Amitiés confraternelles

13 février, 2008

Interne aux urgences.
Stage qui se passe très bien. Le stage est bon, l’ambiance est bonne, l’équipe para-médicale est bonne, les relations avec mes collègues et mes chefs sont bonnes.
Sauf avec une. De chef.

Pour des raisons qui m’échappent, elle me déteste.
C’est sans doute au moins en partie parce que, pour des raisons qui ne m’échappent pas du tout, je le lui rends bien.
Plein de gens l’aiment bien (elle est jeune, dynamique et enjouée) ; plein de gens m’aiment bien (je suis super) ; des gens qui l’aiment bien m’aiment bien ; mais c’est comme ça, entre nous deux, ça ne passe pas. Et forcément, plus elle ne m’aime pas, plus je ne l’aime pas, et plus elle ne m’aime pas, et…

En fin d’après-midi, je reçois un patient. La cinquantaine. A fini par se laisser traîner par sa femme aux urgences, après de nombreux refus, après de nombreuses disputes.
Il est alcoolique.
Il se tenait bien jusqu’à peu. Il avait un travail, il ne buvait que le soir, chez lui, il avait une vie sociale, bref, il se tenait. Alcoolique mondain.

Depuis une bonne semaine, rien ne va plus. Comme ça, soudainement, après une bonne dizaine d’années de mondanités contrôlées. Il n’est pas allé au travail trois jours de suite, il commence dès la fin de la matinée, il a mis son fils en danger au moins une fois.
Sa femme, que je rencontre à part, m’émeut, et m’inquiète. C’est elle qui me raconte tout ça, la dégringolade en cours. Elle a essayé depuis longtemps de le faire consulter, sans succès. Elle s’inquiète pour lui, elle s’inquiète pour elle, elle s’inquiète pour son fils. Et visiblement, elle l’aime. Elle a tenu plein d’années, mais là, vraiment, il faut faire quelque chose.

Lui, quand je le vois vers 17h30, il est assez serein. Forcément, il est assez bourré. Très conscient, pas du tout somnolent, il répond à mes questions de façon cohérente. Mais son élocution est un poil hésitante, et il pouffe et il sourit un peu sans raison.
Il est gai, quoi.
Il m’avoue sa consommation de la journée, un peu en-deçà de ce qui aurait pu le mettre dans cet état ; petit mensonge.
Il est d’accord pour une prise en charge, il est d’accord pour rester à l’hôpital, il s’inquiète pour sa femme qui s’inquiète.

Mais non, on n’hospitalise pas des gens en urgence pour sevrage alcoolique. Jamais.
Parce que quand ils sont bourrés, le psy refuse de les voir, parce qu’ils ne sont pas « évaluables ».
Parce que si on lance les choses en urgence, c’est l’échec annoncé.
Parce que, si les gens ne sont pas capables de maintenir leur demande de sevrage une semaine durant, si il ne s’agit que d’une impulsivité, si ils ne sont pas capables de revenir plus tard à un rendez-vous qu’on leur aura fixé, on sait que c’est perdu d’avance, et que le sevrage sera un échec.

Mais moi, je m’inquiète aussi. Je prends la soudaineté de l’aggravation comme une sonnette d’alarme, même comme un possible équivalent suicidaire. Qu’est ce qui lui arrive, à ce type, pour que brusquement il ne maîtrise plus ? Qu’est ce qui l’a fait tomber de la corde déjà raide ?
Et c’est tellement difficile de refuser son aide dans ce genre de cas… Enfin, enfin !!! elle le traîne devant un médecin, et on doit lui dire « Ah non pardon madame, mais revenez dans deux semaines » ??

Bref. En dépit des habitudes, je demande un avis psychiatrique.
Parce que je pense qu’il mérite d’être hospitalisé. Parce qu’il est quand même assez cohérent pour être un peu évaluable. Parce que ce soir, sa femme est là, et qu’elle, elle est évaluable, et que demain elle ne sera plus là.

