Epique équipe

6 janvier, 2008

Dans la plupart des services où je suis passée, j’ai été la grande chouchoute de l’équipe paramédicale.

Grâce à mes hauts faits. Très très hauts. Voyez plutôt :

– Je dis bonjour
– Je dis bonjour en souriant !
– J’essaie de contourner le sol encore mouillé qui vient juste d’être lavé au lieu de marcher dessus avec mes gros sabots genre C’est-pas-tout-ça-mais-j’ai-des-vies-à-sauver
– Je dis s’il vous plaît quand je demande un truc
– Le matin, avant le tour, dans le dossier des patients, je lis aussi les transmissions des infirmières et des aides-soignantes.

Et plus sérieusement :

– J’ai compris depuis longtemps qu’une infirmière qui a plusieurs années d’expérience dans le même service sait plus de choses que moi qui vient de débarquer, et j’écoute les conseils et les réflexions qu’on me fait.

– J’ai appris depuis longtemps que l’équipe paramédicale est une source précieuse d’informations sur le vrai état des patients. Qui disent toujours « Ca va très bien » au médecin, et « J’ai trop mal« , ou « Je suis constipée« , ou « Je ne veux pas qu’on me transfère dans cet hôpital, c’est trop loin de chez moi » aux infirmières et aux aides-soignantes.

– J’ai une sincère et profonde admiration pour leur travail, qui va très, très au delà de la bête exécution des gestes techniques qui sont prescrits.
Parce qu’elles passent chaque minute auprès des patients, de leurs douleurs, de leurs questions, de leurs plaintes, quand on peut se réfugier derrière nos dossiers et nos chiffres.
Parce qu’elles sont la chair à canon des urgences, parce qu’elles sont au front, et que ce sont elles qui reçoivent en pleine face l’agressivité des gens. Qui sont odieux avec elles et adorables avec nous, puisqu’ on est LE DOCTEUR.
Parce ce que ce sont elles que les patients engueulent quand ils attendent depuis trop longtemps dans la salle d’attente, alors que c’est nous qu’ils attendent.
Parce qu’aux urgences, elles ont la très lourde, et très médicale tâche de repérer si un patient est « grave » ou « pas grave », et de nous alerter en fonction.
Parce que ce sont elles qui attirent notre attention sur le petit qui n’a vraiment pas l’air bien, et qui, parfois, en définitive, lui sauvent la vie.
Parce qu’elles sont nos yeux, nos oreilles, notre adrénaline, et que c’est nous qu’on remercie à la fin.
Parce que pas plus tard qu’aujourd’hui, c’est grâce à l’une d’elle que j’ai pu rappeler un patient que j’avais fait partir avec une ordonnance de QUARANTE FOIS la bonne dose quotidienne de primpéran.

Bref, s’il existe un top-ten des personnes qu’on ne peut pas accuser de se la jouer « Toi et moi on n’est pas sur le même barreau de l’échelle Cocotte« , je crois bien que je mérite d’y figurer.

Et parfois, malgré tout, on se noie dans des conflits qu’on n’a pas déclenchés. Parce qu’on tombe sur quelqu’un qu’on a trop souvent pris pour un con, ou parce qu’on tombe sur un con authentique.
Parfois, tout devient sujet à polémique. C’est la compétition permanente. Ahahah, il va bien voir, l’interne, que j’en sais plus que lui et que je ne suis pas qu’une infirmière à la con.
Non mais je sais, hein, ce n’est pas la peine de t’acharner à le prouver comme ça. Ce n’est pas la peine de chercher la petite bête dans la moindre de mes prescriptions. Ce n’est pas la peine de me le dire sur ce ton triomphal. On pourrait peut-être juste discuter, simplement, de ce qu’on pense meilleur pour le patient. Sans compétition, sans concours, sans sous-entendus, sans guerre des classes inutile, inopérante et absurde. Avec des mots. En équipe.
En équipe, quoi, merde.

Tout ceci devait être le préambule à mon histoire avec le brancardier de réa.
Comme ça commence à faire long, comme préambule, je vais m’arrêter là et me garder le brancardier sous le coude.

Elle a 2 ans, elle est amenée par sa mère hystérique d’inquiétude aux urgences à 2h du mat.
Elle a été vue la veille pour la même raison : de la fièvre. On n’a rien trouvé, on lui a dit de repasser dans 3 jours si ça persiste.

