Cart Vitale

17 janvier, 2010

J’aime bien la neige. Parce que c’est joli, et parce que les gens réfléchissent à deux fois avant de sortir de chez eux.
Parce qu’en arrivant le matin dans la cour du Dr Carotte, elle n’est pas déjà pleine à craquer de gens qui m’attendent dans le froid.

Une après-midi calme, donc.
Dans ma salle d’attente, un seul type. Qui ressemble à peu près à lui.
C’est rigolo tout ce qu’il y a dans le non-verbal. Comment on peut savoir qu’un type ne parle pas un mot de français avant même qu’il ouvre la bouche, juste à ses yeux et à son air, à sa façon de se lever quand on l’appelle dans la salle d’attente, à sa façon de serrer la main.
Il n’a donc pas encore ouvert la bouche que je me dis « Et merde, bordel, encore un pénisalgique »

Parce que la tendance s’est largement confirmée depuis. Je crois que comme je m’en veux un peu de les détester (je déteste tous mes patients qui ne parlent pas français, moi qui suis si mauvaise en anglais, si médiocre en examen clinique et pour qui la discussion est tellement importante), je redouble d’efforts pour compenser, et qu’en définitive, alors même que j’essaie désespérément de leur faire savoir que je suis mauvaise, que je ne sais pas faire de la bonne médecine si je ne peux pas parler, qu’il y a des endroits plus adaptés pour la médecine des migrants, avec des traducteurs et des gens qui s’y connaissent, en définitive disais-je donc, je leur accorde plus d’attention que ce à quoi ils sont habitués et on se refile mon adresse sous le manteau.
C’est flagrant. J’en vois un, je lui dis qu’il faut absolument qu’il vienne avec un traducteur la prochaine fois, et dans la demi-heure, j’en ai un autre dans la salle d’attente qui bosse au même restaurant que le premier et qui ne parle pas davantage français.
Va la voir ! qu’ils doivent se dire en pakistanais pour une raison qui m’échappe totalement.

Et c’est toujours la même chose. Enfin, j’ai un peu complété le tableau syndromique depuis : la pénisalgie n’est pas constante. Fréquente, mais pas inévitable. Deux autres grands motifs de consultation : la fatigue et la jambalgie. Ils ont mal au pénis ou à la jambe, ou les deux. Et ils sont fatigués fatigués. Tous. Tout le temps.
Je ne suis toujours pas sûre de ce qu’il y a derrière. Demande de recherche de MST ? De Viagra ? De check-up ?
En tout cas ça fini à peu près toujours de la même façon : vaccinations, « check-up » et paracetamol.

Celui-là parlait aussi mal anglais que tous les précédents (c’est peut-être ça qui leur plait chez moi, réflexion faite : je parle anglais encore plus mal), il était fatigué et il avait mal à la jambe.
En tout début de consultation, j’ai eu un espoir : il m’a tendu une radio de poumons et un bilan biologique qui avaient été prescrits par le Dr Carotte. Qui n’avait pas ouvert de dossier, bien sûr, ça fait un an que je lui crie dessus pour qu’il le fasse. J’ai déduit que le monsieur devait tousser, et, la radio et le bilan étant normaux, j’ai cru dans un moment de grande naïveté que j’allais pouvoir m’en sortir à bon compte, d’autant qu’il ne toussait plus depuis les antibiotiques. J’ai cru pouvoir dire « Tout va bien, c’est bien, les examens sont normaux, allez, bisous ».
Et puis non, bien sûr.
« Et puis je suis fatigué-fatigué… », il a dit. Et puis il a dit qu’il avait mal à la jambe. J’ai demandé qui était son médecin, qui il avait vu en France depuis son arrivée il y a 8 mois, il a dit qu’il n’avait vu personne et que c’était moi son médecin.
Ma salle d’attente était vide, le bougre était sympathique, et voilà, c’était moi, son médecin.
J’ai ouvert le logiciel à la page « créer un dossier » en ravalant un soupir.

Je lui ai demandé ses papiers d’assurance maladie, j’ai copié son nom, j’ai vérifié que l’AME était toujours valable : jusqu’en Mai 2010.
Soit, allons-y.

Interrogatoire laborieux, examen clinique laborieux. On a bien passé 5 minutes pour que je puisse tester le releveur du pied, et j’ai échappé de justesse à un ou deux coups de pied dans le menton. « Push ! Push ! No ! Not this way ! »
Examen normal, jambe normale, à la surprise générale.
Et puis, à la toute toute fin, quand j’ai voulu finir de remplir le dossier, j’ai dû taper la date de naissance. 23/11/1978.
Pour un type qui ressemblait à lui, je le rappelle.
– Vous êtes né en 78 ? j’ai dit.
– Oui oui, il a dit.
– Vous avez 31 ans ?
– Oui oui.
– Vous, vous avez 2 ans de plus que moi ?
Je ne sais pas bien ce qui m’a pris, moi qui me refuse toujours à répondre à la question trop fréquente des patients sur mon âge. (« Vous avez l’air très très jeune pour être médecin ! » qu’ils s’ébaubissent… « Ta gueule », que je réponds, en me jurant de me raser les couettes)

Oui oui oui qu’il me dit. Et puis il ajoute qu’il a une disease qui lui fait des cheveux gris.
Au bout de deux fois la disease qui blanchit les cheveux, j’ai dit : « Bon. »

Et puis, dans mon anglais terrible, j’ai commencé une longue tirade. J’ai essayé de dire qu’on ne pouvait pas travailler comme ça. Que s’il voulait que je sois son médecin, je voulais bien, mais que ça ne pouvait pas fonctionner de cette façon là. Qu’il fallait que je connaisse son âge, qu’il fallait qu’il ait deux fois le même nom pour que je puisse retrouver son dossier et savoir ce qu’on avait déjà dit et fait. Que le bilan n’était pas urgent, et qu’il pouvait revenir me voir une fois qu’il aurait ses papiers, qu’il pouvait demander l’AME pour lui, et que quand il reviendrait, il faudrait qu’il me donne son vrai nom, qu’il faudrait qu’il me redonne le faux nom auquel on avait ouvert le dossier, et qu’on remettrait tout ça à plat.
Et pendant ce temps-là, pendant que je lui expliquais pourquoi je n’allais rien lui prescrire, qu’il n’aurait pas d’examens ni de médicaments tant qu’il n’aurait pas ses papiers, pendant, qu’en somme, j’étais en train de le mettre à la porte, pour la première fois depuis le début de la consultation j’ai senti qu’il devenait vraiment mon patient et que je devenais vraiment son médecin.
Merci merci merci, il a dit. Plein de fois.

Bien sûr, il n’avait pas de quoi payer la consultation, en dehors de son faux-papier.
Et puis une fois qu’il a été parti, je me suis retrouvée devant la copie de son AME et ma feuille de soins.
J’ai passé 30 minutes avec lui, j’ai fait mon taf, j’ai fait une vraie putain de consultation. Davantage, peut-être.
Je méritais mes putains de 22 euros, et je pouvais me les faire payer en disant à la sécu que j’avais fait, ce jour-là, une consultation pour un pakistanais né le 23 novembre 1978.