Ma chef (à qui, soit dit en passant, je n’avais pas demandé l’avis, puisque je gérais l’histoire avec un autre) se gausse. Ahahah, mais les psys voudront jamais le voir, il est bourré. On le garde jusque demain matin et on verra à ce moment là.
Je m’entête, j’explique, j’argumente.
Ecoute, il est pas SI bourré que ça. Et la situation m’inquiête. Et j’ai peur que cette nuit, quand il aura dégrisé, il veuille repartir, et qu’on ne puisse rien faire pour le retenir, et qu’on perde la chance qu’on a ce soir de lui venir en aide. (On peut retenir à l’hôpital contre son gré un gars bourré, pas un adulte en pleine possession de ses moyens). Et je t’assure, vraiment, bon, il est gai, quoi, mais ça va encore.
La discussion continue un certain temps, avec plus ou moins les mêmes arguments. Tu as tort, non je pense que j’ai raison, mais non tu as tort, non je veux l’avis psy, mais il est bourré, mais vraiment je t’assure pas tant que ça.

Je m’en vais là-dessus, laissant le dossier à mon autre chef.
Le lendemain matin, un message sur mon répondeur, à 23h30.

– Ton posé, chaleureux, souriant : Allo, Rrr, c’est Enjoua.
– J’entends son sourire monter jusqu’à ses oreilles. : Ecoute, c’était juuuuste pour te dire que tu as eu raison de te battre pour ton patient, M. Truc, …

Et là, au petit matin, mon idiote de tête me sermonne. Putain, je l’ai mal jugée, langue de pute que je suis. Elle t’appelle pour te dire que tu as eu raison ! C’est vraiment sympa, c’est vraiment bon joueur… Comme quoi, on peut se tromper sur les gens.

– Montée en puissance du plaisir : Il n’a QUE 4 virgule 7 grammes d’alcool dans le sang.
– Pouffage. Allez, je te souhaite une bonne soirée !!!
– Orgasme. Je l’entends clairement jouir au bout du téléphone.

…..

J’ai murmuré « Pétasse » dans le petit matin, mon téléphone à la main.
Putain, mais tu es MA CHEF quoi !
Si tu as raison et que j’ai tort, mais la belle affaire !! Tu es ma chef ! On n’est pas en compétition, tu es ma chef ! Tu n’as pas à te payer d’orgasme sur mes erreurs !!

Et puis EN PLUS, je n’ai pas fait d’erreur. Sous-estimer l’alcoolémie d’un alcoolique chronique, la belle affaire ! Je l’ai trouvé inquiétant, et oui, je me suis inquiétée pour lui, et ça n’avait rien à voir avec son putain de degré d’alcoolémie, que oui, j’ai mal évalué.
Mais qu’est ce qui a pu ne pas grandir dans ta tête à ce point pour que tu ressentes le besoin de m’appeler chez moi à 23h30 pour me dire que j’avais tort ????

Pour la fin de l’histoire, mon patient n’a pas été vu le soir-même par le psy qui l’a effectivement estimé non-évaluable.
Il a été vu le matin suivant.
Il a été hospitalisé.

Enjoua, je t’emmerde.

Suspens

14 janvier, 2008

Hop, une blague de médecin.
(Ayant déjà quelques doutes quant à la drôlerie intrinsèque de l’histoire, et me demandant un peu dans quelle mesure ce n’est pas le genre d’anecdote qui se termine par un bafouillant « Non, mais fallait être là, quoi…« , je présente mes excuses par avance aux non-médecins)

Externat, stage en réa.

La matin, grand staff avec la-chef-qui-fait-peur. Le stéréotype de la chef-qui-fait-peur.
L’externe de garde doit présenter un dossier.
Présenter un dossier, c’est, en gros, raconter l’histoire d’un patient qu’on a vu pendant sa garde. Pourquoi il est venu, ce qu’il avait comme problème, ce qu’on a fait comme examens, ce qu’on a conclu comme hypothèses diagnostiques, quels traitements on a mis en route, comment les choses ont évolué par la suite.
Rien de bien dur, sur le papier.
Mais, pour présenter un dossier, il faut l’avoir compris.
Sinon, on fait des précisions inutiles, on n’enchaîne pas les éléments dans le bon ordre, on oublie de dire un truc essentiel, et tout le monde voit bien qu’on a rien compris à ce qui s’est passé.
C’est un peu comme résumer un bouquin. On voit vite si vous avez saisi l’essence de l’histoire ou non.

