MDR

15 novembre, 2007

Un jour, vraiment, je poserai une bombe dans une maison de retraite.
Ah, non, zut, mince, les petits vieux…
Un jour, vraiment, je poserai une bombe dans les locaux administratifs d’une maison de retraite.

A chaque fois ils nous font le coup. A CHAQUE FOIS.
Les trois dernières fois :

1) )
Elle a 84 ans. Sur la feuille des pompiers, c’est marqué qu’elle vient pour « Malaise et occlusion« .
Ahahah, ça commence bien ^^
« Malaise et occlusion« … Pourquoi pas « Douleur et cataracte » ?
(Un jour, je vous raconterai les « motifs de détresse » des pompiers. Motif de la détresse : « Un homme de 52 ans fait un malaise ». « Une femme a mal au ventre ». « Un homme est trouvé sur la voie publique ».
Ma grande préférée, indétrônée à ce jour : « Motif de la détresse : une femme de 42 ans est assise sur son canapé« . Ca ne s’invente pas…)

Bref. Celle-là vient pour « malaise et occlusion », on a dû leur dire ça à la maison de retraite. (Médicalisée, hein, la maison de retraite. Avec des infirmières et tout.)
Dans l’enveloppe qui l’accompagne, j’ai une feuille avec la photocopie de sa carte vitale. Comme ça, je sais qu’elle s’appelle Marguerite.
Dans l’enveloppe, encore, …
Ah, non, rien.
– Les coordonnées de la maison de retraite ? Il faudra utiliser les pages jaunes.
– Les antécédents ? Pour quoi faire ?
– Le traitement en cours ? C’est important ??
– L’histoire de la maladie ? Pensez-vous ! Elle viendrait pour fracture du col du fémur, je pourrais me dire que l’histoire de la maladie, c’est « A tombé« . Non. Elle vient pour « malaise ». LE problème entre tous dont le diagnostic repose à 99% sur l’interrogatoire et l’histoire de la maladie. Et comme Marguerite m’a été livrée très, très démente, je ne peux pas tellement compter sur elle pour me raconter ce qui s’est passé.

Folle de rage, j’appelle. Je tombe évidemment sur le gentil aide-soignant de nuit, qui n’a rien vu, mais qui a entendu dire qu’elle avait fait un malaise.
– Mais quel malaise ? Elle a dit j’ai la tête qui tourne ? Elle est tombée ? Elle s’est cogné la tête ? Elle a perdu connaissance ?
– Heu… Bin vous savez, moi je suis de l’équipe de nuit… Je sais qu’elle a eu un malaise pendant le repas et qu’elle a glissé de sa chaise…
– Bon. Bon bon bon. Et son état habituel, c’est quoi ?
– ….
– Je veux dire, elle est désorientée depuis la chute ?
– …..
– Je veux dire : elle est toujours folle comme ça ??
– Ah oui, ça oui, elle est un peu perdue tout le temps, vous savez.
– Bon, et cette histoire d’occlusion ?
– ….. ?
– C’est écrit « occlusion » sur la feuille des pompiers… Elle a dit qu’elle avait mal au ventre ? Ses dernières selles remontent à quand ?
– Heu…..
– Vous pouvez bien me trouver la date de ses dernières selles dans son dossier ? C’est forcément écrit quelque part…
– (De bonne volonté) : Je vais voir et je vous rappelle.

Non, ce n’était écrit nulle part. Alors dans le doute, hein, on fait un ASP (oui, pour ceux qui suivent, l’occlusion fait partie des cas où l’ASP sert à quelque chose…), un scanner cérébral, un bilan bio, on a gardé Marguerite en observation (au service portes, toujours pour ceux qui suivent, bravo) 48h et on l’a renvoyée chez elle.