Qu’auriez-vous fait ?

Nougat et tartinettes

13 octobre, 2009

Âmes aguerries et vomisseurs de bons sentiments s’abstenir, je vais faire un post à l’eau de rose et l’assumer.
Ça va dégouliner de guimauve et de barbes à papa. A ceux qui supporteraient mal les barbes à papa à lire, j’ai d’autres suggestions d’utilisation moins romantiques mais passablement rigolotes pour donner le change.
Mais j’en ai un peu marre de vous raconter mes foirades et mes échecs.
Bien sûr, c’est plus facile de parler de mes doutes. C’est plus culotté, c’est plus blockbuster, c’est plus sensationnaliste.
Alors que mes fiertés, mes petits bonbons glanés à droite à gauche, c’est moins spectaculaire. Parce que c’est plus démago, déjà, et parce que c’est plus discret. Je ne contiens pas des hémorragies en clampant des aortes à mains nues avec les dents, alors ça en jette moins qu’un bon gros aveu de mauvaiseté.
Mais quand même, ça compte.

Avant-hier, j’ai reçu Emma, 18 mois, toutes ses dents et surtout tous ses pieds, qu’elle me balançait gaiement à la figure dès que j’étais dans le périmètre le permettant. La mère s’excusait : « C’est tout le temps comme ça, depuis sa bronchiolite, même le Docteur Cerise n’arrive plus à l’approcher ».
Une furie. Je ne suis pas mauvaise pour amadouer les gamins, mais celle-là était enragée que Chucky à côté c’était Princesse Sarah.
Il était 15 heures et j’avais une seule personne dans ma salle d’attente. J’ai remonté mes manches et j’y suis allée.
A 15h40, elle penchait la tête vers la gauche pour me laisser voir son tympan droit dans un calme Baudelairien.
A 15h42, elle mettait elle-même le bâton dans la bouche la plus grande ouverte du monde.

Il y a deux semaines, j’ai revu ma mauvaise patiente de 19 heures.
Parce que la fois dernière, quand même, à la fin de ma consultation j’avais eu le temps de me dire dans ma tête tout ce que je vous ai dit dans mon post plus tard. Je lui avais dit que j’étais désolée, mais qu’elle méritait que je prenne plus de temps avec elle parce que son cas était compliqué, et qu’il fallait qu’elle prenne rendez-vous, et qu’elle ne pouvait pas débarquer comme ça à 19h si on voulait faire du bon travail. Elle m’avait fixé de ses yeux hagards et elle avait bavouillé un vague mot.
Et contre toute attente, elle a pris rendez-vous le vendredi suivant.
Contre toute attente encore, elle est arrivée presque à l’heure. Sept minutes de retard, mais comme j’avais bloqué 2 rendez-vous pour avoir le temps, ça n’a pas été trop pénalisant.
Je lui ai dit « Merci d’avoir pris rendez-vous ».
Elle a dit « C’est moi qui vous remercie ».
Et on a fait du bon travail.
Je pense qu’elle a un cancer et que son fils lui cogne toujours dessus, mais cette fois on a avancé.

Avant-hier, j’ai reçu la mère de M. Paty, que je n’avais plus revu depuis plusieurs mois.
M. Paty était venu dans le cabinet du Docteur Cerise parce qu’il n’en pouvait plus d’avoir mal au ventre depuis des années. Il m’avait raconté son désespoir grandissant devant les examens toujours normaux, les médecins de plus en plus indifférents et sa révolte contre tous ceux qui lui répétaient qu’il n’avait rien et tous les médicaments qui ne marchaient pas. Le dernier médecin, aux urgences, lui avait collé du Xanax qu’il n’arrivait plus à arrêter.
J’avais décidé que lui, ce serait mon premier colopathe à moi. Ça s’y prêtait pour la première fois de mes remplacements : un nouveau patient, une première prise de contact. Pas un à-moitié déjà suivi par un autre qui me voyait parce que cette fois il n’avait pas pu faire autrement que venir un vendredi. Un vrai patient à moi que je pouvais m’approprier et avec qui je pouvais commencer un partenariat.
Je l’avais revu souvent au début, parce que je le faisais revenir. Une ou deux fois par mois. On a causé. On a causé plein. Au troisième rendez-vous, il avait accepté l’idée qu’on ne ferait pas plus d’examens complémentaires. Au quatrième, il avait un peu moins mal au ventre et il avait réussi à diminuer le Xanax. Au cinquième, il avait encore un peu moins mal au ventre, mais le Xanax ne diminuait plus. Au sixième, statu quo.
Et puis il n’était plus venu.
Je m’étais dit ce que je me suis souvent dit : « Tu es trop enthousiaste, tu t’impliques trop. Alors quand ça commence à foirer, les gens ne viennent plus parce qu’ils ne veulent pas te décevoir. Ils ont échoué à guérir et ils ne veulent pas t’imposer ça. A trop en faire tu as perdu le lien. »
Je m’étais dit qu’il avait rechuté et qu’il était parti tenter sa chance ailleurs, avec un médecin moins culpabilisant de bonne volonté.
Et avant-hier, donc, j’ai vu la mère de M. Paty, qui m’amenait sa fille. A M. Paty. La petite-fille de la mère, donc. Bref.
Je n’ai pas fait le lien, et j’ai fait la consultation de la gamine.
Sur le pas de la porte, en me serrant la main, Mme Paty a marqué un arrêt.
« Vous avez fait beaucoup de bien à mon fils », elle a dit.
Elle a dit : « Il attendait ça depuis longtemps. »
En fait, M. Paty ne venait plus parce qu’il est guéri. Il a arrêté le Xanax, et quand il a mal au ventre, il se concentre pour que ça passe et ça passe. Des fois, il prend quand même un Carbosymag, mais pas souvent.
Et putain, j’ai fait ça avec ma bouche et les mots qui en sont sortis. Sans médicaments, sans examens, sans spécialiste. Ma bouche et mes oreilles.
Ça ne m’était pas venu à l’esprit que peut-être il ne venait plus parce que tout allait bien.

Régis et l’infanrix

9 octobre, 2009

Courrier des lecteurs.

Cher Régis,

Tu as été bien étourdi. Même si tu as eu 23 patients sur l’après-midi, même si tu étais fatigué d’écrire « C’est pas la grippe » sur un bon tiers des dossiers que tu as ouverts ce jour-là, ce n’est pas une excuse :  il FAUT mélanger la poudre avec l’eau dans la piqûre avant d’injecter un Infanrix Quinta.
Je te félicite néanmoins d’avoir su résister à la première tentation qui t’es venue devant le petit flacon encore rempli de poudre de le mettre rapidement à la poubelle en sifflotant Le pont de la rivère Kwai. Tu t’es jeté à l’eau, tu as dit à la mère : « Il y a un problème » et tu as bien fait.
Bien sûr, c’est embêtant que tu n’aies su répondre à aucune de ses questions après, et je comprends que tu te sois senti bien abandonné du Dieu Google en ne trouvant aucune réponse pertinente aux recherches « Infanrix non reconstitué » et « Erreur injection Infanrix » que tu as fébrilement pianotées sur ton ordinateur en essayant de faire semblant de garder une conversation normale sur un ton professionnel.
Mais tu as bien fait de te tourner vers moi et je vais aujourd’hui m’efforcer de répondre à tes questions.

