Quelques indices…

30 juin, 2008

Elle vient pour un truc. Autre. Et puis quand même, elle signale qu’elle croit bien qu’elle est peut-être enceinte.
Voilà qui change la donne pour la gestion de l’autre truc.

– Ah ? Et qu’est ce qui vous fait penser ça ?
– Bin, j’ai arrêté ma pilule il y a 6 semaines, et j’ai pas eu mes règles il y a deux semaines.

(Mmm. Ok, t’as aussi le droit d’avoir des cycles par ARCHI réguliers juste après avoir arrêté ta pilule. Et puis certes, c’est possible, mais tu serais quand même dans le top ten des femmes les plus fertiles du monde)

– Mmm, oui, c’est possible d’avoir des cycles un peu irréguliers après l’arrêt de la pilule ; il y a d’autres signes ?

– Bin heuu…. J’ai des fois un peu le ventre qui tiraille…

– Oui…

– Et pis l’autre matin j’ai eu un genre de pesanteur dans les seins…

– Mmm-hmmm

Silence

Cliquetis de clavier

– Ah, et puis j’ai fait un test de grossesse la semaine dernière qui était positif aussi. 

– …
– …
– Ah. Bon. Ok. Oui, c’est un signe, ça, un peu, quand même….

Les cordonniers…

13 juin, 2008

En ce moment, dans ma patientèle, il y a quatre femmes de 32 à 34 ans en train de mourir d’un cancer du col de l’utérus.
Ca calme.
On a beau avoir appris les chiffres, on a beau savoir que c’est pas vraiment vrai que ça n’arrive jamais à cet âge-là, ça calme.

Je me suis dit : « Ma fille (oui, c’était un moment « Ma fille » ), c’est très rigolo de pouvoir se prescrire la pilule toute seule, et c’est très responsable d’engueuler toutes tes copines qui ne font pas leurs frottis régulièrement, mais là, quand même, neuf ans, t’abuses ».
Sitôt dit, sitôt fait ; à peine quatre mois après, je me décide à prendre rendez-vous en bas de chez moi.

Elle me demande mon adresse, elle me demande mes antécédents, elle me demande mon métier (chuis médecin), elle me demande de quand date mon dernier frottis (ahem).
Elle me fait déshabiller, elle me fait grimper sur sa chaise haute, elle me fait mon frottis, elle me fait descendre de la chaise, et elle me tend une petite lingette imbibée.
Ah tiens, je me dis. Bon, elle a pas mis TANT de gel que ça sur son spéculum, elle m’a pas tartinée, mais quand même, pourquoi pas.
Je me nettoie rapidement, donc.
Elle me fixe avec des yeux ronds, et me dit (je la cite texto) :
« Ah mais c’est pas pour la foufounette, ça, c’est pour les mains« .

Ah.
Oui.
Ahem.
Ok.
C’est vrai, tiens, ça brûle.

Le lundi, je travaille sur rendez-vous dans le cabinet du Dr Carotte.
Mais entre celui qui se pointe toujours avec 35 min d’avance, celui qui est en retard, celui qui vient pour prendre rendez-vous, celui qui vient parce qu’il ne sait pas, et le bon, le prochain, qui a vraiment rendez-vous à la bonne heure, il y a toujours deux ou trois personnes dans la salle d’attente.
Je fais un tour de salle, pour savoir qui est là pour quoi.

Elle, elle n’a pas rendez-vous.

–  Vous avez rendez-vous, Madame ?
– Non, mais ma fille qui travaille au garage m’a dit de venir. C’est pour ma bouche, dit-elle en pointant un index potelé sur son menton, c’est juste pour un antibiotique.

C’est « juste pour un antibiotique ».
J’adore.
L’autre jour, un gars m’a fait le même coup, c’était « juste pour un arrêt de travail ».
Je ne sais pas pourquoi on se casse le cul à voir les gens. On mettrait un distributeur dans la salle d’attente que tout le monde serait content.
Twix, 1 euro. Coca, 1 euro 50. Arrêt de travail, 22 euros. Paquet de chips, 80 centimes. Ordonnance, 22 euros.

