(*Jeudi, une manif de fleurs.)**

Je continue ma croisade pro-pénis.
Après le salutaire message « Foutons la paix aux prépuces des petits garçons », je voudrais le dire : « Foutons la paix aux pénis des grands ».

Messieurs, révoltez-vous contre la gent féminine qui froisse le nez. Vous n’avez pas à vous laver les mains après avoir fait pipi.
Voilà. La peau de la verge, c’est pas plus dégueu que votre cuir chevelu. Sans doute moins dégueu, même.
En terme de microbes, j’entends, hein.
En terme de sensibilité, après, tout le monde fait avec la sienne.

Mais d’un point de vue purement médical :
– l’urine, c’est stérile. Sauf si vous avez une infection urinaire, mais passons. Et par ailleurs, si vous vous débrouillez correctement, vous n’êtes pas censés vous pisser sur les mains.
– la peau du pénis, c’est à peu près autant couvert de microbes que la peau tout court de n’importe où ailleurs.
– la peau du pénis, c’est beaucoup moins plein de microbes que l’anus ou le vagin qui sont de façon naturelle et non pathologique pleins de microbes qui vivent en harmonie en se roulant dans la rosée du matin sur fond de symphonie pastorale (sauf si vous avez une infection, encore une fois : ça devient tout de suite beaucoup moins harmonieux, mais passons.)
– la peau du pénis, c’est beaucoup moins plein de microbes que votre salive ou votre nez.

Donc :

– on se lave les mains avant de manger (pour pas bouffer les microbes qu’on a forcément paluchés à un moment ou l’autre)
– on se lave les mains après avoir fait caca, ou après avoir fait pipi si on est une femme (cause que c’est pas loin du vagin)(si y restait du papier toilette et qu’on s’est essuyé)
– on se lave les mains super souvent si on est malade (on se mouche, on tousse, on se gratte le nez : on se couvre les mains de microbes)
– on se lave les mains un coup de temps en temps en temps normal parce que la vie c’est les microbes et qu’y en a partout de toute façon.
– on se lave les mains dans les toilettes publiques, rapport que la poignée est pleine de femmes et de gens qui font caca.  (et après on sort des toilettes, donc on re-rentre pour se re-laver les mains, puis on ressort et on re-re-rentre, et à la fin on bouffe sa bavette-échalotes froide. Donc on commande un tartare, et on chope un ver solitaire. En fait y a pas d’issue, nous sommes cernés.)

Si Madame vous les brise, exigez d’elle qu’elle se lave les mains à chaque fois qu’elle se touche la joue, qu’elle se remaquille ou qu’elle s’entortille les cheveux autour des doigts.

C’était un message de santé publique. (mais y a un autre post un peu moins stérile (uhuhuh) qui devrait venir dans pas longtemps)

Et les liens des gens qui l’ont dit bien avant moi :
sur Tatoufaux, la perle qui recense les idées reçues de tout poil.
– pour le décalottage : Winckler ici, et Naouri là.
Le marron c’est la terre du chemin.

PS : oh, et tant que j’y suis : on se lave pas l’intérieur du vagin non plus. Sinon on fout le bordel dans la symphonie pastorale, on met le chaos dans le bel équilibre microbien et on se colle une infection qui serait jamais passée par là si on avait pas été autant flippée d’en avoir une.

** J’ai des références obscures si je veux.

Toinette et Argan

22 novembre, 2010

Je vous avais déjà parlé de la prise rituelle de la tension artérielle, ce truc inutile sept fois sur dix mais auquel il faut quand même faire semblant de s’intéresser, sinon le docteur « il m’a même pas pris la tension ».
Et bien sachez que son équivalent pédiatrique existe. Pardon si je fais un peu monomaniaque de la pédiatrie en ce moment, mais il fallait que j’en parle.

Chez les petits, on est dispensé de tension, soit, mais il faut s’occuper DES DENTS.
Semblerait que les Dents, c’est le truc qui réveille les parents la nuit. J’imagine que c’est la compet’ à la sortie de la crèche. « Moi il vient de faire sa quatrième. Et le vôtre ? »
Les Dents, c’est l’explication ultime de tout et n’importe quoi, et c’est l’obsession des mamans.
J’ai deux problèmes principaux avec les dents.