– Non, tu n’as pas injecté au petit un soluté mortel en l’absence de reconstitution, et non, sa cuisse ne va pas se transformer en amas de chair gangrénée et putréfiée sous 48h. Je sais bien que c’est ce que tu as lu dans le regard de la mère, mais ça ne va pas arriver.
– En fait, mon petit Régis, tu as ré-inventé l’Infanrix tétra. Figure-toi que dans la poudre, il n’y a que l’Haemophilus, alors que dans l’eau de la piqûre, il y a tout le reste. C’est comme si tu avais injecté un diphtérie-tétanos-coqueluche-polio, donc. Tu vois, 4 vaccins réussis sur 5, ce n’est pas si mal !
– A ce stade de cette instructive lecture, tu dois te demander comment rattraper les choses. Et bien j’ai une bonne nouvelle : le vaccin monovalent pour l’Haemophilus existe ! Je sais, c’est une surprise, tu n’as bien sûr jamais eu l’occasion de le croiser et tu te demandes pourquoi diable il existe alors que le vaccin monovalent pour la coqueluche toujours pas. Mais la vie est ainsi faite, et recèle parfois d’heureuses coïncidences.
Il s’appelle Act-Hib et tu vas pouvoir le faire au petit d’ici 2 ou 3 jours.
– Oui, Régis, tu peux le faire sur le même site d’injection que le reste du vaccin, ce n’est pas un problème, la dame de la pharmacovigilance de Glaxo est formelle. Elle m’a d’ailleurs gentiment demandé de te dire que tu n’étais pas le premier à qui cette mésaventure arrivait. Qui sait même si ce n’est pas pour les petits distraits comme toi que l’Act-Hib a été spécialement prévu.
– Un conseil d’amie : si par miracle la dame n’a pas déjà changé de médecin traitant, n’oublie pas de faire l’injection de rattrapage en Acte Gratuit. Le petit va quand même se cogner 3 piqûres douloureuses au lieu de 2 et se mettre à pleurer dès qu’il franchira le seuil de ta salle d’attente pour les années à venir, tu leur dois bien ça.
– Non, Régis, le vidal n’ayant pas encore de rubrique phonétique, je ne sais pas si tu dois demander au pharmacien de commander du Act-hache-hi-bé ou du Actib. Tu n’as qu’à lui faxer l’ordonnance en sifflotant Le pont de la rivière Kwai.

J’espère que cette réponse t’a aidé, sois plus vigilant les prochaines fois !
La semaine prochaine, nous aiderons Régis à ne pas demander à ses patients qui préparent un voyage à Cuba dans quel pays c’est déjà.

Allez, parce que j’aime pas bien que le premier post qu’on lise en arrivant ici soit le suivant, parce que Lala l’a gentiment demandé il y a déjà plusieurs mois, parce que ça s’accumule, et que du coup, je vous préviens, c’est long :

Catégorie « Ils sont venus me faire coucou gentiment », et c’est bien naturel que je réponde :

ah mais oui mais non non non salu jaddo
Salut :) Lithotypographie lithotypographie lithotypographie !!
jaddo t’es là?
Bin non, pas trop, non…
google c’est le mail de jaddo
J’avoue…
jaddo a dressé mon ours
Oh.
jaddo petit coucou d’une fidèle pas dresseuse d’ours mais interne de santé pub
Coucou !
jaddo je veux etre dans les stats et j ai retenu la date de mes règles!
C’est fait ! Et c’est bien, bravo. Vraiment.
amoureux de jaddo est trop fort
Oui, je sais :)

jaddo, j’adore.
Coucou ! Merci !
jaddo c’est la plus belle
Coucou ! Merci !
spéciale dédicace à la dresseuse d’ours!
Coucou ! Merci !
– jaddo, une des meilleurs médecins blogueuse de la toile
Coucou ! Merci !
jaddo fait des choses pas nettes avec les ours
Coucou ! Toi-même.
jaddo rrr fumer ça fait tomber les couettes
Coucou ! Toi-même.
faire tourner jaddo dans un film porno avec des infirmières
Coucou ! Toi-même.
arretez de delirer jaddo
Oui, ok, oui, je veux bien.

Catégorie « Ils sont venus me faire coucou », et ils inventent la drague via recherche Google :

Sous catégorie « Trop mignon » :
j’aurais vraiment (d’ours) grand plaisir à (ours) boire un café avec vours
juste (ours) comme ça (ours) juste une fois, pour (ours) un café-couettes

Sous catégorie « Moyen mignon » :
je fantasme sur les couettes de jaddo
site:jaddo.fr jaddo je t’aime, fais moi des enfants. maintenant.

Catégorie « Ils sont venus me faire coucou », et ils se posent de drôles de questions :

tu pars où en vacances cet été jaddo ?
Je sais pas.
jaddo a t-elle vraiment des couettes
Ca dépend des fois.
qui est jaddo
C’est moi.
qui est le docteur rrr juste avant dresseuse d’ours
Bin c’est moi. Vous avez de drôles de questions.
avis consommateurs sur jaddo
Je veux bien des retours.

Catégorie « Les ours,  on sait toujours pas combien il en reste dans le monde, et maintenant on se pose d’autres drôles de questions. »

probleme d’ours malade perd ses poils docteur d’ours
probleme d’ours malade qui a un oeil jaddo
pour rassemblé les bras des ours
les histoires d’ours finissent mal en général
Elles aussi, hélas.
coment dessiner une tete d’ours gratuit
combien reste t il d’ours dans mon bol ?