– Ah, je suis désolée, mais je ne prends que sur rendez-vous aujourd’hui, et je n’ai plus du tout de place cet après-midi.

– Non mais je sais, hein, ils me l’ont dit quand j’ai téléphoné au secrétariat ! (Ok. Donc, tu sais qu’il n’y a pas de place, et tu viens quand même planter tes fesses dans un fauteuil de ma salle d’attente, façon couteau sous la gorge, en parfaite connaissance de cause). Mais je vous dis que c’est juste pour un antibiotique !

– Vous savez, tout le monde vient « juste » pour quelque chose. Je suis vraiment désolée que vous vous soyez déplacée pour rien, mais je ne peux pas vous prendre entre deux rendez-vous. Si je vous prends, je décale tous mes rendez-vous, et je fais attendre tous les gens qui ont pris rendez-vous justement pour ne pas attendre.

– Mais enfin écoutez, puisque je vous dis qu’il y en a pour cinq minutes ! Ma fille travaille au garage ! (Ca doit être un code, « Ma fille travaille au garage ». Je ne sais pas ce que le Dr Carotte a comme dette d’honneur envers le garage, mais ça a l’air drôlement important)

– Ecoutez, vous pouvez venir demain en consultation libre, vous pouvez prendre rendez-vous un autre jour, et si vous pensez que ça ne peut pas attendre, vous pouvez aller voir un autre médecin, mais je ne vais pas pouvoir vous recevoir aujourd’hui.

– Un autre médecin ! Mais c’est le Dr Carotte mon médecin traitant, je ne vais pas aller en voir un autre !
– Alors passez le voir demain si vous voulez. Aujourd’hui, ce n’est pas possible.

Elle se lève, visiblement excédée. Je crois qu’elle n’a jamais vu un affront pareil. On n’est pas habitué à une telle insolence, quand on est la mère de la fille qui travaille au garage.

– Pfff. Y en avait pour cinq minutes. Depuis le temps qu’on en discute, ce serait déjà fini depuis longtemps.
– Je ne prescris pas un antibiotique en cinq minutes.

Elle n’a pas entendu la fin de ma phrase, la porte a claqué avant la fin.
Et, effectivement, maintenant, j’ai 10 minutes de retard.

IRMa

19 mai, 2008

– Je viens vous voir parce que j’ai mal au dos. Et puis, pour vous montrer les radios de genoux et la prise de sang et l’échographie que vous m’avez fait faire la fois dernière. Enfin, je veux dire, c’était la remplaçante, elle m’a prescrit des radios de genoux. Et puis je me disais que pour mon genou, je me dis, il faudrait faire une IRM, non ?

–  Qu’est ce qui se passe avec vos genoux ? Pourquoi vous voulez une IRM ?

– Bin pour un contrôle. En fait, je me suis trompé la fois dernière, j’ai demandé des radios de genoux, mais en fait, c’est une IRM qu’on avait faite quand j’étais petit, mais moi je savais plus, je croyais que c’était des radios, alors j’ai demandé des radios. Mais du coup, c’est une IRM qu’il faudrait faire pour contrôler, non ? Ca m’embête un peu, parce que bon, je vous ai fait faire des radios pour rien…

– Non mais je veux dire, vous avez un problème aux genoux ? C’était quand, cette IRM qu’on vous avait faite ?

– Ooooh, c’était y a longtemps, hein ! Quand j’avais… heu… 14 ans peut-être ? Je me souviens plus. Ils avaient rien trouvé, mais il faudrait un contrôle, non ?

– Mais je veux dire, vous avez un problème avec vos genoux ? Vous avez mal ?

– Oh nonnonnon, j’ai pas mal du tout. Je voulais contrôler, c’est tout. On ne sait jamais.

Lézard

6 mai, 2008

Au début, on croit que la vie est simple. Binaire. Manichéenne.
Il y a les malades et les feignasses.