Le premier, c’est que ça passionne les parents, et que moi, ça m’intéresse à peu près comme un sketch d’Elie Kakou.
Que les choses soient claires et nettes dès le début : je ne sais pas prédire l’éclosion d’une Dent deux semaines et demi avant. Pire que ça : je n’ai pas envie d’apprendre. Je m’en cogne. On s’en cogne de savoir si votre petit a une, deux, quatre ou six Dents en préparation. Vous avez déjà vu un adulte chez qui les Dents n’ont jamais poussé ? Bin voilà, moi non plus. Elles vont pousser, ses Dents. Il va finir par en avoir un nombre honorable, comme tout un chacun.

Quand une mère me dit : « J’ai l’impression qu’il fait une Dent, au milieu en haut y a un petit point blanc, vous pourrez vérifier ? » ou « Il est grognon en ce moment, la nounou m’a dit qu’il devait faire une Dent, vous me direz ? », je me transforme illico en homme politique qui essaie de vous expliquer pourquoi vous croyez que vous payez deux fois plus d’impôts que l’année dernière mais qu’en fait non.
« Ouiiiiiiiiiiii, effectivemeeeeeeeent, il y a un petit quelque chose, mais bon on ne sait pas quand ça va sortir, hein, parfois c’est trompeur, ça peut être dans deux jours comme ça peut être dans deux semaines ou deux mois… Ça varie beaucoup d’un bébé à l’autre vous savez… »
J’ai rien senti, hein. Votre mioche, il a ouvert la bouche deux secondes trois quart, et j’étais occupée à chercher une fente palatine. Je ne saurais même pas à quel âge on est censé avoir sa première dent si ma sœur doublement mère ne m’avait pas rencardée. D’ailleurs, entre le moment où elle me l’a dit et le moment où j’écris ces mots, j’ai oublié.
J’ai bien l’impression que certains médecins savent, au demeurant. Quand je vois dans les carnets de santé « Deux dents », sérieux, je suis épatée. Je ne vois que trois hypothèses :
– soit le type a menti, comme moi, mais c’est quand même beaucoup plus gonflé de l’écrire noir sur blanc que d’embrouiller oralement les parents de circonlocutions hasardeuses et contradictoires,
– soit le type a répété ce qu’a dit la mère « Il a fait sa troisième Dent la semaine dernière ! » pour crâner devant les collègues qui liront le carnet de santé après lui,
– soit y en a vraiment qui savent compter les dents, et qui le font. Mon plus grand respect à eux.

Mon deuxième problème Dentaire, c’est les mythes et les légendes que des siècles d’incompétence relationnelle médicale ont fait fleurir autour des quenottes.
C’est trop compliqué probablement, de dire à des parents qu’on ne sait pas exactement pourquoi le petit a de la fièvre / de la diarrhée /le nez qui coule / les joues un peu rouges / les fesses un peu rouges / une tendance à être grognon depuis quelques jours. Qu’il y a des tas de virus qui donnent un peu de fièvre, que l’examen est rassurant, qu’on ne peut pas dire ce que c’est exactement mais qu’on sait tout ce que ce n’est pas, et que c’est souvent bien suffisant en médecine. Qu’il y a des tas de moments où le transit se dérègle un peu et que c’est la vie. Que l’érythème fessier du nourrisson, des fois ça vient, des fois ça part, que c’est comme ça, que ce n’est pas forcément expliqué ou causé par quelque chose.

C’est chiant, hein, de dire qu’on ne sait pas.
Alors on sait. C’est les dents.
Fastoche, implacable, rapide, efficace. Les parents vous gonflent avec une question un peu naïve au sujet d’un truc sans importance ? Y a du monde dans la salle d’attente ?
C’EST LES DENTS, vous dis-je !

Et puis moi je passe derrière, à essayer de dire aux gens que la fièvre, c’est très fréquent, que les dents, c’est à un moment ou l’autre inévitable, qu’inévitablement des phénomènes courants vont être amenés à survenir simultanément, et que la simultanéité et la causalité, c’est pas tout à fait la même chose, le tout en essayant de garder intactes l’image de – et la confiance accordée à – mon prédécesseur dentophile.

Alors oui, bien sûr, c’est pas un bien gros drame, de dire aux gens que c’est les dents. C’est un petit mensonge, c’est parfois pour la bonne cause, c’est parfois parce qu’on sait que les parents vont mieux comprendre cette explication et en être davantage rassurés qu’avec mes envolées lyriques de sauveuse du monde qui est meilleure que tout le monde sur la simultanéité et la causalité.
Moi aussi, j’ai mes petits mensonges (ne serait-ce que vingt lignes plus haut, quand je n’arrive pas à me résoudre à dire « Je sais pas compter les dents et jm’en fous »), j’ai mes petits raccourcis faciles, et je ne me permettrai pas de jeter la pierre.
Mais voilà, fallait que ça sorte, bordel : c’est pas les dents.