Et présenter un dossier, devant toute une clique de blouses plus ou moins blanches, quand on n’en a pas l’habitude, ça fait drôlement peur.

C’est au tour d’un de mes collègues de passer sur l’échaffaud.
Il commence son histoire :

« Mr Machin, qui est venu pour telle raison, qui avait tels symptômes, à qui on a donné tel traitement. Il a présenté pendant la nuit un arrêt cardio-respiratoire, et heuuu… on l’a massé, on a injecté de l’adrénaline, et heuuu…. Ah oui, j’ai oublié de vous dire, c’est un monsieur qui a dans ses antécédents… »

La chef le coupe. En pleine apogée de l’histoire, l’heure n’est pas aux flash-back : « Non, mais attends. Il est reparti ou pas ??? »

Mon collègue : « Non non, on l’a gardé dans le service ».

Voilà.
Il fallait peut-être y être, mais moi, cinq ans après, ça me fait toujours rire.

Dieu-Café

12 janvier, 2008

Il y a des tas de choses qu’on n’apprend pas dans les bouquins.
Certaines règles obscures et implicites de l’hôpital, par exemple.

Gardes aux urgences.
Il est 5h du matin, je n’ai pas dormi, j’ai eu quelques patients compliqués, mon chef est allé dormir, je me suis angoissée deux ou trois fois pour savoir si je pouvais ou pas me permettre de le déranger pour une question de néophyte, j’ai cru que j’allais pouvoir me coucher quand deux nouveaux patients sonnent à la porte.

L’équipe paramédicale prend un café. Chacun a ramené un petit quelque chose pour la garde, et, comme pour le moment c’est tranquille, ils prennent le temps d’un café-gâteau-chocolat.
Avec ma politesse légendaire, avec mon sourire jusqu’aux oreilles, je demande si je peux leur en prendre une tasse.
Non, on me dit.
Je ris, d’abord. En premier réflexe. Ahahah, sacré toi.
Et je prends conscience soudainement du ton revêche et ferme, des sourcils froncés et des lèvres pincées.
Heuuuu, non ? Vraiment, non ?? Vraiment, là, avec votre cafetière pleine devant vous, avec mes gentillesses et mes sourires pour demander, avec le fait qu’on vient de passer 6 heures à bosser ensemble en pleine nuit, non ???

Au fur et à mesure des gardes, on se rend compte progressivement de l’institution cafetière de l’hôpital.
On fini par remarquer le cadenas sur le placard de droite, celui de l’équipe de jour.
On se rend compte que pendant la journée, la cafetière est verte, alors que la nuit elle est noire.
On passe et on entend des bribes de conversation sur Bidule qui a toujours pas payé sa cotisation.
On note que ah, tiens, oui, le placard du milieu est cadenassé aussi.

On comprend que les gens en ont eu marre que ce soient toujours les mêmes qui achètent le café, qu’il y a eu des histoires de filtres disparus, qu’il y a eu des histoires de médecins qui se servent alors qu’ils ne cotisent jamais, et qu’il y a une véritable guerre autour du café.
Que le café est un symbole.
Que le café a pris une dimension mystique.

Et puis quand même, quand on nous refuse une tasse, 20 pauvres centilitres de café, alors qu’on n’a rien fait à personne, alors qu’on est physiquement authentiquement épuisé, alors que la nuit est encore longue, l’envie nous prend de sortir un billet de 5 euros de sa poche, de le lancer dédaigneusement à la figure des sourcils, et de dire « Mais tiens, je te le paye, ton café ! ».

Et puis on se rend compte que c’est exactement la même chose dans l’hôpital suivant.
Et dans celui qui suit encore.
Et dans celui d’après.
Alors le deuxième jour de stage, on amène sa demi-livre de café qu’on dépose en offrande.

Edit : un infirmier raconte la même chose ailleurs en beaucoup mieux que moi :)

Autorité médicale

12 janvier, 2008

Internat, urgences pédiatriques.