Dans le monde des feignasses, la vie est belle.
On fait passer un kyste synovial du poignet en accident de travail (J’vous jure Msieur l’Juge, j’étais au travail, tranquillement, à travailler, et pouf ! Rendez-vous compte !), on fait prolonger l’arrêt une première puis une deuxième fois, puis encore un peu par gourmandise, puis encore un peu pour la route, puis encore un peu mais c’est la dernière, et à la fin, on n’a pas travaillé pendant deux ans. Sept cent trente jours.
Pas parce qu’on a besoin de son poignet au quotidien, hein ! Non, on est agent de surveillance. Mais mettons qu’un jour on soit dans l’obligation de castagner un peu quelqu’un, on ferait mal son travail et on ne veut pas imposer une telle incompétence à la société…

Dans le monde des malades, la vie est une chienne.
Elle bosse tout ce qu’elle peut, parce qu’elle doit, parce qu’il faut bien, parce qu’elle n’a pas le choix. Elle enchaîne les boulots ingrats. En France depuis peu, elle n’a pas beaucoup de formation, beaucoup de courage et la certitude qu’un boulot, c’est précieux.
Oui, « Elle arrivait de Somalie, Lily », vous y êtes.
Il lui a fait des gentilles remarques au début (Bienvenue !!), puis il lui a effleuré les fesses, puis il l’a choppée dans un couloir vide. Et là, elle ne se sent pas d’y retourner. (Tu m’étonnes…)

Et en fait, il y a tout un monde, entre le monde des feignasses et le monde des malades.

Celui qui chiale parce que vous comprenez Docteur, il est étouffé par le quotidien et il aurait voulu faire autre chose, et le bilan de sa vie à son âge, hein, c’est pas ce qu’il aurait voulu, et lui il a besoin de s’épanouir, et pour s’épanouir, il a besoin de sortir et de voir des gens, et un travail comme ça ça l’aide pas à s’épanouir, et il en peut plus parce que c’est pas une vie tout ce quotidien, et là son arrêt de travail s’arrêtait ce matin mais il a pas eu la force d’y retourner parce que c’est pas tenable, voyez, rendez-vous compte…

Ah ?
Ah.
Ok alors moi on dirait que pour m’épanouir, j’aurais besoin que tu te taises pour commencer, pis j’aurais besoin de bosser deux jours par semaine en gagnant plein de sous à soigner des gens en bonne santé et de bonne humeur, pis j’aurais besoin de passer tout le reste du temps à jouer à Wow en fumant des clopes.
Comme quoi, hein…

Y a celle qui n’en peut plus d’avoir des horaires pareils, rendez-vous compte, 9h-18h TOUS LES JOURS, avec une heure seulement le midi, et même que l’autre jour ils l’ont fait travailler UN DIMANCHE, c’est pas possible des conditions pareilles,  on finit par craquer, forcément, rendez-vous compte.

Y a celle qui travaillait à la caisse et que sans crier gare ils l’ont mise au service des cartes, mais elle y connaît rien au service des cartes, elle a pas été formée, et elle était bien à la caisse, depuis 32 ans qu’elle y travaille, pensez, mais ils font ça à toutes les anciennes, pour les faire craquer et pour qu’elles partent avant la retraite, parce que forcément, elles leur reviennent plus cher que des jeunes, 32 ans rendez-vous compte, si c’est pas du harcèlement moral, pourquoi ils l’auraient changée comme ça de poste si c’était pas pour la forcer à partir, parce qu’au service des cartes c’est pas pareil et c’est exprès pour la faire craquer, pensez…

Je ne pense pas, moi. Je ne sais pas, je ne me rends pas compte de l’enfer du service des cartes.
Y a pas marqué prud’hommes.

Alors bien sûr, je suis censée convertir tout ça en médical. Chercher et trouver (ou pas) des signes tangibles d’à quel point c’est plus supportable. Des signes de surmenage, des signes d’anxiété généralisée, des signes de dépression.
Mais entre ceux qui en rajoutent des tonnes, ceux qui vous racontent une situation qui vous paraît terrible en serrant les dents et en disant que ça va, ceux qui vous racontent une histoire qui vous paraît trois fois rien en pleurant tout ce qu’ils peuvent, ceux qui mentent, ceux qui connaissent le système administratif mieux que vous, ceux qui dramatisent, ceux qui minimisent…
Allez faire la distinction entre le malade et la feignasse…
Peut-être que cette femme, ça la rend VRAIMENT malade, cette situation qui me paraît triviale ?