Merci aux courageux

17 novembre, 2010

Hop.

Comme je suis une grosse feignasse, mais que ça mérite quand même largement d’être dit, et que j’ai des supers copains qui se sont cassé les bouclettes à ma place…
Concernant l’histoire qu’en plus de les traumatiser avec les chats, les crudités, la mayonnaise, la viande, les œufs, la charcuterie, le CMV, les crustacés et la lune en mars, on s’en va culpabiliser nos femmes enceintes avec le Doliprane :

– y a mon ami Borée qui en parle ici

– y a mon amie aux yeux ouverts qui en parle là. (Elle commence son article par « Non mais c’est quoi cette psychose », ça vous donne un indice.)

– y a mon ami le CRAT qui en parle aussi. J’en profite pour un tip au femmes enceintes / allaitantes : le CRAT est votre ami. Si la notice du médicament dit un truc, si le médecin dit un truc, si le pharmacien dit un truc et que le CRAT dit autre chose : c’est le CRAT qui a raison.
Pas possible de vous mettre le lien direct, tapez « Doliprane » dans le moteur de recherche, vous trouverez la mise à jour que je vous copie sauvagement ci-dessous.

    Une étude publiée dans Human Reproduction jette le trouble sur une éventuelle augmentation des cryptorchidies chez les enfants dont les mères ont pris du paracétamol et d’autres antalgiques légers en cours de grossesse.

  • Cet article comporte trois parties : une étude épidémiologique, une expérimentation animale in vivo et une autre ex vivo.
  • L’étude épidémiologique a été réalisée par interrogatoire de femmes enceintes au 3ème trimestre sur leur consommation d’antalgiques au cours des deux 1ers trimestres de grossesse. Les garçons ont ensuite été examinés à la naissance à la recherche d’une cryptorchidie.
    • La fréquence des cryptorchidies n’est pas significativement augmentée chez les femmes ayant consommé un antalgique en cours de grossesse, ni chez les femmes ayant consommé spécifiquement du paracétamol, de l’aspirine ou de l’ibuprofène.
    • Les cryptorchidies ne sont pas augmentées par la prise de paracétamol au 1er ni au 2ème trimestre (l’étude n’inclut pas le 3ème trimestre).
    • Ce n’est que chez les enfants des mères ayant pris du paracétamol pendant plus de 15 jours au 1er et au 2ème trimestres que l’on retrouve une augmentation des cryptorchidies à la naissance. Aucune information sur leur sévérité, ni sur leur évolution n’est fournie (alors qu’elle est spontanément favorable pour une grande proportion entre l’âge de 1 et 3 mois).
  • Le nombre important de données manquantes dans la partie épidémiologique et la méthodologie insatisfaisante, doublée de résultats non concluants pour les parties expérimentales, ne permettent pas d’établir à ce jour un lien de causalité entre la prise de paracétamol en cours de grossesse et une augmentation de la fréquence des cryptorchidies.
  • Le bénéfice du paracétamol en cours de grossesse reste au 1er plan, quel que soit le terme de la grossesse

Voilà.
Mangez du Doliprane et faisez l’amour.

Le fax est cassé, bisous !

26 octobre, 2010

On lit des choses passablement déprimantes sur l’avenir de la médecine générale, ces temps-ci.
Que tout va foutre le camp ma bonne dame, que la sécu va péter, que les médecins partent à la pelle et ne seront pas remplacés, que le système de soins va s’écrouler.
Que ça va être le chaos, que ça va être la guerre, que les petits vieux mettront des coups de cannes aux petites vieilles pour leur voler la place chez le médecin, qu’il faut tout ré-inventer avant de nous retrouver assis sur un tas de cendres. Tout reconstruire. Rien que ça.
Moi qui ai la flemme d’aller acheter un canapé…