Elle nous amène sa fille, deux ans à peine, parce qu’elle a mal au ventre.
Elle a mal au ventre parce qu’elle est constipée.
Après l’examen, quand j’ai bien palpé le ventre dans tous les sens (et vas-y que je masse), la petite a envie de faire caca. Et elle fait caca. Et elle n’a plus mal au ventre.
L’imposition des mains, ça s’appelle.
Les amis, y a pas, je suis trop forte.

La mère me dit, sur le ton dont on se plaint du temps qu’il est pas beau ou des impôts qu’ils sont trop chers :
« Vous savez, elle est souvent constipée. Mais forcément, elle mange queeeuuu des bonbons… » Levant les mains au ciel : « Tooooooooute la journée !!!« 

Genre la gamine est atteinte d’une maladie génétique orpheline qui lui fait pousser des bonbons à même la bouche.
Je me moque, je me moque, mais c’est vrai, ils sont pas faciles à cet âge là.
Ils vous disent « Moumou je t’aime » pour endormir votre méfiance, et dès que vous avez le dos tourné, ils vous chourrent les clés du scooter pour aller acheter des Dragibus au Champion.

Et quand je dis que bah oui, forcément, les bonbons toute la journée, ça aide pas, elle se tourne vers sa fille, me pointe du doigt et dit :
« Aaaah ! Tu vois ? Tu écoutes, ce que dit le docteur ? »

Deux ans, la gamine.
L’autorité médicale, y a qu’ça d’vrai.

Bouillon

6 janvier, 2008

Je n’ai pas de grandes ambitions carriéristes.
Enfin, disons que les ambitions qui me paraissent déjà énormes (avoir un cabinet, avoir des patients qui me respectent et qui me font confiance, et passer à leurs yeux pour un bon médecin) ne sont pas celles qui font rêver la plupart des gens.
Je n’ai pas envie d’être chef de service, je n’ai pas envie d’être prof à la fac, je n’ai pas envie de décrocher les diplômes accessoires qui feront de moi un généraliste spécialisé en veinologie ou en nutrition ou en urgences.

Mais quand-même, parfois, je rêve d’être un jour la grande chef de service, pour imposer mes lois et mes caprices.
Et pour prévenir mon équipe que :

– Dans mon service, on frappe à la porte avant de rentrer dans une chambre. Toujours. Sinon on est viré. Ahahahahhaha, oui, comme ça, pouf, c’est moi qui décide.
– Dans mon service, on appelle les gens par leurs noms, et pas « Mamie » ou « La cirrhose du cinq ».
– Dans mon service, on parle aux gens à la deuxième personne du pluriel. Pas à la troisième du singulier.
– Dans mon service, on se présente aux patients. On dit qui on est et ce qu’on va faire.
– Dans mon service, on met des draps sur les gens qui sont tout nus.

Dans ma longue série hospitalière des « N’oublie pas« , il y a tous ces détails idiots, toutes ces choses insignifiantes, mais qui prendraient si peu de temps à l’équipe soignante, et qui changeraient radicalement le vécu et l’hospitalisation des patients.

Parce qu’il est juste intolérable de voir quelqu’un surgir dans sa chambre sans crier gare, pendant qu’on est tout nu, ou en train de faire pipi, ou en train de se gratter les couilles. Parce que c’est bon, on a bien compris qu’on est là de passage, et que ce n’est pas vraiment notre chambre, mais celle de l’hôpital, celle de l’infirmière, celle du médecin. Qu’ils sont là chez eux, et qu’on est le quatre-cent-vingt-quatrième « patient de la 12 » de l’année. Qu’ils pourraient aussi pisser aux quatre coins de la chambre pour rendre les choses plus claires.

Parce que je prépare un post complet sur l’habitude insensée d’appeler les patientes par leur nom de jeune fille.

Parce que s’il est déjà pénible de s’entendre demander par la bouchère si « elle va bien ?« , alors qu’on est habillée et digne et maquillée, il est parfaitement insupportable de s’entendre demander si « elle a fait pipi ? » alors qu’on a le cul apparent dans une blouse trop petite et mal fermée, la main sur le pied à perf qu’on essaie péniblement de transporter jusqu’aux toilettes, pour, justement, essayer de faire pipi soit-même comme un adulte dans des toilettes normaux, et pitié, pitié, pas sur le bassin pendant qu’on nous regarde faire et qu’on s’impatiente parce qu’on ne va pas assez vite.