La mère, elle, ne dort plus depuis 4 jours, elle n’en peut plus, elle débarque en hurlant. Je suis obligée de lui dire à plusieurs reprises « S’il vous plaît, arrêtez de crier, je suis juste à côté de vous. »
Elle m’énerve déjà, sa gosse a été vue la veille, on lui a dit de repasser dans TROIS jours et elle n’en fait qu’à sa tête.
C’est qu’il est tard, que je suis épuisée et que j’en oublie le premier commandement de la pédiatrie : « Toujours faire confiance à une mère qui s’inquiète ».

J’examine le bambin comme je peux, j’écoute ses poumons quand il reprend sa respiration entre deux hurlements, j’essaie d’y voir quelque chose dans le brouillard épais que la tension qui embue peu à peu la chambre a fait naître.
Je ne trouve rien.

Je vais voir ma chef, je lui dis que je ne trouve rien, je lui demande de ré-examiner la petite.
« Lance le bilan, je verrai après », qu’elle me dit.
Soit, je lance le bilan.

Radio de thorax, examen d’urines, prise de sang.
Trois heures plus tard, la petite a enfin fait pipi, et la prise de sang nous confirme ce qu’on savait déjà : il y a une infection tapie quelque part.
Mais ni dans le thorax, ni dans les urines.
Ma chef passe pour revoir l’enfant.
Courageusement, j’avais annoncé clairement les choses à la mère : « Je n’ai rien vu d’anormal, je vais demander à ma chef de passer la voir au cas où je serais passée à côté de quelque chose ».

J’étais passée à côté d’une magnifique otite bilatérale. Des tympans en feu, des deux côtés.
La mère est terriblement soulagée.
Elle me remercie quatre fois avant de partir.

Oh bah de rien, hein.
Je t’ai juste coûté trois heures d’attente sur une chaise avec une gamine en pleurs, ta nuit, celle de ton enfant, et vos deux journées de demain pour ce qui aurait dû être un diagnostic de 10 minutes.
Et à la sécu, j’ai dû coûter pas loin de 200 euros d’examens pour ce qui aurait dû être un diagnostic clinique.

Il faudra juste qu’on m’apprenne comment PUTAIN DE DIABLE on peut voir les tympans d’une môme qui hurle et qui se débat.
A bien y réfléchir, il faudra juste qu’on m’apprenne comment voir des putains de tympans tout court.

MDR

15 novembre, 2007

Un jour, vraiment, je poserai une bombe dans une maison de retraite.
Ah, non, zut, mince, les petits vieux…
Un jour, vraiment, je poserai une bombe dans les locaux administratifs d’une maison de retraite.

A chaque fois ils nous font le coup. A CHAQUE FOIS.
Les trois dernières fois :

1) )
Elle a 84 ans. Sur la feuille des pompiers, c’est marqué qu’elle vient pour « Malaise et occlusion« .
Ahahah, ça commence bien ^^
« Malaise et occlusion« … Pourquoi pas « Douleur et cataracte » ?
(Un jour, je vous raconterai les « motifs de détresse » des pompiers. Motif de la détresse : « Un homme de 52 ans fait un malaise ». « Une femme a mal au ventre ». « Un homme est trouvé sur la voie publique ».
Ma grande préférée, indétrônée à ce jour : « Motif de la détresse : une femme de 42 ans est assise sur son canapé« . Ca ne s’invente pas…)

Bref. Celle-là vient pour « malaise et occlusion », on a dû leur dire ça à la maison de retraite. (Médicalisée, hein, la maison de retraite. Avec des infirmières et tout.)
Dans l’enveloppe qui l’accompagne, j’ai une feuille avec la photocopie de sa carte vitale. Comme ça, je sais qu’elle s’appelle Marguerite.
Dans l’enveloppe, encore, …
Ah, non, rien.
– Les coordonnées de la maison de retraite ? Il faudra utiliser les pages jaunes.
– Les antécédents ? Pour quoi faire ?
– Le traitement en cours ? C’est important ??
– L’histoire de la maladie ? Pensez-vous ! Elle viendrait pour fracture du col du fémur, je pourrais me dire que l’histoire de la maladie, c’est « A tombé« . Non. Elle vient pour « malaise ». LE problème entre tous dont le diagnostic repose à 99% sur l’interrogatoire et l’histoire de la maladie. Et comme Marguerite m’a été livrée très, très démente, je ne peux pas tellement compter sur elle pour me raconter ce qui s’est passé.

