Bilinguisme

25 juillet, 2008

Donc, quand on fait interrogatoire, il a ce que les gens disent, et il y a ce qu’on peut décemment écrire dans un dossier médical.
Entre les deux, il a le médecin et son stylo bic.
Et parfois, l’exercice de style est délicat.
Surtout quand on est externe, à l’hôpital, et que le dossier médical sera relu par d’autres.

– « J’ai eu l’appendicite » –> on écrit appendicectomie
– « J’ai eu les végétations » –> on écrit adénoïdectomie

Quand on a un tout petit peu de bouteille :
– « J’ai eu la totale » –> on écrit hystérectomie

Quand on a pas mal de bouteille :
– « Il a eu les herbes » –> on écrit adénoïdectomie
(oui, c’était ça le « mot de patient » que vous voyez parfois en haut à droite. Je suis surprise d’ailleurs que personne n’ait demandé le pot aux roses pour celui-là, moi je ne l’avais pas trouvé)

Quelle que soit sa bouteille :
– « On m’a pris un bout de péroné pour le mettre dans ma machoire » –> On fixe son calepin 15 bonnes secondes en silence, on prend sa plus belle plume, on l’essuie soigneusement au bord de l’encrier, on tire la langue et on écrit « On lui a pris un bout de péroné pour le mettre dans sa machoire« .

 
Sur un autre thème, un autre exercice délicat. Plus le texte est officiel, plus l’exercice est périlleux. 
Moi je m’enlisais dans les formulations métaphorico-politico-correctes du genre « L’interrogatoire est difficile, un peu fluctuant et probablement peu fiable. Il n’est pas certain que les capacités cognitives du patient lui permettent d’appréhender les questions parfaitement. »

J’ai connu un médecin qui s’emmerdait moins que moi, et qui écrivait en tête du dossier « BABF ».
Comme « Bête à bouffer du foin ».
Comme c’était le dossier qui allait passer de mains en mains, et être lu par tous les professionnels du service, de la secrétaire aux 35 infirmières, c’était quand même un peu limite.

Remarquez, les jours de fatigue, quand je n’en pouvais plus de jouer la traductrice patiento-médicale, je me suis moi-même autorisé des « Motifs de consultation : MTP ».
Comme « Mal tout partout ».

Pipi

22 juillet, 2008

J’ai eu une grande leçon de médecine, un jour, alors que j’étais externe.
Qui a probablement un peu conditionné mon amour inconditionnel de l’interrogatoire.

Je ne sais plus rien du stage, plus rien du médecin, plus rien du patient.
Mais je me souviens nettement de la conversation :

– Et à part ça, tout va bien, vous n’avez rien à signaler ?
– Non non, tout va bien.
– Pas de problèmes pour uriner ?
– Non docteur, ça va très bien.
– Vous urinez normalement ?
– Oui oui, sans problème !
– Et les urines sont normales ?
– Oh bah oui…
– Et elles sont de quelle couleur ?
– Ah, bah rouge vif, rouge porto, ça dépend…

Je me souviens qu’au fur et à mesure des questions, je me disais : « Non mais ça va, il te dit que ça va bien ! Pourquoi tu le prends pour un débile alors qu’il te dit que ça va ? Tu vas pas rester trois heures là pour savoir s’il fait bien pipi, le monsieur TE DIT QUE CA VA ! ».
Je suppose que le médecin avait de bonnes raisons, que j’ai oubliées, de pousser les choses, mais j’ai appris ce jour-là qu’il faut garder en tête l’océan qui sépare parfois les représentations du médecin et celles du patient.

Quand on dit « Vous n’avez pas de problème de tension ? », les gens répondent « Non non ! Ma tension est normale ! », alors qu’ils prennent trois médicaments différents depuis 10 ans pour parvenir à ce qu’elle le soit.
Quand on demande « Vous avez déjà été opéré ? », les gens répondent « Non ». Mais quand on précise : « Appendicite, amygdales ? », ils disent « Oh, bah oui, ça, quand même, bien sûr ! ».
Quand on demande « Vous prenez des médicaments habituellement ? », les gens répondent non. Sauf la pilule et les diantalvic et le biprofenid, mais ça, ça compte pas.

Et, ça n’a rien à voir, mais je tiens à le dire : si on dit « Couchez-vous sur le dos », ils se couchent sur le ventre.
TOUS, sans exception.
Du coup, maintenant, je dis « Allongez-vous ».