2))
Il a 76 ans. Je ne sais plus pourquoi il est là.
Dans l’enveloppe qui l’accompagne, j’ai la photocopie de sa carte vitale (comme ça je sais qu’il s’appelle Raymond), et, ô, miracle, une autre feuille !!
Qui ne me dit rien de ses antécédents, rien de son traitement, rien de l’histoire de la maladie.
Par contre, je sais qu’on l’a changé à 12 et 16h, qu’il a eu un repas mixé à 11h30, qu’on lui a lavé les cheveux avant-hier et que la pédicure est prévue pour mercredi prochain.
(Je vous jure….)

3)) Elle a 78 ans. Elle vient, toujours d’après la feuille des pompiers, pour « Hypertension sévère et déséquilibre glycémique« .
Ce jour-là, miracle, encore, j’ai une photocopie d’un compte-rendu d’hospitalisation de 1995, et la liste de ses médicaments. Non datée, la liste. Ca s’trouve, de 95 aussi.
Je ne sais pas à combien était la tension chez eux, mais chez nous, à l’entrée, elle est à 14/8 ; on a vu plus sévère.
Bon. Voyons voir cette histoire de diabète. Je ne sais pas à combien était le dextro chez eux, mais chez nous, oui, il est élevé.

J’épluche…
– Médicament qui-sert-à-rien pour les oedèmes des jambes
– Médicament qui-sert-à-rien-et-qui-est-dangereux pour les troubles de la mémoire…
– Laxatif
– 2ème laxatif
– 3ème laxatif (Bon, je suppose qu’elle est constipée…)
– Traitement contre l’ostéoporose
– Antihypertenseur (Ah ! Elle est hypertendue habituellement ! On progresse…)
– Antalgique
– Médicament-qui-sert-à-rien-pour-les-vertiges
– Médicament-aux-plantes-qui-sert-à-rien-et-qui-est-dangereux pour les « troubles dépressifs mineurs »
– Crême-pour-les-escarres

Mmm. Et un médicament pour le diabète ? Non ? Vraiment ?
Parce qu’elle vient un peu pour déséquilibre du diabète, hein, à la base, je le rappelle…
Elle est juste assez lucide pour me soutenir qu’elle prend du Diamicron et du Stagid depuis des années, juste assez démente pour ne plus savoir si on lui a donné ce matin.

En appelant la maison de retraite, je tombe, sur, devinez ? un gentil aide-soignant qui ne sait pas du tout si la liste de médicaments que j’ai sous les yeux correspond à son traitement du jour ou pas, et si elle a eu, ou pas, des médicaments pour son diabète ce matin, ni quelle dose elle a d’habitude.
C’est merveilleux.

En fait, j’ai mieux que l’histoire de la bombe.
Un jour, je vous jure, je vous jure que je le ferai, je prendrai une épingle à nourrice, un bout de papier et un crayon, et je renverrai à la maison de retraite une petite dame épinglée :
 » A une maladie. Lui donner des médicaments. « 

La crise

15 novembre, 2007

J’ai un respect infini pour les infirmières.
Vraiment. Je ne compte plus les fois où une infirmière m’a sauvé la mise en rectifiant une de mes prescriptions (« Je suppose que tu voulais pas vraiment mettre 10 grammes de Perfalgan ?« ) ou en corrigeant un de mes oublis (« J’ai piqué les gaz du sang, hein…« )

Mais quand même, des fois, pardon, celles qui appellent la nuit dans les étages…
(Quand on est de garde, on s’occupe des urgences, et on a un bip. Qui bippe quand on a besoin de nous quelque part, le plus souvent « dans les étages », c’est à dire dans les services d’hospitalisation. Dans ces cas-là, on rappelle pour savoir qui nous demande, et on essaie d’évaluer si la situation mérite qu’on quitte les urgences en courant (au ralenti comme à la télé), ou si ça peut attendre un peu…)

– Oui, excusez-moi de vous déranger, je vous appelle parce qu’on a le monsieur du 16 qui a de la fièvre…
– Mmm, oui, quel âge ?
– …………..
– Jeune, vieux, très très vieux ?
– Heuuu, un peu vieux, quoi, normal….
– Ok, et il est hospitalisé pour quoi ? (La question qu’il ne faut JAMAIS poser, et que, naïvement, on pose toujours…)
– ………
– … ?
– …… Heu, vous savez, moi je suis là que la nuit……
– Ok, il a quoi comme constantes ?
– … Heuuuu, ma collègue est en train de les prendre….
– Ok, et il a quoi comme traitement ?
– ……..
– Bon, bah je vais monter….