Folle de rage, j’appelle. Je tombe évidemment sur le gentil aide-soignant de nuit, qui n’a rien vu, mais qui a entendu dire qu’elle avait fait un malaise.
– Mais quel malaise ? Elle a dit j’ai la tête qui tourne ? Elle est tombée ? Elle s’est cogné la tête ? Elle a perdu connaissance ?
– Heu… Bin vous savez, moi je suis de l’équipe de nuit… Je sais qu’elle a eu un malaise pendant le repas et qu’elle a glissé de sa chaise…
– Bon. Bon bon bon. Et son état habituel, c’est quoi ?
– ….
– Je veux dire, elle est désorientée depuis la chute ?
– …..
– Je veux dire : elle est toujours folle comme ça ??
– Ah oui, ça oui, elle est un peu perdue tout le temps, vous savez.
– Bon, et cette histoire d’occlusion ?
– ….. ?
– C’est écrit « occlusion » sur la feuille des pompiers… Elle a dit qu’elle avait mal au ventre ? Ses dernières selles remontent à quand ?
– Heu…..
– Vous pouvez bien me trouver la date de ses dernières selles dans son dossier ? C’est forcément écrit quelque part…
– (De bonne volonté) : Je vais voir et je vous rappelle.

Non, ce n’était écrit nulle part. Alors dans le doute, hein, on fait un ASP (oui, pour ceux qui suivent, l’occlusion fait partie des cas où l’ASP sert à quelque chose…), un scanner cérébral, un bilan bio, on a gardé Marguerite en observation (au service portes, toujours pour ceux qui suivent, bravo) 48h et on l’a renvoyée chez elle.

2))
Il a 76 ans. Je ne sais plus pourquoi il est là.
Dans l’enveloppe qui l’accompagne, j’ai la photocopie de sa carte vitale (comme ça je sais qu’il s’appelle Raymond), et, ô, miracle, une autre feuille !!
Qui ne me dit rien de ses antécédents, rien de son traitement, rien de l’histoire de la maladie.
Par contre, je sais qu’on l’a changé à 12 et 16h, qu’il a eu un repas mixé à 11h30, qu’on lui a lavé les cheveux avant-hier et que la pédicure est prévue pour mercredi prochain.
(Je vous jure….)

3)) Elle a 78 ans. Elle vient, toujours d’après la feuille des pompiers, pour « Hypertension sévère et déséquilibre glycémique« .
Ce jour-là, miracle, encore, j’ai une photocopie d’un compte-rendu d’hospitalisation de 1995, et la liste de ses médicaments. Non datée, la liste. Ca s’trouve, de 95 aussi.
Je ne sais pas à combien était la tension chez eux, mais chez nous, à l’entrée, elle est à 14/8 ; on a vu plus sévère.
Bon. Voyons voir cette histoire de diabète. Je ne sais pas à combien était le dextro chez eux, mais chez nous, oui, il est élevé.

J’épluche…
– Médicament qui-sert-à-rien pour les oedèmes des jambes
– Médicament qui-sert-à-rien-et-qui-est-dangereux pour les troubles de la mémoire…
– Laxatif
– 2ème laxatif
– 3ème laxatif (Bon, je suppose qu’elle est constipée…)
– Traitement contre l’ostéoporose
– Antihypertenseur (Ah ! Elle est hypertendue habituellement ! On progresse…)
– Antalgique
– Médicament-qui-sert-à-rien-pour-les-vertiges
– Médicament-aux-plantes-qui-sert-à-rien-et-qui-est-dangereux pour les « troubles dépressifs mineurs »
– Crême-pour-les-escarres

Mmm. Et un médicament pour le diabète ? Non ? Vraiment ?
Parce qu’elle vient un peu pour déséquilibre du diabète, hein, à la base, je le rappelle…
Elle est juste assez lucide pour me soutenir qu’elle prend du Diamicron et du Stagid depuis des années, juste assez démente pour ne plus savoir si on lui a donné ce matin.