Parce qu’il y a un moment où il faut arrêter de prendre les gens pour des cons, et apprendre à faire confiance à leur sens commun. Parce que quand on se retrouve le thorax sous la sonde d’échographie d’un type qui a visiblement 26 ans, qui fronce les sourcils, qui repasse quarante fois au même endroit, qui fait traîner l’examen sur quarante minutes, qui n’explique rien, qui hésite, qui se trouble, qui finit par bredouiller qu’un « collègue va repasser pour jeter un coup d’œil », on a envie de lui dire « Écoute coco, j’ai bien vu, que tu apprends, là, que tu t’exerces. Et ça ne me dérange pas. Et je comprends qu’il faut bien que tu apprennes. Mais juste, il aurait suffit que tu me le dises, que tu te présentes, que tu me le dises, enfin, que tu es étudiant et que tu apprends à faire des échographies, et que tu me demandes l’accord que je t’aurais donné si volontiers. »

Parce qu’avec les équipes qui changent sans arrêt, sur 8 ou sur 12 ou sur 24 heures, les blouses blanches de jour, les blouses blanches de nuit, les blouses blanches du week-end, les blouses blanches des médecins, les blouses blanches du matin, les blouses blanches des infirmières, les blouses blanches de l’après-midi, les blouses blanches des aides-soignantes, on finit par ne plus savoir qui est qui et qui remplace qui.

Parce que toutes ces choses évidentes pour nous (« Bin, je suis le médecin, voyons« ) , qu’on oublie de préciser puisque pour nous, on est le médecin tous les jours, 24h sur 24, et l’externe c’est moins fort que l’interne, et le liseré bleu sur la blouse c’est pour dire qu’on est la sage-femme, ce sont des choses que ne savent pas les gens normaux. Et que oui, il faut s’astreindre à faire l’effort de le redire, à tous les nouveaux patients, tous les quarts d’heure, inlassablement.

Parce qu’il faut se souvenir continuellement que l’hôpital est un monde à part, plein de significations et de peurs et de croyances, et que nous avons une vie pour nous y adapter.
Alors que les patients y sont projetés du jour au lendemain, alors même qu’ils sont affaiblis et malades, et effrayés.

Epique équipe

6 janvier, 2008

Dans la plupart des services où je suis passée, j’ai été la grande chouchoute de l’équipe paramédicale.

Grâce à mes hauts faits. Très très hauts. Voyez plutôt :

– Je dis bonjour
– Je dis bonjour en souriant !
– J’essaie de contourner le sol encore mouillé qui vient juste d’être lavé au lieu de marcher dessus avec mes gros sabots genre C’est-pas-tout-ça-mais-j’ai-des-vies-à-sauver
– Je dis s’il vous plaît quand je demande un truc
– Le matin, avant le tour, dans le dossier des patients, je lis aussi les transmissions des infirmières et des aides-soignantes.

Et plus sérieusement :

– J’ai compris depuis longtemps qu’une infirmière qui a plusieurs années d’expérience dans le même service sait plus de choses que moi qui vient de débarquer, et j’écoute les conseils et les réflexions qu’on me fait.

– J’ai appris depuis longtemps que l’équipe paramédicale est une source précieuse d’informations sur le vrai état des patients. Qui disent toujours « Ca va très bien » au médecin, et « J’ai trop mal« , ou « Je suis constipée« , ou « Je ne veux pas qu’on me transfère dans cet hôpital, c’est trop loin de chez moi » aux infirmières et aux aides-soignantes.