Elle est où, mon objectivité à moi, entre mon « sens clinique » et mon « intime conviction » ?
Quelle légitimité j’ai, moi, moi-être-humain avec mes propres limites, ma propre histoire, mes propres forces et mes propres failles, à décider de ce qui est ou pas une situation de travail intolérable ?
Parce qu’à force, c’est intenable à la fin toute cette pression permanente, voyez, c’est pas une vie à la fin, y a un moment où on craque rendez-vous compte…

« Stage chez le prat ».
Je suis encore interne, et je passe 6 mois dans le cabinet d’un médecin généraliste. J’assiste à ses consultations (facile), j’assure les consultations (ça va), il assiste à mes consultations (ça, c’est dur…).

Une mademoiselle N. vient nous voir. C’est une consultation à laquelle j’assiste. Dans le fauteuil de droite. Celui où j’ai appris à bailler en n’écartant que les narines d’un air concentré.
Je fais ça très bien.

Elle n’était pas venue depuis 2 ou 3 mois, elle a pris rendez-vous la veille. Lourde dépression dans les antécédents récents, elle est encore sous traitement. Elle s’asseoit.
« Alors, comment allez-vous ? »
Elle nous raconte. Ca va plutôt bien.
Elle raconte son job, elle raconte sa vie amoureuse, elle raconte ses enfants. Tout va plutôt mieux. Mon prat se réjouit de la voir sourire pour la première fois depuis 2 ans. Elle fait une blague, même, à un moment. Dont elle rit elle-même.
Physiquement, ça va plutôt bien aussi. On fait le tour des effets indésirables du traitement, rien à l’horizon. Elle raconte des choses anodines pendant toute la consultation. Elle donne des nouvelles de sa mère, elle demande des nouvelles du chien.
La fin de la consultation arrive, on se salue, elle signe un chèque, elle s’en va.

Elle est partie depuis 5 bonnes minutes quand je me demande « Heuuu… Et en fait, elle venait pour quoi ? »
On lui a même pas renouvelé son traitement, elle en avait encore pour deux mois.

Tu vois Marie, des fois, les gens viennent vraiment pour dire qu’ils vont bien.

J’ai passé quelques temps à assurer des consultations parallèles aux urgences.
Comprendre : vous venez aux urgences parce que ça fait trois semaines que vous toussez, ou parce que vous vous êtes cogné le petit orteil il y a 15 jours, ou parce que vous savez que c’est gratuit. (Ca ne l’est pas, hein, mais ça peut vite le devenir. Suffit de pas payer). Plutôt que de tripler le personnel d’accueil qui va s’épuiser à essayer de vous expliquer que vous n’avez rien à faire aux urgences, on colle un interne dans une petite salle à côté, on vous rebalance sur lui et tout le monde est content.

L’interne, parce que ça lui permet de faire ses premiers pas en presque-cabinet, seul face à face au patient.
L’hôpital, parce que ça fait autant de plaintes, de conflits et d’arrêt de travail pour surmenage en moins.
Vous, parce que vous l’avez, votre consultation sans-rendez-vous-sans-payer.

Ca a été extrêmement enrichissant.
Et extrêmement perturbant.

A la fin des six mois, j’allais de Oh mon dieu en Oh mon dieu.
Oh mon dieu, ça strouve, je suis raciste.
Oh mon dieu, ça strouve, je déteste mon métier.
Oh mon dieu, je suis trop mauvaise.

Prenons une minute pour nous replacer dans le contexte. Soins de proximité, immédiats, gratuits-pas-vraiment-mais-presque, pour tout ceux qui n’ont pas de médecin généraliste préféré sous le coude. Biais de sélection énorme. Pauvres, immigrés, sans couverture sociale, ne parlant pas français. Plein. Partout. Tout le temps.  Une salle d’attente pleine à craquer de déshérites.
Et bordel, il est déjà 11h30, et j’en ai encore 6 à voir avant midi.