Une fois là haut :
– Vous avez son dossier médical ?
– ………
– S’il vous plaît ?
– …. Vous en avez besoin ?
– Heuuu, bin oui.
– Bon, bin je vais le chercher, je reviens dans 15 minutes….

La dernière fois :

– Allo, excusez-moi de vous déranger, mais est-ce-que vous pouvez venir ? Le monsieur de la 32 fait une crise….
– Mmm… Une crise de quoi ?
– …. ????
– Une crise de goutte ? Une crise économique ? Une crise de nerfs ?
– Oui ! C’est ça ! Une crise de nerfs !
– ……
– ……
– …… Je monte…..

Bien vu…

8 novembre, 2007

Il vient aux urgences parce que, rond comme une queue de pelle, il est tombé contre le coin de sa table basse et qu’il s’est énucléé l’oeil gauche dans l’histoire.
(NDRL : pour votre culture personnelle, et la mienne, j’apprends en vérifiant l’orthographe d’énucléer que ça signifie seulement « extirper en incisant ; enlever un organe, une tumeur ». Enucléer l’oeil n’est donc pas un pléonasme !)

Bref. Il ronfle comme un sonneur sur son brancard, l’oeil délicatement posé sur la joue. Il est trop saoul pour avoir mal.

Bien sûr, il a fallu que je voie ça.
Bien sûr, il a fallu que j’entre dans la chambre en disant « Bonjour monsieur, vous permettez que je jette un oeil ? »

Hé merde…. Ctrl-Z, please ??

Attente

8 novembre, 2007

Journée aux urgences.
J’ai toujours un peu de mal à partir, à la fin de ma journée. Il y a des choses en cours, et c’est toujours difficile de laisser un patient à un collègue en plein milieu de sa prise en charge. Et c’est toujours chiant de prendre le métro. Et on est bien, aux urgences.

Ce jour là, c’est encore plus difficile de partir.

J’ai une patiente qui est venue pour douleurs abdos et nausées. Jeune.
Rien de grave à première vue.
Pas de contraception, ça fait 2 ans qu’elle essaie d’avoir un bébé et qu’elle désespère. Elle m’émeut, dans sa façon de me dire ça et dans ses yeux qui brillent.

Le bHCG est en cours, ça met longtemps, mais je ne sais pas pourquoi, je le sens bien. Je veux attendre.
J’appelle le labo. Une fois, deux fois. C’est encore en cours. Ca fait une heure et demie que je devrais être partie, tout le monde me dit que je suis folle, et que je n’ai qu’à rentrer chez moi.
Mais c’est MA patiente, et si jamais, si jamais elle était enceinte, je veux que ce soit moi qui lui dise.

J’appelle le labo une quatrième fois.
Le test est positif.

Quand je vais lui dire, ses yeux brillent, encore.
Je n’ai vraiment, vraiment pas regretté ces deux heures d’attente.

Pour renvoyer les gens chez eux depuis l’hôpital, on a plein de chouettes moyens :

– l’ambulance, pour ceux qui doivent être couchés, ou dont l’état nécessite un rien de surveillance et de matériel
– le taxi pour les gens qui vont bien
– le VSL, « véhicule sanitaire léger », une espèce d’intermédiaire entre les deux

Le tout étant plus ou moins remboursé et plus ou moins tout de suite, selon des conditions obscures que je n’ai jamais vraiment réussi à comprendre, mais qui font quand même que bon, dans le principe, on peut renvoyer les gens chez eux de manière à peu près adaptée à leur état.

