Point de croix.
30 avril, 2010
Table en verre Ikéa 1 – 0 Vous.
C’est malin, vous avez tout crabouillé le tapis bleu avec votre sang rouge.
Direction les urgences, où vous allez attendre un petit peu avant de rencontrer un type au sourire franc, qui ressemble au Dr Carter et qui va se bétadiner les mains pendant 4 vraies minutes de vaporeuse mousse jaune avant de vous emmener dans une pièce lumineuse carrelée de blanc et de vous poser 8 jolis points de suture, bien propres, bien alignés, derrière un champ bleu stérile, en vous faisant même pas mal ou si peu. Vous ressortirez avec un beau pansement, bien propre, bien blanc, bien sec.
Voilà pour la fiction.
La réalité, c’est Bagdad.
La réalité, c’est que dans le kit de suture de l’hôpital, vous avez un porte-aiguille une fois sur deux, et la mauvaise pince quatre fois sur cinq.
Vous avez un joli champ bleu stérile, pré-troué d’un trou qui fait toujours la même taille, avec du collant tout autour du trou et une bande à enlever pour faire coller le collant, comme sur les enveloppes. Vous avez en face de vous un patient qui a une plaie qui ne fait pas la taille du trou, située à un endroit où vous ne pouvez pas coller le collant.
De toute façon, le collant, une fois sur deux vous devez le découper pour agrandir la taille du trou, et vous vous retrouvez avec un champ collant qui ne colle plus.
L’autre fois sur deux, le trou est trop grand, et pour cibler la plaie, vous avez le choix entre laissez à jour l’oeil, les cheveux et / ou l’oreille du patient.
Et puis comme vous n’allez pas lui coller le bouzin au travers de l’oeil ou en plein dans les cheveux, vous ne le collez pas.
Ou bien il y a 4 ou 5 plaies les unes à côté des autres, et pour en isoler une, il faudrait coller le champ en plein sur les autres, donc vous ne collez pas non plus.
Exit la problématique du collant, donc.
Vous voilà donc avec un joli champ bleu stérile, pré-troué et non collant.
Comme le patient (idiot qu’il est) n’est ni parfaitement plat ni parfaitement horizontal ni parfaitement immobile, ça glisse. Vous lui posez vaguement le trou autour de la joue et il y a un jour d’un bon 3 centimètre entre la peau et le champ, là, près du nez.
Par ailleurs, depuis le temps que vous vous débattez avec le champ, le patient, les ciseaux et le brancard, le champ n’est plus stérile depuis bien longtemps.
Vous voilà donc avec un joli champ bleu.
Comme il est non stérile, et comme il n’isole absolument pas la plaie du reste du corps, on peut légitimement se demander à quoi il sert.
C’est très simple : il sert à cacher le patient en dessous. Ce qui présente un double avantage très net. Le premier, c’est que vous ne voyez plus le patient. C’est bien pratique quand on est en train de s’apprêter à enfoncer une aiguille dans quelqu’un. Le deuxième, surtout, c’est que le patient ne vous voit plus.
S’il devait vous voir encore, le problème sera vite réglé, puisque vous allez lui vider une demi bouteille de Bétadine rouge dans l’oeil.
Souvenez-vous : le champ vaguement posé sur la joue, avec un jour 3 cm. Toute la Bétadine que vous versez sur la plaie pour faire semblant de travailler dans des conditions d’asepsie rigoureuse, donc, coule gaiement le long de la joue pour finir dans le nez et dans les yeux.
« Fermez les yeux, monsieur ! » que vous dites…
Puis vient le temps de l’anesthésie. Vous avez une petite bouteille de Xylocaïne, une petite seringue, deux petites aiguilles. La seringue, vos mains gantées et les aiguilles sont stériles. La bouteille de Xylocaïne ne l’est pas. Dans les films, et au bloc opératoire, il y a une infirmière ou un gentil co-externe qui vous tend la bouteille, pour que vous puissiez y planter l’aiguille et aspirer le liquide en restant stérile. Dans la salle de suture, il y a vous, le patient, le champ bleu non collant non stérile et votre désespoir. S’en suivent 10 minutes de solitude extrême, pendant lesquelles vous essayez de résoudre le casse-tête.
Vous pouvez essayer de planter l’aiguille dans la bouteille posée sur la table, en visant bien droit et bien vertical pour que tout ne se casse pas la gueule. Vous aspirez environ 0,2 mL de xylo avant que l’aiguille ne soit trop courte pour atteindre le fond de la bouteille. Ingénieux que vous êtes, dans un mouvement rapide et habile, vous retournez la bouteille, qui reste plantée au dessus de votre aiguille, pour en aspirer un peu plus, c’est à dire jusqu’à ce que cette fois l’aiguille soit trop longue. Ensuite, vous voilà avec l’aiguille fichée dans la bouteille non stérile. Vous retirez la bouteille en vous servant de votre main gauche que vous dé-stérilisez au passage. Vous essayez d’en profiter pour réaspirer un petit peu, mais comme vous n’avez plus qu’une main pour le faire, c’est moyen facile. Au final, vous vous servez de votre main droite toujours stérile pour poser la seringue sur la table sur laquelle vous aviez déposé champ bleu stérile n°2, kit de suture et fils.