J’ai fini par redouter la femme arabe de cinquante ans.
Je la voyais dans la salle d’attente que je la détestais déjà. Elle parle trois mots et demi de français. Des fois, pour me faire plaisir, elle ramène quelqu’un qui en parle quatre et qui fera office de traducteur. Elle est trop malade. Trop trop trop malade. Le chaud. Ca fait le chaud tout là tout là, jusque là dessus la tête.
Elle remonte la main au dessus de la moitié gauche de son corps. Le pied gauche le genou gauche la cuisse gauche la hanche gauche le sein gauche la tête et au dessus de la tête. Oui oui, elle a chaud au dessus de la tête. Cherchez pas. Et puis elle a les fourmis la nuit, ça gratte ça gratte ça gratte, elle peut pas dormir. Et puis c’est chaud chaud chaud, elle sue, elle trempe les draps. Et puis des fois elle a un trait sur le front, au milieu, et ça fait pffffff au milieu du front, comme ça, de gauche à droite, et elle est trop fatiguée. Et puis ses doigts sont bloqués bloqués, et elle veut la piqûre que sa cousine elle l’a eue une fois et qu’après elle était plus bloquée.
Elle n’arrive à répondre à aucune de mes questions. Elle me répète la même chose, toujours.
Elle est obèse, inexaminable. Elle met une bonne demi-heure à enlever ses 54 couches de vêtements. Elle m’appelle « ma fille » en souriant, merci merci ma fille.

Je viens donc de passer au bas mot 20 minutes pour réunir des informations incompréhensibles et inexploitables. La chauderie hémicorporelle gauche avec paresthésies et pffffiouterie du front, moi, je connais pas.
Quand j’essaie de décomposer, de rationaliser, de m’obliger à ne pas caser tout de suite tout ça dans la case « Elle me les brise », j’attrape des sueurs froides. Tumeur cérébrale, dysthyroïdie, AVC, tuberculose, gale, lymphome, ménopause, maladie systémique bizarre avec symptômes à la con… Tout s’embrouille. Ca peut n’être rien, ça peut être tout, et je ne comprends rien à ce qu’elle me raconte et j’ai encore 5 patients à voir avant il y a 20 minutes.

Plus je ne comprends rien et plus je lui en veux.
Plus je lui en veux et plus je deviens agressive.
Plus je deviens agressive, plus je deviens mauvaise.
Plus je deviens mauvaise, plus je m’en veux.
Plus je m’en veux, plus je lui en veux, et la boucle est bouclée.
Allez hop, tu vas me prendre 7 gouttes de Rivotril avant de dormir et s’il te plaît, quand ça ne marchera pas, reviens quand ce ne sera pas moi.
La honte.

Il doit y avoir un truc culturel. Auquel je ne suis pas habituée.
Les occidentaux, ils sont gentils et disciplinés. Ils ont le bon goût d’avoir des lombalgies, ou des colopathies. Des trucs dont j’ai entendu parler à la fac, et que je traite à grands coups faciles de médicaments probablement inadaptés mais recommandés noir sur blanc dans mes jolis cours.

Bon, c’est très faux, hein.
Il y a des tas de pfiouterie au milieu du front chez de bons français bien blancs, avec qui je suis tout autant mauvaise. Mais quand même, la chauderie hémicorporelle gauche, c’est très fréquent chez les femmes arabes obèses de cinquante ans. Et les lombalgies, c’est très fréquent chez les femmes françaises obèses de cinquante ans. Et je pense qu’il y a des tas de symptômes occidentaux qui sont du même ordre que la chauderie, sauf qu’on a appris à les mettre derrière des mots, des diagnostics et des traitements bien établis. Et que du coup, je suis probablement aussi mauvaise avec eux, sans même le savoir. Ce qui est peut-être encore pire.

Perturbant, vraiment.

Aide toi

23 mars, 2008

Je ne pratique pas l’art de la divination.
La seule chose que je peux lire dans vos entrailles, c’est qu’il est déjà trop tard.
J’aimerais bien, notez. Mais à la fac, j’ai pris option « Ethique médicale », et on ne peut pas tout faire.
Alors des fois, j’aimerais bien que vous m’aidiez.
Juste un peu.