Ca a l’air merveilleux comme ça à première vue, mais c’est plein de bonnes choses qu’on peut pas comprendre, nous, humains.

En 7 ans d’hôpital, je n’ai jamais vu un VSL. Je ne sais pas à quoi ça ressemble, les infirmières m’ont toujours ri au nez quand j’ai essayé d’en faire demander un. « Ahahah, mais y en a pas, des VSL« .
Ah bon, comme ça, pouf ? Y en a pas ? Ah, bah non, y en a pas.
Partout où je vais, y en a pas.
Le VSL, je crois que c’est une petite ligne sur le formulaire de transport parce que ça faisait plus joli, ou une vaste blague des gens qui essaient de nous faire croire qu’on limite les dépenses de santé, ou un complot mondial quelconque. Rien avec des roues, en tout cas.

Les taxis, c’est une autre histoire. Non, en fait, c’est plein d’autres histoires.
– Ah, mais les taxis viennent pas après 2h du matin.
– Ah, mais les taxis viennent pas ici, parce que c’est trop excentré.
– Ah, mais les taxis viennent pas ici, parce que c’est trop dangereux.
– Ah, mais les taxis viennent pas, parce qu’ils sont jamais payés par les patients et ils veulent plus venir.
– Ah, mais les taxis viennent pas parce qu’ils viennent pas.

Donc, il reste l’ambulance et sa demi-fortune au kilomètre.
L’ambulance pour tous.

Et j’aimerais bien savoir ce que je fais de :
– La petite dame qui va pas si mal, mais qui se déplace à peine, qui ne sort plus de chez elle, et qui ne pourra juste pas monter toute seule ses trois étages
– Le type qui va très bien, mais qui a deux bras et une jambe dans le platre, une valise et pas d’ascenseur
– Les huit cent milles types qui sont venus aux urgences en pleine nuit avec les pompiers et qui vont parfaitement bien, sauf qu’il est quatre heures du mat et qu’ils habitent loin

Parfois, on essaie de lutter un peu, et on refuse de faire venir l’ambulance.
Les gens s’offusquent, ils demandent comment ils vont faire, ils disent qu’ils « y ont droit ». Quand on tient la forme et que les gens sont des chieurs, on leur explique qu’ils n’avaient qu’à pas appeler les pompiers pour une gastro et que c’est leur problème.
Quand on est fatigué, quand les gens sont gentils, quand ils ne connaissent VRAIMENT personne pour les ramener, quand ça fait trois fois qu’on s’engueule avec des patients pour la même raison, quand il pleut, quand ils sont vieux, quand ils sont saouls, quand on n’a pas dormi depuis trop longtemps, quand c’est Noël, quand c’est comme ça, on appelle l’ambulance.

Une fois, j’ai vu à 4h du mat, aux urgences gynéco, un tout gentil couple de 55-60 ans. La dame avait connu la première mycose de sa vie, ça démangeait terriblement, ils avaient une culture médicale frôlant le zéro absolu, ils ont paniqué et appelé les pompiers.
C’était un hôpital de périphérie, ils habitaient dans le village d’à côté celui d’à côté, et ça faisait 8 bons kilomètres.
Ce jour là, allez savoir pourquoi, je suis restée campée à cheval sur mes beaux principes. Ils ont dit qu’ils comprenaient, ils ont hôché la tête et ils sont repartis main dans la main en disant qu’ils allaient marcher.
Je m’en veux encore de ne pas avoir appelé cette foutue ambulance.

Tu la sens, ma grosse b…

18 septembre, 2007

Externat, garde aux urgences.

Mon boulot consiste grosso modo à aller voir les gens en première ligne, leur demander ce qu’ils fichent là et depuis combien de temps ils ont ça ( –> « Oh, un moment« , donc…) puis à trotter derrière de vrais médecins en blouse blanche qui viennent poser des diagnostics et demander des examens.