Interrogatoire, mon amour…

22 juillet, 2008

Quel étrange cri…

Me voilà donc externe, toujours avec mes couettes et mes tâches de rousseur, mon petit calepin et ma langue sortie pendant que je note avec application tout ce que je peux noter comme antécédents.
J’ai ma jolie blouse blanche et mon stétho autour du cou, histoire d’essayer de faire un peu oublier mes couettes. Je joue la grande. Mmm oui, quel âge, quelles opérations, quels antécédents, racontez-moi un peu….

Et soudain, c’est le drame.

– Ah oui, et puis j’ai eu un iriripelle aussi !
– Heuuu… Pardon ?
– Un nhérésépel, à ma jambe gauche !
– Mmm. Pardon, mais un quoi ?
– Bin un hérésie-pelle, quoi !
– Ahaha, excusez-moi, je n’ai pas bien entendu ce que vous disiez…
– Un né-ré-si-pel !
– Heuuu… Et vous écrivez ça comment ?

Je n’ai pas trouvé le moyen de m’en sortir. Réduite à demander à la patiente de m’épeler le machin.
Adieu blouse blanche, stéthoscope, calepin, vaches et cochons.
Les couettes, le retour en force.
Aujourd’hui encore, je suis obligée de regarder A CHAQUE FOIS si on dit érésypèle ou érysipèle.
Pourtant c’est un joli mot, tout doux. On dirait « kyrielle », en presque mieux.
« Kyrielle », qui était mon mot préféré quand j’étais petite et que je faisais collection de mots (Ouais, je faisais collection de mots. Et toc. J’avais des jolis mots que j’écrivais sur des petits papiers et que je rangeais dans une jolie boîte en bois avec de la lavande.)

Dix minutes après, j’essaie de retrouver ma contenance dans le box d’à côté.
Je suis grande, je suis savante, je suis forte, je n’ai même pas de couettes.
J’explique au type qui vient de faire un presque-infarctus ce qui lui est arrivé.
Alors les artères, le sang, le coeur, toussa, et le piti caillot qui se forme dans une pitite artère et qui vient la boucher-pas-tout-à-fait-mais-presque, et le sang qui n’arrive plus à passer pour nourrir le coeur, qui essaie de pousser avec ses-petits-bras-de-sang le méchant caillot, et le coeur qu’il a bobo à cause qu’il est pas bien nourri.
Le gars, il a attendu la toute toute fin, quand j’en étais presque à mimer le méchant caillot avec les joues gonflées et les bras en arc-de-cercle autour de la tête, pour me dire : « Oui, vous savez, je suis médecin… »

Ok.
Allez tous mourir.
Je vais partir m’enterrer vivante avec mes couettes et mon calepin, dans une jolie boîte en bois avec de la lavande.

Nous zavons les moyens….

22 juillet, 2008

Classiquement, il y a deux temps dans une démarche diagnostique classique : l’interrogatoire, d’abord, et l’examen clinique, après.

Note au passage parce que la faute va finir par m’agacer encore plus que « Elle s’est faite violer » :
Un examen, c’est un examen.
Une auscultation, c’est quand on prend le stéthoscope,  et qu’on le colle quelque part pour écouter avec nos oreilles ce qui passe dans ce bout de votre corps. Donc non, le docteur ne vous a pas « ausculté l’oreille », il ne vous a pas « ausculté le pied », et il ne vous a pas parlé de votre cholestérol « la dernière fois qu’il vous a ausculté ».
Voilà, c’est dit et ça fait du bien.

J’ai toujours trouvé l’interrogatoire vachement plus important que l’examen.
Sans doute au début parce que je ne savais pas examiner, et que l’interrogatoire, c’était tout ce que je savais faire.
Alors je le faisais BIEN. Bien bien bien bien bien.
Des fois même, j’exagérais un peu.
La dame arrivait en pleine colique néphrétique, et en ressortant de son box (Note au passage : oui, on parle des « box » quand le respect de la vérité nous empêche d’appeler « chambre » le bout d’espace entre deux paravents avec un lit au milieu. Un « box », comme pour les chevaux. C’est bien ça.), je savais combien elle avait d’enfants, combien elle avait eu de fausses-couches, son métier, combien elle fumait de cigarettes par jour et depuis combien de temps, l’âge de sa grand-tante quand on lui avait diagnostiqué son cancer du sein et l’étage auquel elle habitait. Et si y avait un ascenceur.
Deux pages, front and back, de jolis antécédents bien rangés dans leurs petites cases.