– J’ai une sincère et profonde admiration pour leur travail, qui va très, très au delà de la bête exécution des gestes techniques qui sont prescrits.
Parce qu’elles passent chaque minute auprès des patients, de leurs douleurs, de leurs questions, de leurs plaintes, quand on peut se réfugier derrière nos dossiers et nos chiffres.
Parce qu’elles sont la chair à canon des urgences, parce qu’elles sont au front, et que ce sont elles qui reçoivent en pleine face l’agressivité des gens. Qui sont odieux avec elles et adorables avec nous, puisqu’ on est LE DOCTEUR.
Parce ce que ce sont elles que les patients engueulent quand ils attendent depuis trop longtemps dans la salle d’attente, alors que c’est nous qu’ils attendent.
Parce qu’aux urgences, elles ont la très lourde, et très médicale tâche de repérer si un patient est « grave » ou « pas grave », et de nous alerter en fonction.
Parce que ce sont elles qui attirent notre attention sur le petit qui n’a vraiment pas l’air bien, et qui, parfois, en définitive, lui sauvent la vie.
Parce qu’elles sont nos yeux, nos oreilles, notre adrénaline, et que c’est nous qu’on remercie à la fin.
Parce que pas plus tard qu’aujourd’hui, c’est grâce à l’une d’elle que j’ai pu rappeler un patient que j’avais fait partir avec une ordonnance de QUARANTE FOIS la bonne dose quotidienne de primpéran.

Bref, s’il existe un top-ten des personnes qu’on ne peut pas accuser de se la jouer « Toi et moi on n’est pas sur le même barreau de l’échelle Cocotte« , je crois bien que je mérite d’y figurer.

Et parfois, malgré tout, on se noie dans des conflits qu’on n’a pas déclenchés. Parce qu’on tombe sur quelqu’un qu’on a trop souvent pris pour un con, ou parce qu’on tombe sur un con authentique.
Parfois, tout devient sujet à polémique. C’est la compétition permanente. Ahahah, il va bien voir, l’interne, que j’en sais plus que lui et que je ne suis pas qu’une infirmière à la con.
Non mais je sais, hein, ce n’est pas la peine de t’acharner à le prouver comme ça. Ce n’est pas la peine de chercher la petite bête dans la moindre de mes prescriptions. Ce n’est pas la peine de me le dire sur ce ton triomphal. On pourrait peut-être juste discuter, simplement, de ce qu’on pense meilleur pour le patient. Sans compétition, sans concours, sans sous-entendus, sans guerre des classes inutile, inopérante et absurde. Avec des mots. En équipe.
En équipe, quoi, merde.

Tout ceci devait être le préambule à mon histoire avec le brancardier de réa.
Comme ça commence à faire long, comme préambule, je vais m’arrêter là et me garder le brancardier sous le coude.

Tu n'apprendras jamais, bis.

11 décembre, 2007

« Tu n’apprendras jamais, bis« , donc.
Ou « Tu la sens ma grosse b… bis« , au choix du lecteur.

Externat, stage de gastro.

– Mon chef de service : « Tiens, cet après-midi, tu devrais passer voir le type de la 18. Il a un foie métastatique très palpable, on sent super bien le bord inférieur et les métas. J’en ai parlé à Toncollègue1 et Tacollègue2, ils sont allés voir tout à l’heure, ils l’ont bien senti »
– Heuuu…..
– Quoi, « Heu » ?
– Bin c’est pas mon patient, quoi. Je m’en occupe pas.
– Oui, je vois, et quand c’est pas tes patients, ça t’intéresse pas, c’est ça ? Tu t’occupes des chambres 1 à 12 et faut pas te demander de pousser jusqu’à la 18 ?
– Bin non, mais heu… Enfin, jveux dire… Enfin, tu vois….
– Je vois quoi ?
– Non, rien, oublie, c’est compliqué.

Qu’est ce que tu vois ??
Tu vois la scène ?

Bonjour Monsieur ! Paraît que vous avez un super cancer trop génial, ça vous embête pas si je suis la troisième inconnue de la journée à surgir dans votre chambre d’agonie pour coller mes mains sur votre ventre ?
J’en ai pour deux minutes, hein, je sens votre grosse b. , je hoche la tête, je dis au revoir et vous ne me reverrez plus, ne vous inquiétez surtout pas.

Je n’y suis pas allée, mon chef m’a prise pour une tire au flanc jusqu’à la fin du stage, et je n’ai jamais plus eu l’occasion de palper un foie métastatique jusqu’à maintenant.
Reste à espérer que quand ça arrivera à un de mes patients, je sentirai qu’il y a quelque chose qui cloche au bout de mes doigts.