Catégorie « En médecine aussi on se pose des drôles de questions » :

prise tension arterielle le brassard serre parfois plus que d’habitude
Voilà qui est diablement intrigant. Ce doit être un complot.
mon labo prend 2 fois plus sang que mon ancien labo
Quand je vous le disais. Complot !
j’ai accoucher à lariboisiére et j’ai pas payé qui à payé pour moi
Complot, complot, complot !
comment faire croire au docteur que l’on allaite
Des complots partout.

obligation du médecin généraliste de se déranger si j’appelle en fin de consultation
Manquerait plus que ça.
comment appelle ton un docteur pour les verrous sur tulle
Un verrous-sur-tullologue. Mais c’est comme oto-rhino-laryngologiste, personne ne dit ça, c’est trop long. On dit « Docteur, il me faudrait un papier pour aller voir mon tullo. »
taille d’une fille apres les regles
Ca dépend de la quantité de sang qu’elle a perdu.
doit je faire la priere j ai mes regle depui 9jours
Attention tu vas devenir toute petite !

les cordonnier de medecin qui font methode pour choisir le sexe de bebe
Une méthode bête comme ses pieds ?
comment obtenir un compte rendu d’hispotalisation
Avec les cordonniers de l’hôpital.
comment faire pour regarder motus
Suffit de se faire hispotaliser.

qui sont les gens qui ne peut pas apprendre les antibiotique
Moi !!
opérations d’un bébé de 9 moi d’un air de yeux
Ca sent les herbes, et vraiment, je ne trouve pas, et je suis vraiment curieuse de savoir. Si quelqu’un a une idée…
comment regler un probleme d’erection avec du sel?
Essayez + citron + téquila

peut-on etre enceinte a partir d’un pinceau
Le plus souvent, c’est pas comme ça qu’on le fait.
quand prevoir une grossesse apres une amygdalectomie
Le plus souvent, c’est pas par là qu’on le fait.

Catégorie « Je dépose des questions sur l’autel de Dieu-Google, je mets des bougies autour du PC et j’attends une réponse » :

comment ce dit le rhinocéros déshydrater en anglais?
Dehydrated rhinoceros ?
c dangereux 1 petit grain de beauté c normal qui pent ??
Les enceintes vibrent, l’écran devient sombre, la voix sourde de Google résonne…
si j ai fini 6 secondaire apres c’est quel classe
lentille dieu du travail je merite nettoie ta merde?
Même Google n’a pas compris la question.

que veut dire peu probable
Mmm. Ca veut dire « peu probable ». Je ne vois pas quoi te dire d’autre.
mon amour méme t’il vrément
Je sais pas mais tu mérites pas.
c pa grave ma belle ben j’espere ke t’as bien terminé l’examen
Ok on lui transmettra.
femme attachee disant mmmmmm
Voilà enfin une recherche précise. Les femmes attachées disant « mmmmmm ». Pas « Mmm » ni « Hmmm », attention.

Catégorie « Ca va mieux en le disant » :

les femmes enceintes font chier
la beuh c est pour les geeks
j’ai couché avec mon chef de service
oups j’ai baisé la femme de menage
(J’ai glissé)
dupagne coup de pied au cul

Catégorie « Gneu ? » :

dresseuse a macaron moins cher
Par là.
la case du cas n’est pas couché
Nous non plus.
les nouvelles tendances en soins intensifs aux externes et oui
Et oui !
merci pour votre attention mai moi je demande rien juste une simple amitie
Ok.
il est tombé, ceci dit savon
Mmm…

en voyant comme im a collé ici et votre collé là a juste cru que je dirais bonjour dans le français cette fois et vous verrais quand je rentre
Okaaaaaaay…
attise tes desirs pour 15 euros le quart d’heure + vis ma vis
Visse ma vis ? Petit coquin, va.
une femme qui n’est pas emmerdante c’est comme si elle avait un beau cul brassens
Mmm. Je crois que t’as pas tout compris la chanson. Je te la remets, écoute attentivement, et jusqu’au bout. Cette vidéo c’est du bonheur en barre.

Et zut, elle est cassée ma vidéo. Bon, sinon elle est là.

Beyrouth.

26 septembre, 2009

En fait, j’aime pas les malades.

J’aime bien les gens en bonne santé. J’aime bien les jeunes de 32 ans avec leurs biceps et leurs sourires et leurs certificats de Taekwondo. J’aime bien les femmes enceintes qui viennent parce qu’elles sortent de leur tête à tête avec leurs deux lignes roses dans la salle de bains, et qui m’écoutent à peine, parce qu’elles sont pleines d’images d’avenir. J’aime bien les certificats de bonne santé, j’aime bien les jeunes, j’aime bien les vaccins.
J’aime bien donner des conseils pour moucher le petit et passer vingt minutes à expliquer qu’il faut s’essuyer d’avant en arrière pour éviter les cystites.

Les malades sont nuls. Ils puent la souffrance et la peur, ils me vident de mon énergie, ils m’aspirent, ils m’effraient.
Ils sont un trou noir. Comme d’effroyables petits Shadoks : ils pompent, ils pompent, ils pompent, alors que j’ai si peu d’énergie à moi.
Ils ont mal et je ne suis pas une fée, ils veulent vivre alors qu’ils vont mourir, ils veulent comprendre et ils ne comprennent rien, ils ont peur et j’ai peur avec eux, ils ont mal et j’ai mal avec eux. Je n’ai pas tant d’énergie à donner, je n’ai pas assez de force vitale pour tous, et j’en crève.

Sauf les bons malades, que je peux supporter.
Le bon malade est poli. Il arrive à l’heure à son rendez-vous, il me dit bonjour Docteur avec un D majuscule. Il a mal avec le sourire, il affronte sa maladie le dos droit. Il m’écoute avec des grandes oreilles, il hoche la tête et il me fait des compliments sur ma façon d’expliquer les choses. Il pose des questions auxquelles je sais répondre, et il comprend les réponses. Il sait bien que je ne suis pas une fée, il me donne du Docteur à chaque coin de phrase et il m’écoute en silence.  Il ne se plaint pas. Il est reconnaissant du peu que je fais pour lui, il accepte les examens, il accepte les incertitudes. Quand je lui propose un traitement, ça marche bien. Il n’a pas d’effets secondaires et le traitement fonctionne. Ou, si ça ne fonctionne pas, il me le cache parce qu’il sait qu’il me doit bien ça.
Le bon malade guérit. Il a une maladie bien propre, bien carrée, que je comprends et que je connais, et pour laquelle j’ai des médicaments qui marchent dans mes tiroirs à médicaments.

La mauvaise malade débarque à 19h sans rendez-vous, avec ses yeux de cocker battu et sa souffrance qui empeste  ma salle d’attente. Elle a huit maladies graves en même temps qui se battent pour savoir qui aura raison de ce corps chétif, elle est idiote, elle me fixe de ses yeux hagards et elle se fait frapper par son fils. Elle n’a pas pris les médicaments parce qu’elle n’avait pas de sous, elle n’a pas le compte rendu de l’hôpital de sa dernière hospitalisation, elle ne comprend rien et elle a mal partout. Elle ne pose pas de questions parce qu’elle est trop bête pour en poser, elle ne sait pas répondre aux miennes, elle est sale et elle a les dents grises, elle boite sans que je sache pourquoi, avec sa béquille qu’aucun des antécédents notés dans les jolies cases de son dossier ne justifie.

Et alors que je suis capable de passer 35 minutes avec une jeune fille belle et enceinte, je raccourcis tout ce que je peux la consultation avec elle. Je botte en touche, j’envoie au diabéto, j’envoie au cardio, j’envoie au centre anti-douleur. Je lui parle mal, je l’engueule parce qu’elle devrait bien savoir que le vendredi c’est sur rendez-vous, je secoue la tête en soupirant quand elle ne sait plus quel médicament on lui a donné à l’hôpital, je rédige la lettre pour le diabéto en quatre longues minutes de silence. Je ne souris pas, jamais. Je ne demande pas si son fils a arrêté de la cogner parce que j’ai trop peur de la réponse.

