(Alors ça fait des siècles que j’ose pas écrire en ayant l’impression que si c’est pas pour écrire un truc médical ultra brillant, ça vaut pas le coup. Du coup je vais péter mon karma en écrivant un truc pas médical et pas brillant, et on verra si ça aide par la suite.)

 

J’ai été frustrée environ quatre cent quatre vingt douze mille treize fois dans mes discussions féministes par un machin sur lequel je ne mettais qu’un demi-doigt, et qui est tout con, et sur lequel je viens peut-être de mettre un doigt.
J’ai eu l’impression des milliers de fois, soit en dialoguant soit en réfléchissant contre moi-même, que des trucs étaient pas logiques, en contradiction, vrais et faux à la fois. J’ai eu l’impression d’être coincée. On me donnait un contre argument que je trouvais vrai, dont je sentais confusément qu’il n’était pas suffisant à répondre à mon argument, ou qu’il y répondait à côté, mais quand même, c’était très vrai et j’étais bien engluée.
Ou je me perdais dans des précisions interminables.
Alors que c’est tout con.
C’est juste une histoire de mondes parallèles.

 

Prenons un exemple, qui, comme on l’a déjà dit à de bien trop nombreuses reprises, vaut un bon steak.
(Et là théoriquement si j’étais sérieuse je vous ferais une petite bibliographie pas piquée des hannetons pour prouver tout ce que je m’apprête à dire, mais sachez que j’ai la flemme. Et qu’on a dit d’avance que ce serait pas brillant.)

–> Les femmes sont nulles en maths.
C’est faux, bien sûr. Les femmes ont les mêmes capacités intellectuelles que les hommes, insérez ci-après plein de femmes mathématiciennes et physiciennes et scientifiques et une photo de Margaret Hamilton à côté de sa pile de code.
Et pourtant c’est vrai, aussi. Si on prend des stats, c’est vrai.
Le truc c’est que les femmes sont moins bonnes en maths par prophétie autoréalisatrice. Comme « les femmes sont moins bonnes en maths », on les encourage moins à l’école, on leur ouvre moins la porte des études supérieures, on les y maltraite, on leur fait croire dès l’enfance que même pas en rêve, elles développent dès l’école primaire un syndrome de l’impostrice exacerbé, et du coup force est de constater que les femmes sont moins bonnes en maths, et du coup… #LeSerpentLaQueue

J’imagine que de la même façon, on pourra me trouver quelque part des statistiques qui montrent que les arabes sont plus délinquants. En oubliant tous les biais qui font qu’ils sont aussi globalement plus pauvres, plus maltraités, plus contrôlés au faciès, plus arrêtés, plus sévèrement condamnés.

Bref, on a deux réalités qui se superposent.
Celle du monde tout pourri qu’on a actuellement. Raciste, sexiste, homophobe, grossophobe, transphobe, validiste… et qui se nourrit lui même de ses propres préjugés.
Celle du monde idéal qu’on voudrait avoir et vers lequel on essaie de tendre.
Pendant longtemps, on a vécu tranquillement endormis dans le monde pourri. Aujourd’hui, on se réveille un peu et on ose caresser d’espoirs fous un monde égalitaire.
Du coup, nos deux réalités se superposent, on parle depuis un référentiel ou l’autre, on a des trucs qui sont ce qu’ils sont même s’ils ne devraient pas et avec lesquels il faut bien composer, des réalités vraies, des réalités fausses, et des gens qui ne parlent ni de ni depuis la même, et c’est un bordel sans nom pour communiquer.

Moi je dis, il faudrait une façon simple et rapide de ponctuer nos phrases pour savoir de quel référentiel on part.
On mettrait des dièses et des bémols, genre.
: le monde idéal auquel on aspire (on n’a qu’à dire # parce que c’est plus facile)
♭ : le monde actuel contre lequel on se bagarre (ou on n’a qu’à dire ß pour pouvoir le taper depuis notre iphone en maintenant la touche s enfoncée longtemps**)

 

Et hop, la vie est un océan de simplicité.

Les femmes sont nulles en maths ß.
Les femmes sont tout aussi bonnes en maths que les hommes #.
Les hommes aiment le foot ß.

Du coup, soyons fous, soyons folles, on peut peut-être même espérer qu’on pourra dire : les hommes sont violents ß, et éviter de perdre 87% de notre santé mentale en lisant tous les commentaires qui nous expliquent à l’unisson que not all men.
Le not all men est compris dans le ß ; tout le monde a bien pigé que je ne pense pas sincèrement qu’il y a une propension à la violence livrée à la naissance avec le chromosome Y, et est-ce qu’on peut se consacrer au fond du propos maintenant s’il vous plaît, à savoir : « Les hommes sont violents ß » .

Idem avec l’argument si fatigant :  « Oui mais regarde, si tu remplaces « les blancs » par « les juifs » dans ta phrase, tu verras bien que c’est RACISTE ! »
Bah non, parce que dans le contexte actuel de notre monde tel qu’il est, on ne peut pas inverser les choses, on ne peut pas comparer, la vie n’est pas si simple.
Dans un monde idéal où les personnes racisées seraient traitées comme les personnes blanches, où on ne porte pas le poids de décennies accablantes sur nos épaules, oui, ça serait raciste.
On n’est pas dans ce monde là ***. Du coup non.
Pour tout te dire, j’adorerais que ma phrase soit raciste.

Moi je ne m’en lasse pas.
« Les médecins sont maltraitants ß. »
« Les poils sur les jambes c’est vraiment trop moche ß. »
Sérieusement, regardez comme c’est joli : « Les quotas de parité c’est super nul# et c’est complètement indispensable ß. »
On peut peut-être même tenter un : « Personnellement je suis pas ultra emballée par le port du voile # et j’irais volontiers personnellement arracher n’importe quel organe à portée de dents à la personne qui voudrait l’interdire ß. »

Des dièses et des bémols.
La rosée sur les coquelicots au matin.
Une main d’homme avec un joli vernis à ongles.

 

** Figurez vous que vous pouvez aussi faire ° en maintenant la touche 0**** sur votre iphone, et rien que pour ça ce post n’aura pas été écrit en vain pour rien du tout. © Chantons sous la pluie.
*** Oui alors jusque là mes liens étaient juste des gifs pourris, mais pas celui-là. Tombez pas dans le piège, celui-là cliquez vraiment dessus, mettez les sous-titres et regardez.
**** C’est un zéro