En appelant la maison de retraite, je tombe, sur, devinez ? un gentil aide-soignant qui ne sait pas du tout si la liste de médicaments que j’ai sous les yeux correspond à son traitement du jour ou pas, et si elle a eu, ou pas, des médicaments pour son diabète ce matin, ni quelle dose elle a d’habitude.
C’est merveilleux.

En fait, j’ai mieux que l’histoire de la bombe.
Un jour, je vous jure, je vous jure que je le ferai, je prendrai une épingle à nourrice, un bout de papier et un crayon, et je renverrai à la maison de retraite une petite dame épinglée :
 » A une maladie. Lui donner des médicaments. « 

Le rhume à toto

9 novembre, 2007

Le stage qui a failli me faire arrêter la médecine, et retourner à mes anciennes ambitions de dresseuse d’ours.
Extraits de mails envoyés à l’époque à mes proches, je n’ai pas le courage de raconter à nouveau…
C’est long et passablement déprimant, faites-le vous en plusieurs fois… ;)

La rhumato, c’est super facile :)

– Quand une petite dame de 82ans dit « Ce matin, j’ai eu un peu mal à la poitrine« , on arrête là l’interrogatoire (qui n’a que trop duré), et on demande une tropo, un ECG et un avis Cardio.

– Quand quelqu’un a mal à x, y, n et z, on demande des radios et/ou un scanner de x, y, n et z. Sans oublier le profil, le 3/4 et les autres incidences qui existent. Ce qui permet d’affirmer sans hésitation que l’arthrose de Mme Gémaltoutpartout n’a pas tellement-tellement évolué depuis son dernier bilan en ville il y a 15 jours.

– Quand une IRM d’un patient s’annule, il faut paniquer très très vite. Parce qu’on a 4 créneaux IRM par semaine et qu’il FAUT les utiliser. Alors, on cherche parmi nos patients hospitalisés s’il n’y en a pas un qui traîne et qui n’aurait pas encore eu d’IRM. Tiens, Monsieur Machin a mal à la main, ça tombe rudement bien.

– Le self est très très bon. On choisit ce qu’on veut et même qu’il y a des frites tous les jours. Sauf le mardi. Parce que le mardi, on déjeune en salle de conférence avec le laboratoire du mardi, et ça, c’est chouette, parce que ça fait économiser un ticket repas. Un jour, je voulais des frites, et j’ai demandé à ne pas assister au topo du labo. Interdiction formelle de ma chef de service.

– L’autre jour, j’ai reçu Mme R. pour une lombocruralgie déficitaire.
65 ans, vive, dynamique, souriante, en pleine forme, un bonheur de patiente.
Au scanner (oui, parce que bon, quand même, des fois, on en demande des qui servent à quelque chose) des métas osseuses absolument partout. A la visite du lendemain, (la grande visite du jeudi avec la grande chef de service), j’explique à la grande chef de service que Mme R. a eu son scann la veille au soir et qu’elle n’est encore au courant de rien.
Et je m’entends expliquer qu’ il ne faut rien lui dire avant les résultats anapath écrits d’une biopsie osseuse qui sera faite un jour prochain, soit quelque chose comme dans 2 semaines au mieux. Mais qu’en attendant, il faut lui faire un scanner thoracique et une mammographie. Et ah oui, prendre un rendez-vous avec l’oncologue du service.
J’essaie d’expliquer mon enthousiasme modéré à l’idée de dire à cette femme qu’on va lui faire une mammo pour une douleur de la jambe, elle me répond qu’il n’y a qu’à dire « On doit faire plus d’examens » et que voilà. Elle m’interdit au passage de dire quoi que ce soit moi-même à la patiente.

– Le chef de clinique se dévoue : « J’irai lui annoncer la mauvaise nouvelle cet après-midi ».
L’après-midi même, il sort de la chambre de Mme R et me raconte : « Bon, ça y est, je lui ai dit. Je lui ai dit qu’elle avait une inflammation sur le rachis et qu’il fallait faire d’autres examens. Elle n’a pas tiqué »
Elle n’a pas tiqué ??? Vraiment ?? Ah, tiens donc…
J’ai dû appeler le médecin qui nous l’avait adressée pour qu’il passe lui parler.
Le matin de son IRM, elle s’est fracturé le col sur une méta, et elle a été transférée en chirurgie.Tout le monde n’a parlé que de cette triste histoire pendant une semaine.(Par triste histoire, j’entends le fait qu’elle ait été transférée et que par conséquent tout le bénéfice de son séjour chez nous soit gagné par l’orthopédie.)