Je suis médecin depuis deux jours et demi, j’ai vingt-huit ans, et je ne supporte déjà plus les gens malades.

Quand j’étais petite, je voulais être dresseuse d’ours.
Pas « fée ».

Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai rien contre les fées. C’est une catégorie socio-professionnelle comme une autre, et il n’y a pas de sot métier. Même si, pour les connaisseurs, il y a des métiers avec un seau.

Et pourtant, parfois, les gens me prennent pour une fée. 

Quand ils ne peuvent VRAIMENT pas se permettre d’être malades. 
Mais aussi parfois sans raison valable évidente.
L’autre jour, une patiente, la soixantaine, qui ne pouvait pas venir la veille voir le docteur Carotte parce qu’il n’y avait personne pour garder Bichon, m’explique les affres de son panaris. Une gangrène gazeuse, à l’entendre.
Elle me raconte les cris d’horreur du médecin qui l’a vue en vacances, le traitement « de cheval » qu’il a jugé indispensable de mettre en route immédiatement et l’évolution des choses depuis.
Bonne, l’évolution, visiblement, si j’en crois l’index qu’elle me brandit sous le nez. C’est encore vaguement rose foncé sur le côté, là où une écharde grosse comme une poutre et acérée comme une dague a bondi pour s’y planter violemment il y a trois semaines, et c’est encore un peu sensible quand elle appuie. Pour ce que j’en dis, l’a qu’à pas appuyer.
Bref, elle m’annonce solennellement :  « Tout ce que je demande, Docteur, c’est qu’il n’y ait plus rien dans deux semaines. »
Je me gratte le menton. Je décide de ne pas lui mentir : « Si vous voulez être absolument certaine qu’il n’y ait plus rien DU TOUT dans deux semaines, il faut couper ».
Comme je le pensais, le second degré de Madame est resté à la maison avec Bichon. Ses traits se durcissent, et elle me précise : « C’est que je dois partir en vacances en Corse. Et vous connaissez l’état du service de soin en Corse, je suppose ? Il est hors de question que j’y parte dans cet état-là, il faudrait que j’annule mon voyage. »
Elle part pas au Congo avec une cholecystite, hein, elle part en Corse avec une fin de panaris.

Je lui ai dit de poursuivre les soins locaux. Une semaine plus tard, le secrétariat laissait au Dr Carotte le message suivant : 
Mme X. A rappelé. Souhaite un rdv ce 18/08. A annulé son voyage. Précise que son doigt est très enflé et douloureux. Précise que le traitement n’a fait aucun effet. Nous l’avons informée que vous ne rajoutez plus de rdv ce jour, 18/08. Ne souhaite pas prendre de rdv avec Dr Rrr. Par ailleurs demande que vous lui établissiez une ordonnance pour faire une radiographie.

 Dans les épisodes suivants, si vous êtes sages, je vous raconterai les fois où je me sens coupable de ne pas être une fée.

A la demande générale…

8 septembre, 2009

Je suis la remplaçante.
J’attends dans mon bureau, devant mon emploi du temps vide.
Hier, c’était le Docteur Carotte, et c’était plein.
Demain, ce sera le Docteur Carotte, et c’est déjà plein.

Moi, j’ai mes 6 pauvres créneaux de rendez-vous sur le matinée, 6 parce que j’ai une matinée de deux heures, et que là où le Docteur Carotte prend 4 rendez-vous à l’heure, on m’en a prévu 3.
On a bien fait, cela dit, parce que à bientôt un an de remplacement, je culmine à 20 min la consultation. Qu’il vente qu’il pleuge ou qu’il neige, veaux vaches cochons, à la fin de ma journée, je divise le temps de travail par le nombre de patients et j’arrive à 20 minutes. Dix-huit dans mes meilleurs (ou plus mauvais) jours. Y compris les « Je n’en ai pas pour longtemps, c’est juste pour un certificat » et les « Oh moi ça va aller vite, c’est juste pour un renouvellement ».
Bref, je suis dans mon bureau vide, derrière mon pc qui malheureusement ne fait pas tourner Wow mais qui me permet au moins de passer le temps sur wowhead et sur mon forum de guilde.
J’ai un autre rendez-vous dans quarante minutes, le deuxième de la matinée, j’ai le temps d’aller bosser la strat de Yogg.

Et puis, on tape à la fenêtre.
A la fenêtre, alors que j’ai un interphone qui fonctionne et que, ici, je ne confonds pas avec la sonnerie du téléphone.
Et, bêtement, je vais ouvrir.
Scène improbable de dialogue entre moi et mon futur-patient, lui dans la rue et moi dans mon bureau, les deux mains sur les fenêtres que je viens d’ouvrir, les bras écartés, avec ce demi-mur idiot qui séparent nos jambes.
Il me dit qu’il veut une consultation, je lui dis que Heuu, il doit faire le tour de la rue et venir sonner à la porte.
Et en ouvrant les fenêtres, en découvrant mon patient de la rue, il y a déjà seize bonnes secondes de ça, quelque chose a dit dans mon crâne : « Oh toi mon coco, tu veux du Subutex ».

Je ne sais pas encore pourquoi, mais ça a sonné tout de suite du côté de mon alame intérieure.
Le côté incongru de notre première rencontre a sans doute joué, mais, en ouvrant la fenêtre et en découvrant mon patient, je me suis dit que je n’avais pas envie de cette consultation.

Il a fait le tour, il a sonné gentiment à l’interphone, et je n’ai pas pu faire autrement que de lui ouvrir.
Une fois assis en face de moi, quand nos jambes ont retrouvé leurs positions légitimes, il m’explique qu’il vient de déménager, et qu’il veut changer de médecin, et que justement il avait un problème en cours avec son dernier médecin d’il y a à peine quatre jours.
« Subutex, subutex, subutex » ânnone mon cerveau pétrifié.