Une femme d’une soixantaine d’années. Douleurs abdos.

Antécédent d’un cancer quelconque il y a quelques années, du genre méchant et jamais tout à fait guéri.
Elle s’est mise à avoir mal depuis plusieurs jours, puis de plus en plus. Elle a essayé d’éviter l’hôpital tant qu’elle a pu mais ça commence à faire vraiment trop mal. J’ai le souvenir qu’elle se tord sur son lit, et que sa peau tire vaguement sur le gris-jaune, mais c’est peut-être moi qui enjolive après toutes ces années.

Comme elle va vraiment moyen, un vrai médecin m’accompagne d’emblée pour aller la voir, histoire de ne pas perdre trop de temps.
Et pas n’importe quel médecin s’il vous plaît, le chirurgien. Histoire de perdre encore moins de temps. Prononcer chii-ruur-gieen. L’interne en chirurgie, en fait, mais c’est tout comme.

Bonjour Madame, je suis le chii-ruuur-gien.
Histoire de la maladie, où ça fait mal, depuis quand, depuis quand elle n’est plus allée aux toilettes, depuis quand elle a maigri, hochements de tête.
Il pose ses deux mains l’une sur l’autre sur son ventre, il fait onduler ses doigts, il y va méthodiquement, cadran par cadran, les yeux levés vers le plafond comme pour y chercher l’inspiration.

Soudain, son visage s’illumine. Il hésite, il vérifie, il finit par rester toujours au même endroit et on voit bien qu’il se passe quelque chose, là, sous ses mains, et ça a l’air de lui faire vachement plaisir. Il sourit, même, maintenant.

Triomphal, il me dit « Tenez, sentez, là, palpez… »
Je pose mes mains, moi aussi. Parce qu’il me l’a demandé, bêtement. Parce que je ne réfléchis pas. Parce que c’est tellement surréaliste que je flotte, far far away, quelque part entre l’hébétude et l’incrédulité. Parce que je ne veux pas croire qu’il va se passer ce que je crois qu’il va se passer, et qui, évidemment, se passe :

« Alors ? (sourire) Qu’est ce que vous sentez ? »

Effroyable, effroyable connard… Tu veux dire à part l’envie de disparaître ? Tu veux dire, autre chose que le désir irrépressible de te hurler ta méchanceté crasse au visage ? Tu me demandes, raclure de moisissure de chiottes à la turque, si je sens autre chose que mes poings qui fourmillent et que j’essaie d’empêcher d’atteindre ton joli sourire de dents blanches ?
Je la sens, ta tumeur, enfoiré d’enfant de putain, sous la peau du ventre auquel est rattaché, un peu plus haut, si si, regarde bien, un torse, et oh, un cou et une tête. D’une dame. Avec des oreilles.

J’ai dit « Rien ».
Parce que c’est à peu près la seule chose que j’ai pensé à dire sur le moment.
Et en sortant de la chambre, étouffée à moitié par mon respect idiot de la hiérarchie, à moitié par ma fierté et à moitié par ma lâcheté – ce qui fait beaucoup trop de moitiés – j’ai dit :
« Non mais j’avais senti, hein, mais bon voilà… »

Aaaah, les nuits de garde aux urgences…

Horloge, salle d’attente, patients, patients, patients. Sonnerie du bip. Téléphone, radio, stéthoscope, horloge, scalpel, patients, kit de suture, patients, horloge, encore.
Du grave, du sordide, du pas grave, de la piqûre de moustique, du touchant, du touché, du drôle.
Les anxieux, les trop, les pas assez. Les mères angoissées, les fils effondrés, les gentilles hystériques, les agressifs.
Ils sont tous différents. Ils se ressemblent tous.