– Hier, la grande chef de service m’a fait infiltrer une colique hépatique.
Typique, magnifique, tous les signes des livres, et l’écho qui confirme les calculs.
De signes de sciatique, aucun. Mais vraiment aucun.
Je ne suis pas plus maligne que tout le monde, c’est juste que cliniquement, le doute n’était pas possible. J’ai piqué, j’ai sorti l’aiguille, j’ai vidé l’aiguille dans la poubelle, et j’ai écrit dans le dossier « Ce jour, épidurale L5-S1 ».

– L’autre a remis ça avec son histoire d’inflammation… A un homme qu’on traîne d’examens en examens depuis plus de trois semaines, qui nous disait clairement qu’il n’en pouvait plus d’attendre ce fichu diagnostic, qui nous disait qu’il « voulait savoir la vérité même si c’était un cancer« , dont la femme est morte d’un cancer du poumon il y a trois ans, qui a eu une fibro avec biopsie dont il savait qu’on attendait le résultat anapath et qui va être transféré en cancéro…
Bin il a réussi à se pointer dans sa chambre et a lui dire qu’on avait les résultats anapath et que c’était une inflammation du poumon.

– L’infirmière vient nous voir parce que la dame du 16 a mal au ventre. Interrogatoire ? Examen ? Que nenni, qu’existe-t-il qui ne se résolve pas avec un bon ASP ??
(Un ASP, c’est un « Abdomen Sans Préparation » : une radio du ventre. Qui, contrairement à ce que croient certains patients, ne permet pas du tout de « voir ce qui se passe », mais qui peut aider à confirmer ou infirmer, mettons, 2 ou 3 diagnostics, parmi tous ceux qui peuvent donner « mal au ventre »)
L’ASP, oh, surprise, est normal.
Le lendemain, quand l’infirmière est venu nous voir pour nous dire que la dame du 16 avait TOUJOURS mal au ventre (oui, c’est étonnant, les ASP ne soulagent pas la douleur…) savez-vous ce qu’il a fait….??
Oui, vous ne rêvez pas, un autre ASP.

– La chef de service et la chef de clinique sont folles toutes les deux, et se haïssent cordialement.
Enfin, je dis « cordialement » pour le style. C’est à peu près tout ce qu’on peut imaginer d’anti-cordial.
Pas un jour ne se passe sans hurlements ou rendez-vous chez le directeur de l’hôpital.
Elles ne font plus le tour ensemble.
Elles prescrivent systématiquement l’inverse de ce que l’autre a prescrit, avant même de voir le patient.
Au bout de l’ordonnancier, moi.
Elles me préviennent chacune que, si je prescris l’examen que l’autre a demandé, et si ça tourne mal, je serai seule au monde face aux juges et qu’il n’y aura personne pour me défendre.

Ah, vraiment ??

8 novembre, 2007

Stage de gynéco en maternité.
Souriante, je meuble la conversation pendant que je pose le monito :

– Alors, un petit garçon ou une petite fille ?
– Une petite fille.
– Et vous allez l’appeler comment ?
– Clitorine !
– ……..
\o/
– Mmmm, bon, je reviens dans une demie heure pour enlever le monito, hein…

Flottement

10 octobre, 2007

Elle a 96 ans. Elle pèse 36 kg.
Envoyée aux urgences par sa maison de retraite, pour des douleurs abdominales sur « constipation opiniâtre ».

On dirait une grand-mère de livre, une grand-mère de film. Les cheveux très blancs, encore longs. Toute petite, toute frêle ; un filigrane. Elle parle avec une voix douce, voilée, lointaine. Souriante, malgré tout.
On dirait qu’elle abrite un espace-temps parallèle où tout s’écoule plus doucement.
Tout en elle flotte. Sa voix flotte, son existence même semble flotter quelque part entre ici et ailleurs, son corps flotte au milieu d’une peau trop grande pour elle.

Rien de parcheminé, dans sa peau ; rien de sec, rien de cassant.
Ratatinée, sa peau. Fripée, comme un trop grand morceau de cuir souple replié doucement autour d’un corps devenu trop petit.
On suit ses os des yeux, et, la main sur son ventre, on plonge au coeur même des viscères. Il n’y a rien entre ses intestins et ma main, rien que sa peau trop fine.