Mais pas de Subutex.
Il  avait un truc, des symptômes bizarres, il allait faire pipi souvent la nuit, et son médecin lui a fait un test d’urines, dont il n’a pas les résultats sur lui mais qui était normal, paraît-il, et il avait une sorte de poids dans le bas-ventre, et son médecin a fait faire l’analyse d’urines qu’il n’a pas mais qui était normale et lui a dit qu’il fallait en faire plus.
Mmmm, dis-je.
Je dis souvent Mmmm quand je me sens dépassée. Ca fait gagner du temps.
Mmmm, dis-je, donc.
Son médecin lui a donné un traitement dont il a oublié le nom, malgré les analyses normales, il a dit qu’il fallait attendre un peu, mais le traitement ne marche pas et ça ne passe pas et il a déménagé et le voilà chez-moi. Sans ses analyses, sans l’ordonnance du traitement-qui-ne-marche-pas, mais avec ses drôles des symptômes qui durent.
Il n’a pas de fièvre, il n’a pas d’écoulements, il n’a pas d’autres symptômes que ce poids dans le bas-ventre et ces analyses normales, et il attend de moi que je résolve son problème.
Mmmm, dis-je, encore un peu embrumée par mon cerveau qui crie « Subutex ! Subutex ! »
Mon patient, gentil qu’il est, essaie de m’aiguiller un peu, devant mes « Mmmmm » peu décisifs.
– « Il a dit que c’était peut-être une mmmmm, heuuu, « prostatite » ??? »

« Mmmm« , dis-je encore, fidèle à moi-même, « Oui, ça fait partie des choses à éliminer, passons à côté, je vais jeter un oeil sur votre ventre.  »

Sur le chemin qui sépare mon bureau-bureau de la salle d’examen, pendant que déjà, une certitude se grave en moi (Je m’en fous, je ne lui ferai pas de TR),  il ajoute :  « Mais en fait je dois vous dire, je n’ai pas ma carte vitale et je n’ai pas de quoi payer, j’ai laissé mon chéquier à la maison ».
L’occasion est là, et je bondis.
– Ecoutez, que je lui dis, trop contente d’avoir un prétexte pour écouter mon alarme qui hurle sans que je sache pourquoi, ça devient un peu compliqué. Vous n’avez pas les analyses, vous n’avez pas le nom du médicament qu’on vous a donné, vous n’avez pas votre carte vitale, vous n’avez pas de quoi payer… C’est un peu compliqué pour moi d’arriver au milieu d’une histoire que je ne connais pas, je vous propose de revenir demain avec tout ce qu’il faut, et nous verrons comment nous pouvons avancer.

Et je vois le patient prendre le contrôle de la consultation, à peu près comme à chaque fois que mon alarme sonne. Maintenant, je sais bien que cette alarme qui beugle, c’est le signe que je suis manipulée et que je perds le contrôle des choses, mais à l’époque, je n’entendais que « Subutex ! Subutex ! Ou alors, heuuu non, mais quoi ? Que se passe-t-il ? Je n’aime pas ce patient et je veux qu’il parte.  »
– Mais, qu’il me dit, mon médecin m’avait parlé de prostatite ?
– Hmmm, hmmm, oui, c’est possible, dis-je, c’est justement pour ça qu’il faudrait que vous reveniez demain avec tous les éléments…
– Mais, dit-il, il ne faudrait pas refaire l’examen ?
– Si ! Si ! m’entends-je hurler, justement ! Je vais vous refaire-faire un examen d’urines, vous allez le faire, et vous reviendrez avec les résultats du premier examen, l’ordonnance du traitement qui n’a pas marché et les résultats du deuxième examen, et votre carte vitale, comme ça on pourra avancer.
C’est tout ce que je trouve à dire devant mon cerveau qui me hurle : « Ruuuun ! You fools » sans que je comprenne pourquoi.
– Mais, si le premier examen était normal, ajoute-t-il, le deuxième va peut-être l’être aussi ?

A ce stade de la non-consultation, j’essaie tout ce que je peux et je n’ai plus qu’un seul but : le mettre dehors, vite et bien, et le faire revenir sur les consultations du Dr Carotte.
– Oui, peut-être, nous ne pouvons pas savoir, il faut vérifier qu’il n’y a pas une infection, il faut refaire l’examen.
Je dis n’importe quoi. Je le sais. Mais j’ai cette alarme, qui est maintenant devenue « Pas Subutex  ! Pas Subutex ! Je sais pas quoi mais Run you fools ! » qui m’empêche d’entendre quoi que ce soit d’autre, et je ne suis plus médecin.
Je suis une fille à couettes abasourdie par son alarme.
Le patient voit que je patauge, et, gentiment, me guide :
– Mais mon médecin, il a dit que comme les examens ils étaient normaux, il faudrait faire un autre examen plus poussé pour voir s’il y a une infection que le premier examen n’a pas vu ?

Là, en vrai, je ne vois pas de quoi il parle. Et je lui dis :
– Mmmmm, je ne vois pas ce que ça peut-être.

L’homme qui murmurait à l’oreille des consultations ne se laisse pas désarçonner. Il continue à m’aider :
– Il a dit qu’il fallait faire quelque chose pour que l’examen puisse voir l’infection plus facilement ?

Je ne vois toujours pas. Je suis curieuse, je me sens soudain bête de ne pas savoir, je sens mes couettes prendre des proportions imprévues, avec l’engrais supplémentaire de la culpabilité imbécile de vouloir me débarrasser de ce patient sans savoir au juste pourquoi,  mais vraiment, je ne vois pas.

– Ecoutez, je ne sais pas ce que votre médecin voulait faire comme examen, mais déjà, puisque moi je n’ai rien comme éléments pour me guider, on va refaire l’examen de base et vous reviendrez avec toutes les pièces du dossier, ok ?

Je sens des racines pousser entre ses fesses et le fauteuil.
Il n’est pas content du tour que prennent les choses, c’est palpable. Visiblement, je le pousse dans ses derniers retranchements.
– Mon médecin, il a dit que si le premier examen il était normal, il fallait, heuuuu, comment il a appelé ça, déjà, un massage prostatique ?

Et voilà. Et voilà, ton Subutex, fool toi-même, que je ne savais pas pointer.
Merci. Le voilà, ce truc qui pressait le doigt sur mon interrupteur à alarme.
Je sais pas ce que c’est, un massage prostatique, j’ai un bout de couette en moi qui suggère que peut-être je ne sais pas ce que c’est alors que je devrais savoir, peut-être que c’est moi qui suis nulle et qui ne connait pas le massage prostatique comme étape importante du diagnostic de prostatite, peut-être que ça existe vraiment,  mais tant pis, je sais au moins, même si c’est de la faute de mon incompétence médicale, pourquoi ça carillonne comme ça depuis le début.

Je peux reprendre pied, et même si j’ai tort, même si le doute subsiste, même si peut-être tu n’es pas un gros pervers, même si peut-être le masage prostatique est une pratique répandue chez tous les urologues du coin, au moins, je sais ce qui m’arrive, et je peux te mettre à la porte gentiment.
Non, je ne pratique pas cet examen. Non, je ne sais pas ce que c’est, ni qui peut vous le faire, ni si des kiné le font. Non, ça ne fait pas partie des gestes que je fais quand je suspecte une prostatite, et peut-être vous devriez aller revoir ça avec votre médecin qui semble s’y connaître infiniment plus que moi en geste de sensibilisation à l’ECBU.

Une fois que je l’ai mis dehors, au bout de 35 minutes non rémunérées à part cet infini sentiment de soulagement, je suis allée taper sur Google « Massage prostatique ».
Comme il m’a fallu aller jusqu’à la page 6 pour trouver un semblant de lien médical qui ne parlait pas de point G masculin, de gods et d’orgasmes, je me suis dit que sans doute, mon alarme avait eu raison de mes couettes.