Super-Externe

30 novembre, 2007

Les ambulances, à part ramener chez eux des gens qui ont consulté à trois heures du mat pour une vague douleur qui dure depuis deux semaines, servent aussi à assurer le transport des malades d’un hôpital à l’autre. Quand on a besoin d’examens qu’on ne peut pas faire sur place, par exemple.

Et, si le patient est un peu lourd, la présence d’un « membre du corps médical » est exigée à bord.
C’est à dire qu’il faut quelqu’un pour s’occuper de lui s’il est susceptible de lui arriver quelque chose. Comme bien sûr, on ne va pas mobiliser un vrai médecin pour se coltiner 20 minutes de transport, une à deux heures d’attente sur place le temps que l’examen se fasse, 40 minutes d’attente des ambulanciers pour le trajet retour, et 20 nouvelles minutes de transport, on y colle l’externe. Quatrième à sixième année de médecine, soit deuxième à quatrième année d’hôpital.

Et dans « quelque chose », tout est possible.
Si le patient est sous oxygène, et si en passant un dos d’âne le tuyau d’oxygène se décroche, il faut un « membre du corps médical » pour prendre le bout de tuyau et le clipser sur l’embout de la bouteille d’oxygène.
Si un patient va très mal, il faut un « membre du corps médical » pour assurer la prise en charge immédiate. Genre, s’il fait un arrêt cardiaque, il faut un externe pour crier très fort « Au secoooours ! Au secoooours ! Je sais pas comment on faaaaait ! »

Pendant mon stage, je m’occupe d’un patient très lourd, au sens premier du terme. Il pèse 160 kilos.
– Comme il vient pour rectorragies (= sang dans les selles = plein de diagnostics plus ou moins graves possibles), il faut lui faire plein d’examens.
– Comme c’est toujours compliqué, on ne peut pas lui faire les examens sur place. Soit parce qu’on n’a pas du tout de quoi les faire, soit parce que le matériel qu’on a pour les faire ne supporterait pas ses 160 kilos.
– Comme il pèse 160 kilos, il doit voyager en « lit », et non en « brancard ».
– Comme il doit voyager en « lit », il doit être accompagné par un « membre du corps médical« .

Là, quand même, je m’interroge.
Parce que je suis à mi-temps à l’hôpital, et que si je dois l’accompagner partout, je suis partie pour une semaine de trajet en ambulances. Et avec un examen par jour, 4 heures d’ambulance et de salles d’attente par examen, ça s’annonce très formateur.
Que mes 5 années de médecine soient hautement indispensables pour brancher un tuyau ou pour crier au secours, soit.
Mais quel rapport avec le lit ??

Ah, m’explique-t-on.
C’est que les lits n’ont pas les dimensions qui collent avec les rails de l’ambulance.
Donc, ils ne sont pas bien fixés.
Un jour, lors d’une accélération un peu brutale, un lit est parti en arrière, a défoncé les portes de l’ambulance et s’est retrouvé sur la voie publique.
Depuis, les ambulanciers ont exigé, et obtenu, une clause qui précise qu’un « membre du corps médical » doit accompagner tous les trajets en lit.

Très bien très bien.
Bon, faisons le point sur ce qu’on attend de moi.
–> Si le tuyau se débranche, je rebranche le tuyau.
–> Si le patient fait un accident grave, je panique et je crie Au secours-Au secours.
–> Si le lit se décroche, je sors mes supers-biceps de super-externe, et je le rattrape à la volée.

C’est bien ça ?

Drame

30 novembre, 2007

Premier stage d’externe, en traumato.

Staff du matin, on se présente les dossiers des patients qu’on a vu la veille, et on discute éventuellement des cas difficiles.
La salle se remplit doucement de plein de blouses plus ou moins blanches. Dans l’ordre d’immaculité (ça existe si je veux) : le grand chef de service, les chefs de cliniques, les internes, les externes.

Mon interne, mon interne préféré, mon poisson-pilote à moi que j’ai, celui dont j’ai agrippé en début de stage, pour ne plus la lâcher, la blouse moins blanche que blanche, m’accueille avec un visage décomposé.
Il me chuchote : « Il faut que je te parle après le staff« .
Je me décompose moi aussi. Je quémande des explications, mais la salle se remplit vraiment, et l’heure n’est plus aux discussions. Il a tout juste le temps de m’expliquer que oui, c’est au sujet d’un truc que j’ai fait, et que oui, c’est assez grave. Mais pas trop-trop, ajoute-t-il devant ce qui doit me servir de visage.