J’exagérais un peu, certes.
Maintenant, j’essaie de diluer un minimum. Si, c’est important de savoir où les gens habitent et à quel étage, mais bon, c’est parfois possible de reporter un peu la question quand la dame sautille de partout rapport à son calcul qui lui fait trop mal. (Note au passage : car la colique néphrétique est frénétique, alors que la colique hépatique est pathétique. C’est joli, des fois, les moyens mnémotechniques.)

Mais n’empêche, aujourd’hui encore, quand à la fin de mon interrogatoire je n’ai pas la moindre idée de ce qui se passe, je sais que c’est mal barré pour la suite, et que, probablement, mon examen clinique ne m’apportera pas grand chose de plus.

Du coup, vous pensez bien que j’ai plein de choses à vous raconter concernant les interrogatoires.
Et ça commence tout de suite après.

Merci de mourir en règle

12 juillet, 2008

En ce moment, je m’occupe d’une patiente dont la mère est en train de mourir.
Comme elle ne veut pas mourir à l’hôpital, elle meurt chez elle, et les enfants se relaient à son chevet.

Elle (la mère), a le coeur qui flanche. Sérieusement.
Elle ne quitte plus sa chaise. Elle y vit, elle y mange (de moins en moins), elle y dort, aussi, parce que se coucher l’étouffe.
Elle a des jambes énormes, pleines d’eau qui finit par faire craqueler la peau. Régulièrement, sous la chaise, il faut passer la serpillère à cause de ces jambes qui ne sont plus étanches.

Elle (la fille), a le coeur qui flanche. Métaphoriquement.
Bizarrement, elle non plus ne dort plus très bien. Elle s’en veut de ne pas en faire plus, elle s’en veut de ne plus être assez disponible pour sa fille à elle, elle s’en veut de finir par espérer la mort. Et puis elle fatigue d’essayer de trouver une solution pour que sa mère arrête d’avoir si mal. Le cardiologue ne veut pas mettre les médicaments anti-douleur qui ne sont pas bon pour le coeur (sic), le généraliste renvoie à l’hôpital, l’hôpital renvoie au cardiologue.

Moi, la mère, je ne l’ai jamais vue, mais mon boulot c’est de m’occuper de sa fille.
Et je vois mal comment m’occuper de la fille sans m’occuper de la mère.
J’essaie donc de trouver un réseau de soins palliatifs à mettre sur le coup. Des médecins, des infirmiers, des assistantes sociales, des psychologues dont c’est précisément le boulot : permettre aux gens de mourir chez eux le plus tranquillement possible, sans douleur même si ça risque de déplaire au coeur qui flanche, parce que le coeur n’est justement plus au coeur du problème, et soutenir la famille qui flanche aussi.

J’appelle donc le réseau avec lequel j’ai l’habitude de travailler : c’est super pas leur secteur géographique, ils sont à l’autre bout du monde. Ils me donnent les coordonnées de leurs collègues du bon bout de monde.
J’appelle le réseau qui va bien, ils me disent que oui oui, c’est leur secteur, pas de problème. J’explique un peu ce que je sais de la situation, de la fille, des professionnels sur le coup, de la mère.

Aaaaaaaaaaaah mais oui mais non.
Insuffisance cardiaque terminale, vous dites ? Ah, non, eux ils font que les cancers. Pas eu les subventions pour se payer le luxe des autres maladies.
Ah mais j’appelle qui, alors, pour ma dame qui se meurt ?
Aaaaaaaaah, ils savent pas du tout. Truc ils font pas cet endroit là, Machin ils font que l’hôpital et Chose c’est pas le secteur non plus.

Donc j’ai rien, j’ai personne.
La dame, elle avait qu’à mourir d’un cancer comme tout le monde.

Ca vous gratouille…?

4 juillet, 2008

Il y a deux choses que je hais plus que les classes d’antibiotiques :
les classes d’anti-hypertenseurs, et la chose que je hais encore plus que les classes d’anti-hypertenseurs : la dermato.
J’exècre la dermato.
Je la vomis.
Elle me donne des boutons. (mouarf mouarf)

Je suis infoutue de faire la différence entre un psoriasis et un eczéma.
J’ai deux copains, en dermato : l’urticaire et la varicelle.
Si vous avez n’importe quoi d’autre et que vous venez me voir avec vos plaques et vos boutons, sachez bien que je vous hais.