Mesdames, par exemple. Que je puisse vous prendre par surprise au point de vous faire perdre la mémoire quand je vous pose des questions incongrues alors que vous venez pour une bête douleur de ventre, je peux le concevoir.
Mais quand vous venez pour un retard de règles, quand même, ce serait gentil de connaître la date de vos dernières règles.
Et quand je vous demande combien votre enfant prend de biberons par jour, la réponse « Oh, je ne compte pas vous savez » ne m’aide que très moyennement.

Je ne sais pas, moi, tentez quelque chose, au hasard, au culot. Une approximation, une estimation grossière, une moyenne, mais un chiffre, quoi.

Je m’en rends bien compte, ce n’est pas très Petit Prince, tout ça. Ca fait très grandes personnes. Mais s’il vous plaît, s’il vous plaît, on veut des réponses avec des numéros dedans.
« Souvent » ne m’aide pas quand je demande combien de fois par semaine ou par mois ça arrive.
« Oh, un moment » ne m’aide pas quand je demande depuis combien de temps ça dure.

Sinon, moi, je me rebelle et je vous fais des ordonnances avec  » 1 comprimé quelques fois par jour pendant quelques temps ».

Ordonnance que vous penserez à amener au prochain médecin que vous verrez pour un second avis.
Parce que lui, quand vous lui direz que mon traitement ne marche pas, et que vous voulez autre chose, comment, mais COMMENT voulez-vous qu’il fasse quoi que ce soit pour vous si tout ce qu’il sait, c’est que vous prenez « un sirop » ? Comment vous vous imaginez que ça se passe ?
« Oh, bah si un sirop ça marche pas, on va essayer une gélule, alors... » ??

Au fait, c’est la même chose pour « un antibiotique », hein.
On s’en cogne, de savoir que vous prenez un antibiotique.
C’est à peu près aussi utile que de savoir que vous prenez un sirop.

Alors très sérieusement, maintenant, un MESSAGE DE SANTE PUBLIQUE :

Soit on est capable de donner tout son traitement de tête, sans oublier un médicament et sans oublier les posologies ni la durée du traitement, soit on a toujours sur soi une fiche cartonnée avec la liste de ses médicaments.

Si vous avez une mère ou une grand-mère qui n’a plus toute sa mémoire, vous savez ce qui vous reste à faire.
Le prochain médecin qui la verra aux urgences construira un petit autel avec des bougies en hommage autour d’une photo de vous.
Et potentiellement, vous, vous sauverez la vie de votre grand-mère.

Je déteste les parents.

Bon, pas tous TOUS.
Pas les miens, d’abord, ce qui est déjà un bon point. Mais ma collection personnelle de catégories de parents détestables s’agrandit de jour en jour. Je déteste, en liste non-exhaustive :

Ceux qui parlent à la place.
De leur enfant, qui a 7, ou 10, ou 15 ans. Exactement comme, petite, je détestais les médecins qui posaient les questions à ma mère, alors que j’avais 8 ans, des oreilles, un cerveau, une langue, et les connexions appropriées entre tout ça pour que ça fonctionne déjà à peu près correctement.
– Quel âge tu as ?
– Il a 5 ans.
– Où est-ce que tu as mal ?
– Il a mal au ventre, hein chéri tu as mal au ventre ? Et depuis hier, il me fait de la fièvre. Déjà qu’il vient de me faire une angine !
On jurerait que ce sont les amygdales de la dame qui sont en feu. On n’a pas idée, d’avoir 8 ans et de faire souffrir sa mère comme ça.

Ceux qui mentent.
Il a de la fièvre depuis trois ou douze ou vingt-quatre heures. Ou alors, il a mal au ventre depuis 9 jours. Je prends sournoisement mon ton innocent pour demander ce qu’en a dit son médecin habituel, avant qu’ils ne viennent aux urgences.
Heuuu, bin, on est pas allé le voir parce que :
> Il est pas là.
> Il est pas là.
> Il est en vacances.
> Il est pas là.
> Il avait plus de place.
> Il est mort.
> Il est pas là et puis d’abord il avait plus de place. D’ailleurs, je crois même qu’il est mort.

