédents, pourriez-vous me faxer ses derniers comptes-rendus au (numéro de fax) s’il vous plaît ?« , et l’affaire est dans le sac.
Si vous n’avez pas de fax sous la main, vous pouvez demander qu’on vous les lise par téléphone, ça marche aussi.

Si j’étais agent d’assurance, moi, c’est ce que je ferais.
Et m’est avis qu’ils ne se gênent pas.

12 Réponses à “… et rajoutez moi 20 euros de prostate s'il vous plaît”

  1. Virg' Dit:

    Concernant les certifictas demandés par les assurances, voici ce que j’avais trouvé sur le site du conseil de l’ordre (http://www.web.ordre.medecin.fr/rapport/formulairesetassurances.pdf).
    En résumé pour les feignants :
    « Le Conseil national de l’Ordre des médecins considère que l’état de médecin traitant n’autorise pas le praticien à remplir et signer un tel questionnaire.
    Les termes de l’article 105 du code de déontologie sont clairs :
    « Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un même malade.
    Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services ».
    Or c’est bien en qualité de médecin expert que le praticien interviendrait ici, mandaté par l’assureur qui, généralement, prend en charge les honoraires, et qui, parfois, demande en fin de questionnaire ses conclusions à l’examinateur et son opinion sur un éventuel surrisque assuranciel.
    Le médecin traitant ne pouvant être médecin expert, il doit récuser son concours. L’assureur ne peut exiger que ce soit lui qui remplisse le document médical de souscription. C’est un autre médecin choisi par le patient ou désigné par la compagnie qui doit examiner le contractant. »

  2. Guillaume Dit:

    Ben oui, mais on refile le bébé à un collègue… et quand le collègue, c’est nous, on fait quoi ??

  3. Virg' Dit:

    Il n’y a pas de conflits d’intérêts à ce moment là. Tu examines le patient, note ce que tu trouves objectivement. Concernant les ATCD du patient, tu ne peux noter de toute façon que ce que le patient veut bien te dire… C’est tout l’intérêt de ne pas être le médecin traitant!
    Mais c’est vrai que je trouve ça particulièrement complexe… et casse figure!

  4. cardiologue de brousse Dit:

    on ne peut effectivement être à la fois le médecin traitant ( généraliste ou spécialiste ) du patient et  »l’expert » même ponctuel de l’assureur;il faut refuser l’expertise; par ailleurs, même en étant missionné par une compagnie ,on se doit également de refuser d’adresser le moindre compte-rendu à l’assureur du coin de la rue d’à côté; on peut en revanche demander les coordonnées nominatives du médecin-conseil de la compagnie et adresser un compte-rendu descriptif,sous pli confidentiel, avec l’accord écris du patient; on peut aussi plus hypocritement contourner la difficulté en remettant en mains propres et à l’adresse du patient le dit compte-rendu, libre à lui d’en faire ce qu’il veut ,genre ponce-pilate…

  5. 2muchiz2much Dit:

    j’aime bien « Ponce-Pilate » … hein ? nan … pas vu … nan nan j’ai rien vu … comment ? … je sais pas …

  6. docteursachs Dit:

    Le problème pour ton asthmatique, c’est que si tu omets sciemment de préciser ses antécédents, et que par un moyen ou un autre les assurances le découvre, il est dans une belle merde!
    Fausse déclaration, rupture du contrat, et là, ça va chercher pour plus de 1.5% de frais en plus.

  7. Guillaume Dit:

    C’est ça qui me chiffonne, car une consultation pour un certificat d’assurance se finit en général toujours comme cela, que l’on soit médecin traitant, ou bien « correspondant expert ».

    En pratique, je râle, je ne suis pas d’accord sur le principe qu’une banque, qu’une assurance ait accès aux infos médicales de leurs clients, je dis bien aux gens qu’il fut en dire « le moins possible », je me console en me disant que les examens bio ou la consult sont à la charge de l’assureur et pas de la sécu…
    Mais au final, les personnes sont souvent stressées par la crainte de ne pas obtenir un prêt (ou autre) si elles ne remplissent pas bien leur copie et elles ont tendance (presque) à en rajouter…
    Et je leur signe leur certificat « remis en mains propres à l’intéressé pour servir et valoir ce que de droit  »

    A moins qu’un jour, tous (vraiment) tous les médecins de ville refusent de remplir des certificats pour assurances. On verra fleurir des « maisons d’expertises » avec médecins salariés par les assurances, un labo, un radiologue…. uniquement pour remplir ces @#!) »+^$ de certifs… (et on pourra doublement se laver les mains et se voiler la face…)

  8. Vanni Dit:

    ça me fait halluciné ce que tu dis dans ton post (comme quoi, je suis bien naïve)…bienvenue dans le monde du grand n’importe quoi…

  9. Totoche Dit:

    Dans quelle mesure c’est légal de discriminer les séropositifs, les diabétiques et les autres asthmatiques … pour acheter une maison ?
    Je connais un radiologue qui, quand il voit un truc à la con sur une radio demandée par un con d’assureur, demande au patient s’il veut qu’on le décrive ou pas sur le compte-rendu.
    J’ai connu une dame surtaxée par son assurance pour un banal adénofibrome (lésion bénigne non pré-cancéreuse) prouvé au sein : ça, c’est de l’escroquerie pure et simple et cela mériterait de passer en justice.
    Quant aux renseignements par téléphone, on apprend quand on est externe à ne pas en donner. On peut faxer le CR après avoir vérifié qu’il correspond bien à celui du médecin traitant sur l’ordonnance

  10. Hobopok Dit:

    Totoche chez les Bisounours !

  11. Gwadadoc Dit:

    Ce que je trouve hallucinant, c’est que l’on soit oblige (desolee j’ai toujours pas d’accent sur ce clavier americain!) de demander son accord au patient pour un prelevement de test HIV si on se pique a l’hopital, alors que les assurances font faire ces bilans a tour de bras, sans le moindre probleme, et que les gens n’ont pas le choix ( pas de test, pas de pret)….
    Ca m’est arrive une fois lors d’un rempla d’avoir un coup de fil d’un labo pour un test positif HIV d’une patiente (genre, « maintenant on te l’a dit, tu te debrouilles pour lui annoncer!!). Petit coup d’oeil dans le dossier de la patiente avant de l’appeler pour lui demander de passer ( » bonjour Me Trucbidule, j’ai eu vos analyses, ca serait bien que vous passiez pour qu’on en parle au cabinet… », heureusement elle ne m’a pas demande par telephone quel etait le probleme). Bref, donc, rien dans le dossier parceque nouvelle patiente, inconnue au bataillon, et la seule annotation que j’ai trouvee:  » examen pour assurances ». Genial.ET donc a moi d’annoncer a cette pauvre dame qui avait juste fait un petit bilan pour son pret, que finalement y avait un gros probleme (mais qu’il fallait bien sur verifier avant….). Pas simple…. Premiere fois de ma vie que je voyais quelqu’un se faire rouler dessus par un 38 tonnes sans bouger de sa chaise… Enfin, une fois le premier choc passe, elle m’a demande si c’etait la premiere fois que je devais annoncer ce genre de nouvelle (reponse:oui….), et que selon elle, je m’en etais tres bien sortie….Merci, mais bon…. enfin tout ca pour dire que moi aussi ca me fait raler les questionnaires d’assurances, et que mom seul petit plaisir c’est quand je leur adresse la facture….!

  12. Doc Junior Dit:

    Bah maintenant avec la nouvelle loi santé, les assurances auront accès au dossier du patient, comme ça fini les soucis administratifs. Si c’est pas beau ça, vive le progrès !

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