Ça m’emmerde passablement. J’ai eu mon lots d’emmerdements, j’ai eu mon lot de réformes à éponger (les « années test », c’était toujours pour ma gueule…), j’ai mangé mes 9 neuf ans d’étude, j’ai fait ma jolie course d’obstacle en bon petit poney appliqué. Si c’est pour passer enfin la ligne d’arrivée à l’aube d’Hiroshima, je dois avouer que sur sur une échelle de 1 à 10, ça ne me fait pas chier qu’à moitié.
Le truc, c’est qu’ j’ai pas d’idée M’sieurs Dames. Pire que ça, j’ai pas d’opinion. Les syndicats, les débats sur la sécu, sur les ministres, sur les finances, ça m’en cogne une sans bouger l’autre. J’ai pas appris à penser à si grande échelle. J’ai essayé d’apprendre à soigner les gens et à m’occuper de mes malades, et c’est déjà bien assez dur comme ça. Vous m’excuserez de ne regarder que mes pieds ; c’est que si je ne les regarde pas, je trébuche et jme casse la gueule.
Je sais bien que j’ai tort. Je sais bien. S’occuper de ses malades, c’est bien joli, encore faut-il vivre dans un système qui le permet, et encore faut-il se battre pour ça. Je sais.
J’aimerais être de celles qui vont au front, de ceux qui mènent la bataille ; je pense que je ne suis simplement pas taillée pour.

Alors à mon petit niveau, grimpée sur ma petite échelle, je vais faire comme d’habitude : je vais vous parler de mon petit nombril et vous raconter pourquoi moi, je ne m’installe pas encore.

1) Je ne m’installe pas parce que j’ai pas ma thèse, de une. Ce qui, vous me l’accorderez, est une raison à part entière. J’ai beau twitter régulièrement des offres alléchantes « Achète thèse de médecine générale, même médiocre. Bon prix. PS : je couche. » , j’ai beau attendre de voir si elle serait pas livrée en cadeau bonus avec les 10k points de hauts-faits sur Wow, j’ai beau attendre de voir si par hasard elle s’écrirait pas toute seule vu qu’elle me doit bien ça, cette salope, le constat reste le même : j’ai pas ma thèse. Hop.

2) Je ne m’installe pas parce que pour le moment, j’adore absolument ma façon d’exercer. Pour le moment, je fais des remplacements fixes : tels jours chez le Dr Carotte, tels jours chez le Dr Cerise. Et c’est assez simple : j’ai tous les avantages de l’installation et aucun de ses inconvénients.

– Je n’ai pas à courir à droite et à gauche, me réhabituer à chaque fois à une nouvelle façon de faire, à un nouveau logiciel, à de nouveaux patients, essuyer leurs regards déçus et surpris, recopier des ordonnances avec lesquelles je ne suis pas d’accord parce que ça ne sert à rien d’essayer de révolutionner une affaire qui se passe sans moi. Bref, je n’ai pas à prendre de train en marche.
– J’ai ma patientèle, à moi, de gens que je suis et que je revois régulièrement. Les gens qui veulent me voir, ils savent quels jours venir, et ils viennent ces jours là. Je les suis, sur la durée, en vrai. Je peux construire des choses avec eux, comme un vrai docteur qui a sa plaque dorée sur le pas de la porte.
– Je ne gère absolument rien. C’est d’un repos indécent. Le loyer, la femme de ménage, le secrétariat, les emmerdes avec la sécu : repos. Quand le fax est cassé, je prends un post-it, j’écris « Le fax est cassé, bisous ! » et je le colle sur le fax. Ou alors « Il n’y a plus de formulaires de demandes d’ALD, il faudrait en commander, bisous ! ». J’ai deux chèques par mois à encaisser, je n’ai pas besoin d’avoir un compte professionnel à la banque. Les impayés (les chèques sans provision, ou le bon quart des consults CMU que la sécu ne paiera jamais) c’est le médecin que je remplace qui me les paye de sa poche. (Ouais, je sais, c’est dégueulasse)
– Parce que les médecins que je remplace sont fabuleux, je ne suis jamais seule. Quand un dossier est difficile, je peux leur en parler. Je peux suivre leur travail, je peux voir ce qu’ils font, je peux continuer à apprendre en toute sécurité. Quand un patient me gonfle, je peux lui suggérer habilement de revenir plutôt les jours où je ne suis pas là. Quand une situation est merdique, je sais que j’aurai une autre paire d’yeux pour m’aider à la gérer.
– Je n’ai aucun engagement. Si après-demain, l’envie me prend d’aller remplacer 6 mois en Martinique pour plonger et me pogner la gueule au Ti Punch, je peux. Bon, ça n’arrivera pas parce que les médecins que je remplace sont fabuleux, et que je ne leur ferai pas ce coup-là, mais sur le principe, je peux. ((Corollaire : ils peuvent aussi me dire après-demain qu’ils n’ont plus besoin de moi et que je dois arrêter de les remplacer. Ils ne me feront pas ce coup-là parce que je suis fabuleuse, mais sur le principe, ils peuvent.))
– A l’heure où ma vie personnelle n’est pas encore construite, je ne m’enchaîne nulle part. Si mon amoureux de demain habite à Marseille, je peux aller poser ma plaque à Marseille.
– J’ai le confort monumental de bosser à mi-temps. Et encore, un petit mi-temps. Et ça, pour jouer à Wow écrire sa thèse, c’est quand même le luxe absolu. Pour aller à la banque / chez le coiffeur / à la poste aussi.
– Bosser à mi-temps, ce n’est pas confortable que pour aller à la poste. C’est aussi confortable pour prendre le temps de faire ses demande d’ALD au calme, rappeler les patients pour prendre de leurs nouvelles, organiser une hospitalisation, se renseigner sur le syndrome de Drogfur Marlingbourg qu’une patiente nous a sorti de derrière les fagots, se restaurer après une journée trop remplie et attaquer la suivante sereinement. Je suis hyper admirative des médecins qui bossent à temps plein et qui continuent à faire du bon boulot sans finir par avoir envie de prendre un patient pour taper sur l’autre.
– Oui, je gagne suffisamment ma vie. Certainement pas pour longtemps, certainement pas assez pour une vie de famille, mais pour ma vie d’étudiante attardée qui n’a guère d’autres dépenses que ses sorties, ses clopes et sa connexion internet, c’est tout à fait assez.