Je passe 30 minutes, au moins, à extraire ses selles à la main. C’est incroyable qu’un aussi petit bout de femme puisse contenir autant de merde.
Je lui fais super mal.
Elle pleure comme elle parle ; voilé, lointain.
Elle me dit merci, parce qu’elle a moins mal quand j’ai fini.
Ce n’est pas qu’elle soit SI constipée, je ne vois tout simplement pas avec quelle force et quels muscles elle pourrait faire le simple effort de pousser pour sortir tout ça elle-même.

Elle n’est malade de rien, au siècle où on doit forcément être malade de quelque chose.
Même les chiffres, les beaux et implacables chiffres qui prouvent noir sur blanc une maladie bien nette et sans bavure, même les chiffres ne parviennent pas à trouver de quoi elle meurt.
Ses reins fonctionnent, son coeur fonctionne, sa tête fonctionne.
Et pourtant elle meurt.

Au ralenti. En flottant. Comme une chandelle qui s’éteint tout doucement.
Elle meurt de rien.
Elle meurt de tout.
Elle meurt de la vie.

Ca arrive encore.

Tu n'apprendras jamais

10 octobre, 2007

J’ai bientôt fini mes études de médecine, et je n’ai jamais fait de ponction pleurale.

Une seule ponction lombaire, jamais de réduction d’épaule luxée, jamais de ponction d’ascite, jamais de ponction de genou.

C’est que je n’ai jamais eu de patient à moi, vraiment à moi, qui en ait eu besoin.
Un patient que j’aurais suivi, et à qui j’aurais rendu suffisamment service pour me permettre de lui imposer en contrepartie mon inexpérience.

A chaque fois qu’on m’a proposé ces gestes, chez des patients que j’avais vus cinq minutes, ou pas du tout, je me suis défilée.
Je ne voyais pas de justification à leur faire mal, à faire durer 15 laborieuses minutes là où les mains de mon chef auraient bouclé l’affaire en 5.
Je me disais toujours : « la prochaine fois ».

« Tu n’apprendras jamais », on me disait.

Force est de constater que je n’ai jamais appris.

Ils sont mignons, les gens….

« Je sais que ce n’est pas grand chose, un rhume, docteur, d’habitude je ne vous aurais pas dérangé pour ça, mais là… »
– Je pars en Chine samedi, j’ai vraiment besoin d’être en forme
– J’ai un entretien d’embauche après demain, je ne peux pas être malade
– Tout le monde l’a à la maison sauf moi, et je ne peux pas me permettre de l’attraper en ce moment
– Je m’occupe de ma nièce de huit mois et je ne veux pas lui donner

Aaaah, bah ok alors.
D’habitude, on prescrit des médicaments-qui-marchent-pas, mais là, si vous avez VRAIMENT une bonne raison pour pas être malade, je vais ouvrir mon tiroir secret à médicaments-qui-marchent-très-très-bien.

Petite lâcheté quotidienne.

10 septembre, 2007

Il est jeune, 60 ou 65 ans. Je ne sais plus au juste ce qui l’amène, un AVC, probablement, ou un cousin sympathique.
Sa chambre est en plein milieu du couloir, le « couloir porte », où on entasse les gens qui arrivent aux urgences trop mal en point pour repartir chez eux, pas assez mal en point pour être acceptés en réanimation, pas assez vendeurs pour être acceptés rapidement dans un service d’hospitalisation traditionnelle. On a de la place seulement pour 8 échoués, dans le couloir porte. Si on commence sa garde avec « le porte plein », on sait d’avance qu’on ne pourra rien faire de la petite dame de 80 ans qui va arriver à bout de souffle cette nuit, qu’elle va nous coûter 4 heures de coups de fils dans tous les hôpitaux de la région. On sait que ça part mal.

Bref il a échoué là, lui. Le veinard.
Il hurle, il s’agite, il frappe, il est attaché.
Il hurle. Il ne s’arrête jamais de hurler. J’ai un peu envie de hurler aussi.

Il hurle deux choses, deux choses seulement, toujours les mêmes, inlassable.