Je me suis faite à l’idée, les dermatos de mon secteur me haïront aussi. Je vais te leur remplir leurs salles d’attente qu’ils n’auront jamais vu ça.
 » Cher confrère,
Merci de recevoir en consultation Mme B, 43 ans, qui présente depuis deux semaines une éruption cutanée moche et rouge. Le tableau est probablement d’une extrême banalité, mais comme vous le constaterez très rapidement, je suis nulle en dermato.
Merci d’avance de ce que vous ferez pour elle.
Cordialement, Dr Rrr
 »

Ne croyez pas que je n’ai pas essayé de l’apprivoiser. Chaque jour, j’essaie de m’asseoir un peu plus près.
Aujourd’hui encore, si l’idée saugrenue vous venait de fouiller dans mon sac à main, vous trouveriez, entre deux paquets de chewing-gum, ma brosse à dents et quelques tonnes de détritus, un bouquin de dermato.
J’essaie plein.
Je m’arme de toute ma bonne volonté, et d’un peu de ma honte, et je ré-ré-attaque le chapitre de l’eczéma.

Et l’inévitable arrive, comme à chaque fois, comme à chaque damné chapitre.
Une fois que vous croyez avoir à peu près cerné la chose (Ok, donc ça fait tel genre de lésions, plutôt sur telles parties du corps, avec tels et tels symptômes), le dernier paragraphe viens vous apprendre que bon, c’est comme ça sauf les fois où c’est autrement, et que des fois, ça fait d’autres lésions, ailleurs, avec d’autres symptômes.
Et comme il y a au moins huit sous-types d’expression pour chaque maladie, il y a TOUJOURS au moins un sous-type qui fait tout pareil qu’un autre sous-type d’une AUTRE maladie.

Ca gratte pas, sauf les fois où ça gratte. Ca ne touche JAMAIS les plis de flexion sauf quand ça les touche. C’est vésiculeux, mais bon des fois y a des squames.
En définitive, tout est potentiellement érythémato-vésiculo-squameux.
Sauf ma copine la varicelle.

Tenez, pour vous prouver que je ne mens pas.
Les non-médecins peuvent aussi lire, je vous passe les détails-à-la-con. Imaginez vous seulement que pour chaque (blablabla), je vous épargne de longues descriptions que j’ai lues en fronçant les sourcils et en m’appliquant pour bien tout retenir. Et ne vous laissez pas rebuter par les mots-qui-font-peur, essayez de vous mettre à ma place, ils me font peur à moi aussi.

Page 17 : « L’eczéma est une dermatose érythémato-vésiculeuse (ok, érythème et vésicules). Il évolue typiquement en 4 phases : érythémateuse (normaaaal), vésiculeuse (oooook), suintante (ah ?) et squameuse (bah voilà les squames !) ((blablabla)). 
Ces diverses phases sont souvent intriquées (blablabla).
Une ou plusieurs phases peuvent manquer. »

Page 18 : La dermite irritative aigüe présente les caractéristiques suivantes (blablabla) qui l’opposent à l’eczéma allergique. Cependant l’aspect des deux dermatoses peut être identique. »

Page 22 : La dermite irritative chronique (blablabla). Sur ce fond de lésions chroniques surviennent secondairement des réactions inflammatoires simulant l’eczéma de contact. En fait, l’intrication est fréquente.  (…) Cependant le diagnostic de dermite irritative chronique ou d’eczéma kératosique est souvent porté à tort devant une main psoriasique dont l’aspect peut être identique »

Page 28 : Le diagnostic de dermatite atopique est le plus souvent évident (cool !). Cliniquement, il est encore facilité par (blablabla), cependant, ces éléments peuvent manquer.
(blablabla).
Le diagnostic ne doit pas être porté devant des dartres, un eczéma nummulaire, une dysidrose, un urticaire.
Les lichénifications surviennent souvent mais pas obligatoirement.

Page 32 : La dermite séborrhéique peuvent diffuser au tronc, pouvant alors simuler un pityriasis rosé de Gibert.

Page 44 : le psoriasis du visage : il est souvent très difficile à différencier d’une dermite séborrhéique.

Voilà.
Et je ne vous ai donné que quelques exemples des 44 premières pages, et je vous épargne les 218 restantes.
Et moi, effectivement, la différence entre la photo page 59 d’une main d’eczéma et la photo page 103 d’un main de psoriasis, je la fais pas.
Au jeu des 7 erreurs, j’en trouve deux : page 103 y en a plusse tout partout et page 59 y a du vernis à ongles. Dorénavant, toutes mes patientes auront de l’eczéma et tous mes patients du psoriasis.

Et de toute façon, que quelqu’un m’explique à quoi ça me servira de faire la différence.
Quelque soit le diagnostic, ça se finira avec des corticoïdes locaux.
Alors bon à quoi bon ?