De 7 à 77 ans.

1 août, 2009

Ils ont 179 ans à eux deux.
Elle était veuve, il était veuf, ils habitaient la même rue. Alors un matin il a pris son baluchon et il est venu emménager.
« Mais on couche pas ensemble ! » m’avait-elle dit, quatre minutes environ après que j’ai franchi leur seuil lors de ma première visite, alors que j’avais encore ma sacoche sur l’épaule et ma main dans la sienne.

Si on la dépliait un peu, elle m’arriverait probablement à l’épaule.
Mais son dos commençant à fléchir sous le poids des années, c’est à mes seins qu’elle avait annoncé sa chasteté. Entrée en matière, les présentations sont faites.
Lui est aussi profond qu’elle est haute.
Autour de sa paire de bretelles, à hauteur de mamelons, il a tendu un élastique. Comme ça ça tient mieux. Ça dessine un X improbable sur son torse, comme un super-héros nonagénaire.
Chez eux, ça ne sent ni le thym, ni le propre, ni la lavande. A la rigueur le verbe d’antan, mais c’est tout ce que je peux leur accorder.

La première fois que j’y étais allée, c’était pour le renouvellement d’ordonnance.
Le Dr Carotte y était allé neuf jours avant, pour la même raison, mais ça n’avait pas l’air de les avoir marqués tant que ça. Mais regardez ! que je leur disais, vous voyez bien qu’elle date du 12 novembre, là, l’ordonnance ! On est le 21 !
Elle avait râlé, qu’il lui fallait ses médicaments, puis elle avait dit ok, qu’elle avait dû oublier, puis elle avait re-râlé parce qu’entre-temps elle avait oublié qu’elle avait oublié.

Les fois suivantes, je n’y étais pas allée.
Parce que je ne pouvais pas y être avant 11h30, mais 11h30, c’est l’heure à laquelle ils vont déjeuner à la brasserie d’en bas, tous les midis. Alors ils avaient remis la visite à plus tard.

Cette fois-là, c’était donc ma deuxième visite.
La même dame voûtée frêle et souriante qui me crie que c’est ouvert depuis la fenêtre, le même bonhomme derrière le même ventre à la même place derrière la table, la même odeur, le même sol qui colle aux pieds, les mêmes boîtes de médicaments alignées sur la table à côté du chéquier et des deux cartes vitales.

Je commence par elle. Je  l’examine assise à la table, je fais soulever la robe, je regarde le dos et les jambes, je prends la tension, j’écoute le cœur et les poumons, je prends des nouvelles. Ça va, ça va. Comme des ptits vieux ! dit-elle, tout sourire, à mes seins.
Je regarde l’ordonnance trop longue de tout ce qu’elle s’enfile chaque jour.
Le cœur la tension le cholestérol la thyroïde la constipation (4 médicaments rien que pour elle, ça doit être de la constipation de concours) le médicament qui lui fait du bien pour ses jambes le stilnox pour dormir le soir, le demi-xanax du midi.

Entendez-vous au loin les sabots de mon cheval de bataille ?
Cataclap cataclap :

– Mmm, et le stilnox, vous le prenez tous les soirs ? Ou seulement de temps en temps ?
– Le quoi ?
– Le stilnox.
– Aaaaaaah ! Le Stilmox ! Ah oui oui tous les soirs je le prends, tous les soirs, sinon je dors pas. Des fois même j’en prends deux parce que j’arrive pas à dormir alors je me lève et puis j’en prends un deuxième.
– Et vous n’avez pas essayé d’en prendre un demi, comme on avait dit la fois dernière ?
– Ah si ! Ah si ! J’en prends qu’un demi de Stilmox, comme vous avez dit ! Et encore, pas tout le temps ! Non non non j’en prends pas tout le temps !
– Bon, et le xanax, vous le prenez ?
– Le quoi ?
– Le xanax ?
– C’est quoi ça ?
– Mmm c’est un peu comme le stilnox, c’est pour calmer, c’est celui-là, c’est marqué que vous en prenez la moitié d’un le midi…
– Ah, bin oui jle prends, si c’est marqué c’est que je le prends.
– …
– …

Je décide de la jouer sournoise. Méthode Knock à contre-emploi.
– D’accord d’accord, très bien. Mmm dites-moi, ça vous arrive parfois d’avoir un peu la tête qui tourne, le matin ?
– Ah non, ah non, jamais !
– D’accord, tant mieux. Et par moments, est-ce que vous sentez que vos jambes sont un peu faibles, est-ce que vous vous sentez parfois un peu fatiguée ?
– Ah bah ça, oui, mais pourquoi vous me demandez ça ?
– Non non, pour rien, c’est juste que parfois, quand on prend du stilnox et du xanax en même temps, on peut se sentir un peu fatigué…  Même des fois, il y a des gens qui perdent l’équilibre et qui tombent…
– Ah vous croyez ? Mais, peut-être que je peux ne pas le prendre, le xanax ?
– Oui, peut-être, on peut essayer…

Je savoure ma victoire.
– Bon, écoutez, on fait comme vous avez dit alors : vous ne prenez plus le xanax le midi, comme ça vous ne risquez pas de vous casser la figure, et puis le stilnox de temps en temps vous essaierez d’en prendre juste un demi, pour voir.
– D’accord ! D’accord, je prends plus le xanax et je prends un demi-Stilmox le soir !

On déroule la suite de l’ordonnance. On essaie de voir ensemble ce qu’il lui faut dans la liste, mais c’est compliqué. Elle me dit que le levothyrox, c’est plus la peine de lui mettre parce qu’elle en a encore un peu. Mais elle sait plus si c’est des 50 ou des 100, qu’elle a encore. Et puis le movicol elle croit aussi qu’elle en a encore mais elle est pas trop sûre. Alors, elle m’invite à la suivre pour faire l’état des lieux des stocks. Elle m’entraîne à sa suite, me fait rentrer dans les toilettes.

C’est pas des toilettes, c’est l’arrière-boutique d’une mercerie de contrebande par temps de guerre.
Derrière les toilettes, un mur complet de boîtes de médicaments.
12 kilos de Movicol, 156 cm³ de Levothyrox de tous les dosages, 15 livres de Lasilix, 3 boîtes de Stilnox : du sol au plafond, des médicaments à perte de vue.
Une fraction de seconde, j’ai l’image de la dame, inconsciente sur ses toilettes, la culotte aux chevilles, ensevelie sous les boîtes de médicaments et les débris de l’étagère, le coin d’une boîte d’Amlor fichée dans la boîte crânienne.

– Bon…
C’est ce que j’ai trouvé à dire au bout de 45 secondes de silence ébahi.