La première, c’est, en écho, la dernière phrase qu’il a entendue. Il part en crescendo, et de plus en plus aigu, en boucle.
« Il faut rester caaaaAAAAAAAAAAAALME ! IL FAUT RESTER CAAAAAAAAAAAALME !  »
Ou encore « Allongez-vooOOOOOOOUS ! ALLONGEEEEZ-VOOOOOUS ! »
On pourrait drôlement s’amuser, en fait, avec lui. Rentrer dans sa chambre, dire « Caca boudin » et guetter la tête des infirmières quand il se mettra à le hurler à son tour…

La deuxième, c’est sa seule phrase à lui. Je suppose qu’il la garde pour quand il a oublié ce qu’il était en train de hurler. Sa phrase à lui, c’est :
« La tête elle est viiiiiiiiiIIIIIIIIIIDE ! LA TÊTE ELLE EST VIIIIIIIIDE ! »
Son visage se déforme, il a les yeux beaucoup trop grand ouverts, beaucoup trop fixés sur moi.

C’est vrai. C’est vrai qu’elle est vide, ta tête. Ça fait quatre jours qu’elle est vide, alors qu’elle était parfaitement pleine avant qu’un petit bout de sang vienne se décider à boucher une artère de ton cerveau, pour voir si ce serait rigolo. Ta tête est vide et ça te terrorise.
Et ça me terrorise aussi.
Qu’est ce qui s’y passe, dans ta tête juste assez pleine pour savoir qu’elle est vide ?
Et surtout, surtout, qu’est ce que je peux te dire, moi ?

Je dois te tapoter la main en disant « Meuh non meuh non mon brave, elle est pas vide votre tête, allons allons, ahahah » ?
Je dois te dire « Chut, chut, ça va, tout va bien, calmez-vous ? »
Je dois te dire « Hé oui bonhomme, houlalala, sacré néant dans ta boîte crânienne, hein, c’est pas de bol…. »

Qu’est ce que je peux lui dire ?
Je ne peux pas le rassurer. La vérité, c’est que sa tête est vide, et que très probablement ça ne s’arrangera pas, et qu’il frappe et qu’il crache sur sa femme qui vient essayer de lui rendre visite tous les jours, et qui va finir par ne plus venir, ou une fois par semaine, le dimanche, parce qu’il faut bien être une bonne épouse.
La vérité c’est qu’on finira au mieux par lui trouver une place dans un long séjour quelconque, avec des infirmières qui soupireront en entrant dans sa chambre et qui iront voir le médecin pour demander si on ne peut pas quand même lui monter un peu son Haldol parce qu’il épuise toutes les équipes.

Qu’est ce que je peux lui dire ? J’ai pensé à lui parler longtemps, de n’importe quoi, n’importe quoi pour remplir un peu sa tête, comme on berce un nouveau-né. Lui parler de la pluie et du beau temps, lui dire que sa femme a téléphoné et qu’elle l’embrasse, que maintenant il est onze heures et demie et que le repas sera bientôt servi, mais que le menu est pas terrible aujourd’hui.
Ça paraît la seule chose à peu près envisageable, mais bêtement, je n’ai pas le temps. Pas le courage, non plus. Les urgences tournent, les gens arrivent, le bip bippe, et je ne peux pas passer 10 minutes à essayer de te raconter n’importe quoi, en sachant pertinemment que de toute façon, au mieux, j’arriverai, peut-être, peut-être, à t’apaiser pendant 4 secondes que tu auras oubliées tout de suite après.

Alors je fais comme tout le monde.
Au début, deux ou trois fois, j’essaie de rentrer dans ta chambre et je dis une phrase creuse et idiote pour te calmer ; de plus en plus courte, de plus en plus idiote, en me sentant vaguement ridicule d’essayer de changer la face du monde avec ma phrase à la con.
Après je ne rentre plus, je passe à côté de ta chambre en regardant fixement mes pieds, en prenant l’air pressé, genre « C’est pas tout ça mais j’ai des vies à sauver ».

Et quand l’infirmière me demande de te prescrire un Loxapac, parce que c’est plus possible et qu’on peut pas travailler dans des conditions pareilles, je signe, et j’ai hâte que ça marche.
J’aimerais savoir comment ne pas avoir honte de cette prescription que je fais pour moi, parce que pour toi je ne fais rien.