Vous changez de gants. Vous changez d’aiguille. Vous enfoncez l’aiguille n°2 dans la berge de la plaie, pour injecter le précieux produit anesthésique. Vous poussez. Ça ne vient pas. Vous poussez un peu plus fort. Résistance dans l’aiguille. Vous bougez un peu l’aiguille de place (« J’en ai pour une minute, monsieur, ensuite vous ne sentirez plus rien ») et vous repoussez. Ça ne vient toujours pas. Vous poussez plus fort. La seringue se désadapte de l’aiguille dans un geyser de Xylocaïne qui se répand dans la plaie, coule le long de la joue pour finir dans le nez et dans les yeux. (« Fermez les yeux, monsieur ! »). Vous auriez été bien avisée de suivre le même conseil, puisque l’explosion a atteint les vôtres.
Il faut changer l’aiguille. Vous allez en chercher une nouvelle dans le tiroir d’à côté et rechangez de gants.
L’interne passe sa tête par la porte : « Quoi ? Mais t’as pas encore fini ? Il te faut combien de temps pour faire 5 points de suture ? »
Vous n’osez pas lui dire que vous n’avez pas encore commencé.
Avec un peu de chance, il vous reste suffisamment de Xylo dans la seringue pour réitérer la manœuvre un centimètre plus loin. Sinon, vous êtes reparti pour l’étape précédente.
A la fin, vous avez injecté à peu près un petit cinquième de ce qui était prévu dans la peau du patient. Le reste s’est réparti un peu partout ailleurs. De toute façon, là où vous avez réussi à injecter, le patient aura mal tout pareil qu’ailleurs. Tout ce que vous avez réussi à faire, c’est de déformer les berges pour rater votre point parce que les berges sont pas déformées pareil d’un côté et l’autre et que vous n’allez plus savoir où piquer pour faire symétrique.
Vous commencez enfin la suture. Le fil fait environ 3 mètres de long, soit 2 de plus que la plus grande longueur du champ. Pendant que vous en enfilez une extrémité dans le monsieur, l’autre extrémité vit sa vie et folâtre. Sur le champ, sur le brancard, dans les cheveux du patient. Autant pour le fil stérile.
Vous faites un point. Avec votre pince qui ne pince pas et votre porte-aiguille qui n’accroche pas, ce n’est pas terriblement évident, mais vous vous en sortez honorablement.
Vous avez serré ni trop, ni trop peu, en bonne Boucle D’Or que vous êtes.
Vous répétez l’opération encore 7 fois. Vous changez de gants une fois ou deux, rapport aux gants de l’hôpital qui sont fournis avec leur propre système de transpiration autonome intégré.
Fini ! C’est fini. Avec un soupir contenu de soulagement, vous allez chercher un pansement.
Pour vous retrouver devant l’exacte même problématique de taille et de collant-qu’on-ne-peut-pas-coller que tout à l’heure. Il vous faut 20 minute de bricolage approximatif pour avoir un truc qui ne recouvre pas l’œil et qui colle à peu près. Pas partout, parce que le bord du haut, on peut quand même pas décemment le coller sur les cheveux, mais du moins suffisamment pour que le pansement tienne et cache la plaie. C’est tout ce que vous demandez pour laisser le patient s’exposer à la vue de sa famille et de l’interne.
Et puis à mesure des gardes aux urgences, vous découvrez toute la panoplie des combinaisons rigolotes.
La réalité, c’est les plaies en double M inversés avec des bouts de peau arrachés et déjà à moitié morts que vous savez plus comment relier ensemble.
La réalité, c’est la plaie au milieu des cheveux que vous êtes censés raser avant de suturer. (Faites l’effort d’imagination requis, s’il vous plaît, pour vous visualiser en train de passer un rasoir Bic sur une plaie. Et pour imaginer l’état de la plaie après, avec tous ses petits bouts de cheveux qui trainent dedans)
La réalité, c’est le patient bourré qui fait des bonds à intervalles réguliers en jurant.
La réalité, c’est mon collègue à qui on avait demandé quand il était externe de faire les premiers points de sa vie sur la joue d’un enfant de 5 ans.
La réalité, c’est pas les pieds de porc.
Urssaf, mon amour ma beauté mon trésor, mon obsession.
29 avril, 2010
28/04/10 : (Photo à venir du courrier que j’ai reçu ce soir de l’Urssaf. C’est trop beau pour être vrai. Je trouve comment vous mettre une photo et j’édite. Merci, merci, merci de venir illustrer si parfaitement mon post précédent. Il y a bien longtemps que j’avais pas ri autant. J’ai encore un peu mal au ventre.)
30/04/10 Avant hier, donc, j’ai reçu deux courriers de l’Urssaf. Difficile de vous décrire dans quel état d’esprit on ouvre les courriers de l’Urssaf. Une espèce de curiosité gourmande, mais avec un soupçon de trouille au fond.
Déception à la lecture du premier courrier, sans grand intérêt.
Voilà le courrier n°2 :
Le courrier n°1, c’était une pub pour le prélèvement automatique, qu’on me conseillait vigoureusement.
Je pense que je vais décliner.