– Bon. Bin écoutez Madame, la prochaine fois que je viendrai, on prendra le temps de faire un peu le tri, d’accord ? Vous avez trop de médicaments qui s’entassent, ça va être périmé, ça sert à rien de continuer à les prendre à la pharmacie avec tout ce que vous avez… Pour cette fois-ci, le movicol vous en avez assez, hein, je vous le remets pas.
– D’accord, d’accord !
– Et puis le lansoyl, vous en avez assez aussi.
– Ah non ! Remettez-m’en une boîte ! Ou deux !
– Non non, regardez : une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept boîtes. Vous en avez déjà trop pour le prochain mois, largement, je vous le remets pas.
– Bon, d’accord…
– Et le Stilnox, vous en avez assez aussi.
– Ah non ! Non le Stilmox vous me le remettez ! Au moins quatre boîtes ! J’ai besoin de quatre boîtes !
– Non non non. Il y a 14 comprimés dans une boîte, vous avez 3 boîtes, même si vous prenez un comprimé le soir vous avez largement assez avec ça.
– Mais non ! Des fois j’en prends deux le soir, si je dors pas, et même des fois j’en prends trois, alors j’ai pas assez ! Il faut que vous me remettiez quatre boîtes !

Elle se jette sur une boîte de Stilnox, la saisit à pleine main et la cache derrière son dos.
– Vous l’avez pas vue ! Vous l’avez pas vue ! Menteuse ! Menteuse ! Méchante ! Vous l’avez pas vue, j’aurais pas dû vous amener ici !
– Madame Bainso, si vous n’avez pas assez de trois boîtes de Stilnox, c’est que vous en prenez trop. Deux tous les soirs, c’est déjà beaucoup, beaucoup trop. Si je vous en re-prescris et que demain matin vous vous cassez la figure, je me sentirai responsable.
– Mais j’en prends pas deux ! J’en prends un demi ! Et encore pas tout le temps ! Et lui il en prend aussi ! Pour nous deux, il faut que vous me remettiez au moins deux boîtes !

La négociation continue sur le chemin du retour vers la salle à manger.
– Je suis désolée mais je ne le ferai pas. Vous avez assez avec ce que vous avez ici.
– Bon, bon… Mais vous êtes méchante, lache-t-elle en se rasseyant à sa place.

Je coupe court, je m’assois, je rédige mon ordonnance dans un silence voulu, et je me tourne lâchement vers lui l’air de rien.  Je fais semblant de ne pas la voir relire suspicieusement mon ordonnance à l’autre bout de la table.
Je  l’examine assis à la table, je fais écarter les bretelles, je regarde le dos et les jambes, je prends la tension, j’écoute le coeur et les poumons, je prends des nouvelles. Ca va, ça va, je ne tousse plus !
Je lui demande son ancienne ordonnance, il soulève la toile cirée. Entre le bois et le plastique, de vieux papiers, des enveloppes, et une demi-fortune en liquide, de liasses soigneusement alignées comme dans une boîte de Monopoly.
Pendant que je suis penchée sur ses poumons, j’entends glapir du bout de la table :

– Mais ! Mais elle m’a rien mis du tout ! Elle m’a même pas mis le Movicol et le Stilmox !

Prenons une plage.

7 juin, 2009

Un lecteur a laissé récemment, dans les commentaires, ce lien : http://www.stethonet.org/news/blues.php?cat3=4244

Merci à lui.
Prenez quelques minutes pour aller lire, et prenons, donc, une plage de la côte basque ;  je n’ai rien contre les basques.
Un vent force 7 et, voyons grand, dix mille personnes en train de se baigner.
Sur ces dix mille personnes, mille sont au delà de la ligne de sécurité. Les vagues y sont plus fortes, les courants plus pervers, et, statistiquement, elles ont toutes un risque de se noyer non négligeable.
A la lunette, un des CRS voit mille personnes en train de se potentiellement noyer.
Il se tourne vers son collègue et dit : « Boarf, Léon, allons plutôt nous en jeter une et mater les gonzesses ».

Ce qu’ils firent.  Dix personnes, qui étaient en train de commencer à effectivement se noyer, moururent.

Quatre se noyèrent bel et bien. Sur les six autres types, qui étaient partis pour se noyer en toute bonne foi, deux se firent piquer par un banc de méduses mortelles qui aimaient bien les plages basques, deux virent flotter non loin un vague bout de bois qu’ils prirent pour un aileron de requin et firent une crise cardiaque, un se prit un pot de bégonia sur la tête laché négligemment par un pilote de boing 747 qui n’aimait pas les bégonias, et le dernier, dépressif, décida de plutôt s’étrangler avec son slip de bain, puisqu’il était visiblement par trop quelconque de mourir par noyade sur cette plage-là.

Sur une autre plage, les CRS n’aiment ni les bières, ni les gonzesses, et sont bien déterminés à sauver les mille bougres. Aussitôt qu’ils les ont avisés dans leur lunette, ils appelent leur chef, qui envoie son escouade anti-noyade sur le coup.
Cint cenq zodiacs sur la rive font vrombir leurs moteurs, et se lancent à la rescousse des pauvres futurs potentiels noyés.

Pour les attraper et les faire sortir de l’eau, ils les happent avec le dernier super lasso électronique à tête chercheuse. Le lassotage est douloureux, violent, mais d’une efficacité redoutable. Bon, de temps à autres, la tête chercheuse passe à côté du noyé et ramène un espadon à la place, et, d’autres temps à autres, un faux contact électrocute le noyé. Mais c’est très rare.
D’autres fois, plus fréquentes, le lasso n’arrive pas à saisir les noyés par le torse, et les tracte sur le zodiac par ce qu’il a pu attraper, ce qui n’est pas sans conséquences malheureuses.
Mais les CRS le savent bien : ce sont les risques du métiers, et c’est avec fierté qu’ils ramènent 9 994 types bien vivants sur la rive, le SLEATC n’ayant certes électrocuté personne ce jour-là, mais ne pouvant rien contre les pots de bégonias les crises cardiaques et les méduses.
85 pénis seulement ont été sectionnés ; on les range soigneusement dans une boite en plastique pour les remettre à leurs propriétaires respectifs plus tard, histoire qu’ils puissent les enterrer avec les égards qui leur sont dûs.
Les CRS appelent leurs copains de la plage d’à côté, et se gaussent : ils ont 4 morts de moins sur leur plage à eux.

Pendant les 20 années qui vont suivre, l’escouade anti-récidive-de-noyade passera une fois par mois chez les 9 993 types restant (un dépressif dans le lot s’est jeté du troisième étage de son immeuble), pour leur balancer des seaux d’eau glacée sur la gueule en pleine nuit, et leur plonger la tête dans les toilettes histoire de leur apprendre à retenir leur respiration.
La télé-opératrice les appellera tous les jours à des heures variées pour leur rappeler qu’ils sont des noyés potentiels, et que, peut-être, un jour, ils se noieront dans d’atroces souffrances. Elle ajoutera « gniark gniark », parce que c’est sur son script, et raccrochera.

Surveillez la plage si vous voulez, moi je vais boire une bière.

Oh, mon, dieu.

31 mai, 2009

Il y a un accent circonflexe à côlon oO