Ceux qui ne mentent pas.
Il a de la fièvre depuis trois ou douze ou vingt-quatre heures. Ou alors, il a mal au ventre depuis 9 jours. Je prends sournoisement mon ton innocent pour demander ce qu’en a dit son médecin habituel, avant qu’ils ne viennent aux urgences.
On n’est pas allé le voir, parce que :
> Il avait pas de place avant ce soir à 19h, et moi, ce soir, je peux pas l’amener.
> On voulait qu’il soit vu plus vite
> On voulait voir un spécialiste (pas de bol, moi, je suis interne. Encore moins qu’un généraliste, imaginez un peu…)
> On veut une radio
> On vient ici tout le temps ! (Ah bah ça va alors !)
> On l’ a déjà vu hier mais le traitement ne marche pas ! (ce qui nous amène brillamment à la catégorie suivante)

Ceux qui attendent de moi que je pallie leur incompétence.
L’enfant a été vu la veille, on a posé un diagnostic, proposé un traitement, oui mais :
– Il veut pas le prendre, l’antibiotique ! (Il veut pas le prendre… La phrase me laisse toujours songeuse…)
– Il se débat trop quand on veut le moucher (Et donc ? Je dois inventer un nouveau traitement super plusse mieux qui ne nécessite pas de le moucher ?)
– Il veut pas boire la solution de réhydratation que vous avez donnée, il veut que du coca ! (Bougez pas, je dois vous présenter quelqu’un…)

Leurs cousins germains.
Qui me laissent me débattre seule avec leur furie de môme qui me donne de joyeux coups de poings, qui le maintiennent avec le tonus d’une nouille cuite, et qui ricanent : « Huhu, c’est toujours comme ça chez le médecin« .

Et, en première place, indétrônés à ce jour, ceux qui disent, au choix :
– Sois sage ! Ou la dame va te faire une piqûre ! (Heuuu, bin oui, peut-être bien. Mais c’est à dire que j’ai quelques autres critères qui passent juste un peu avant sa sagitude…)
– Allez, ouvre la bouche ! La dame va te donner un bonbon ! (Heuuu…. Non ?)
– Je te promets qu’il n’y aura pas de piqûre (Heuuuu… Bin si, là)
– Je te promets que ça fait pas mal ! (Heuuu… C’est à dire que si, un peu, quand même…)

Autorité médicale

12 janvier, 2008

Internat, urgences pédiatriques.

Elle nous amène sa fille, deux ans à peine, parce qu’elle a mal au ventre.
Elle a mal au ventre parce qu’elle est constipée.
Après l’examen, quand j’ai bien palpé le ventre dans tous les sens (et vas-y que je masse), la petite a envie de faire caca. Et elle fait caca. Et elle n’a plus mal au ventre.
L’imposition des mains, ça s’appelle.
Les amis, y a pas, je suis trop forte.

La mère me dit, sur le ton dont on se plaint du temps qu’il est pas beau ou des impôts qu’ils sont trop chers :
« Vous savez, elle est souvent constipée. Mais forcément, elle mange queeeuuu des bonbons… » Levant les mains au ciel : « Tooooooooute la journée !!!« 

Genre la gamine est atteinte d’une maladie génétique orpheline qui lui fait pousser des bonbons à même la bouche.
Je me moque, je me moque, mais c’est vrai, ils sont pas faciles à cet âge là.
Ils vous disent « Moumou je t’aime » pour endormir votre méfiance, et dès que vous avez le dos tourné, ils vous chourrent les clés du scooter pour aller acheter des Dragibus au Champion.

Et quand je dis que bah oui, forcément, les bonbons toute la journée, ça aide pas, elle se tourne vers sa fille, me pointe du doigt et dit :
« Aaaah ! Tu vois ? Tu écoutes, ce que dit le docteur ? »

Deux ans, la gamine.
L’autorité médicale, y a qu’ça d’vrai.