Et, sur le coup de trois heures du matin, quand on entame sa dix-septième heure de boulot d’affilée, quand la patience et l’indulgence dont on s’est si souvent gargarisé ont une fâcheuse tendance à s’effilocher doucement, on essaie, malgré tout, de garder certaines phrases au fond de la gorge. En priant très fort pour qu’une nuit elles ne nous échappent pas…

– À celui qui est venu réclamer sa radio de genou, là ce soir, à 22h30, pour une douleur qu’il traîne depuis deux semaines et pour laquelle il a, au fond de sa poche, une ordonnance de son médecin traitant pour une radio en ville le lendemain après-midi, quand il vous toise de tous ses centimètres et qu’il dit : « Mais demain je travaille, moi, monsieur !! »
(Ah ? Parce que moi demain, j’me branle, connard…)

– Au type avec sa croix gammée sur l’épaule, dont vous essayez tant bien que mal de recoudre l’arcade, pendant qu’il vous vomit consciencieusement dessus avant de se mettre à hurler que vous avez intérêt à le lâcher tout de suite, parce que c’est pas aujourd’hui qu’il va se laisser emmerder, et qu’on est en démocratie et qu’il peut encore choisir qui va le soigner, et que ce sera certainement pas une gonzesse de ses deux…
(Aaaaah, bah vous voyez bien qu’on va finir par s’entendre, monsieur, figurez-vous que moi, je ne soigne pas les gros cons…)

– À la gentille petite dame qui ne sait rien de ses antécédents parce que c’est sa fille qui s’occupe d’elle, mais qui est sûre de prendre tous les matins « Le cachet, là, docteur, tout blanc, avec une boîte blanche et verte…. »
(Ah oui, je vois ! C’est le cachet pour la maladie, là, avec les symptômes ?)

– À celle qui arrive pour une « boule sous le bras » qu’elle a depuis un mois et demi, quand on lui demande pourquoi elle se décide à consulter, précisément cette nuit, à 2h30 du matin, et qu’elle vous répond : « J’ai une amie cet après-midi qui m’a dit que ça pouvait être un cancer, alors forcément vous comprenez je m’inquiète, vous pouvez bien me faire une écho vite fait ? Dites d’ailleurs, ça va prendre encore longtemps ? Parce que je suis dans la salle d’attente depuis au moins trois quart d’heure…»
(Un petit moment, oui… Surtout en comptant le scann pour votre cancer du cerveau…)

– Au dixième de la journée qui dit « J’ai tombé, docteur…. »
(Ah… ? Et vous avez fait mal ?)

– Au type qui vient à quatre heures du matin pour avoir des antalgiques, pour sa douleur abdo qui refuse de passer malgré sa séance d’acupuncture de l’après-midi, quand il ajoute en levant les yeux au ciel : « Et pour que je vienne dans un hôpital, c’est vraiment que j’ai mal, parce que de toute façon, moi, la médecine traditionnelle, ça me fait vomir… »
(Ah ? Et les coups de pied au cul, ça te fait vomir, aussi? Parce que tu peux toujours essayer d’aller réveiller ton acupuncteur, juste pour voir…)

– À tous ceux qui sont scandalisés d’avoir attendu une heure, ou deux, ou trois, dans la salle d’attente, quand ils s’exclament : « Mais c’est un service d’urgences, quand même ! »
(Oui garçon. Et tu seras gentil de me laisser décider de ce qui est une urgence. Sinon, va l’apprendre et reviens dans 10 ans. Moi, j’ai tout mon temps. )

– À tous ceux qui vous répondent « Oh, un moment » quand on leur demande depuis combien de temps ça dure…
(Ok, j’ai mon diagnostic. Il est presque certain que vous avez une maladie)

– À celui qui refuse catégoriquement de passer son scanner, parce qu’il veut une IRM, et qui finit par dire « Mais enfin Madame, le client est roi !»
(Joker)

Que celui qui n’en a jamais pensé une jette la première pierre…