La première idée qui jaillit dans mon cerveau malade :
« Oh mon dieu, j’ai tué un patient« .
Je passe le staff autour de l’hypothèse, en grand dialogue avec moi-même.
– Mais c’est pas possible ! Tu tiens des jambes au bloc, quoi ! Comment on peut tuer quelqu’un en tenant sa jambe au bloc ?!
– Et si je m’étais mal lavé les mains ? Et si j’avais refilé une infection à un patient pendant une opération ?
– Oui, bien sûr. Et sur l’analyse bactériologique, y a marqué « Infection mortelle à microbes-des-mains-de-l’externe« , et tout le monde sait que c’est toi. Idiote…

La fin du staff arrive enfin. Avec elle, le poids de mes responsabilités.
Mon interne m’emmène dans un coin, pour discuter de ma faute.

Pas la mienne, en fait, de faute, il s’avérait.
La faute à l’autre externe.
La veille, elle avait vu dans le service un patient du grand chef de service. Qui voulait le joindre.
Comme il était injoignable, elle avait pris un bout de papier et un crayon, elle avait écrit : « Je rencontre aujourd’hui votre patient Mr Truc, actuellement hospitalisé dans le service à la chambre 14bZ3, qui souhaite vous contacter« , et elle avait laissé le papier dans le tiroir-à-courrier du chef.

Voilà.
Fin de l’histoire.
C’était ça le drame.
C’était ça mon patient mort, mon ostéite fulminante, ma septicémie mortelle, ma veuve éplorée.
Une blouse grise s’était adressé directement à une blouse super-blanche, sans passer par la cohorte de blouses indéterminées intermédiaires.

Soulagement.
Ce n’était pas moi.

Consternom

25 novembre, 2007

Consultations de traumato.

J’accompagne mon interne, qui assure les consultations. Beaucoup de post-op. On regarde les radios de départ, on regarde les radios de contrôle, on regarde la cicatrice qu’elle est belle, on regarde la mobilité des gens qu’elle va revenir petit à petit.

Une très vieille dame attend sagement son tour, sur son brancard, dans le couloir.
Enfin, « sagement » est un euphémisme. On dirait une petite momie. Elle fixe le plafond en silence, parfaitement immobile, les bras croisés sur sa poitrine. Qui se soulève un peu de temps à autre, histoire de montrer qu’elle n’est pas tout à fait encore morte.

La secrétaire arrive paniquée dans le bureau de mon interne, les bras chargés de deux énormes dossiers en carton qui débordent de partout.
C’est le tour de Mme Momie. Sauf que des dossiers au nom de Mme Momie, il y en a deux. Jeanne ou Bernadette, sensiblement le même âge, et, pour une raison obscure mais probablement rigolote qui m’échappe encore, il est impossible de savoir quelle Mme Momie attend dans le couloir.

Branle-bas de combat.
Elle a appelé la secrétaire qui a pris le rendez-vous, et qui n’a ni prénom, ni date de naissance.
Elle a essayé d’appeler la maison de retraite de Mme Momie, sans succès.
Quelqu’un suggère d’appeler le chirurgien qui s’est chargé de l’opération, au cas improbable où il ait soigneusement rangé l’information inutile dans un coin de sa mémoire.
Quelqu’un suggère de regarder les antécédents chirurgicaux dans les dossiers, et de les comparer aux cicatrices de la dame. Pas de chance, deux cols du fémur, tous les deux à droite.

Ensuite vient le défi : raconter la suite de l’histoire de façon pas trop théâtrale, et de façon pas trop « Je-suis-la-reine-du-monde-et-tout-le-monde-est-un-con-sauf-moi » ; ça va être difficile.
Je me suis levée, je suis sortie dans le couloir, je me suis penchée sur le brancard de Mme Momie.
– Mme Momie ? Dites moi, c’est quoi votre prénom ?
– Jeanne, répond Mme Momie.

Voilà voilà…