Alors, oui, si je m’installais, j’aurais la fierté d’avoir un joli ordonnancier à mon nom et une jolie plaque dorée dans la rue. Je les prendrais en photo et je les enverrais à Maman. Jusqu’ici, je m’en passe.
Alors oui, si je m’installais, je mettrais ce que je veux dans la salle d’attente, je m’organiserais comme je veux, j’aurais des gants à ma taille et de quoi faire des frottis. Mais encore une fois, il suffit de bien choisir les gens qu’on remplace pour que leur système colle à peu près au nôtre.
Alors oui, si je m’installais, je n’aurais plus à entendre « Ah… C’est pas le Docteur Carotte aujourd’hui… Bon… Bin comme je suis très malade, je vais venir quand même, hein… »

Que les choses soient claires : oui, à terme, je veux m’installer. Je veux tout ça. La plaque dorée, MES patients encore-plus-à-moi, mes règles, mon organisation. Et à terme, plus que des Mme Pouteau.
Mais j’ai le temps.
La vie m’a suffisamment gâtée jusqu’à présent, je sais qu’un jour elle m’amènera des choses qui me donneront envie de me poser, là et pas ailleurs, avec ces gens-là et pas d’autres.
Pour le moment, j’ouvre grand les yeux, j’apprends et j’attends.

Pauvres pécheurs

25 septembre, 2010

Allez, un post rapide, juste pour énerver ma sœur.

L’autre jour, je reçois une jeune patiente, 23 ou 25 ans peut-être, avec son tout nouveau bébé.
Une petite fille qu’elle m’amène à deux semaines de vie, et qui a patienté sagement 2 bonnes heures dans ma salle d’attente, sous le regard placide et dans les miasmes des huit patients d’avant qui devaient se dire par devers eux qu’elle avait qu’à faire la queue COMME TOUT LE MONDE et que eux aussi ils en avaient marre d’attendre et que de toute façon donner des sous aux clochards si c’est pour qu’ils s’achètent à boire merci bien ma bonne dame mais trop bon trop con.

Bref.
Comme toujours, je commence par prendre des nouvelles de la maman : l’accouchement, le moral, la rencontre avec l’enfant, tout ça. Parce qu’en 2010, une jeune mère se doit d’être dégoulinante de joie et de bonheur sur fond de symphonie pastorale dans la rosée du matin, et elle doit trouver sa fille magnifique sinon c’est une mère indigne parce que l’instinct maternel c’est pas pour les cochons. À la rigueur, elle a parfois le droit d’être un peu fatiguée mais seulement avec décence.
Du coup, je prends toujours nouvelles. Au cas où.

Pour cette maman-là, ça ne s’est pas si bien passé. Malformation digestive découverte chez le bébé à l’écho du 3ème trimestre, hospitalisation pendant toute la fin de la grossesse pour d’autres raisons, début du travail un peu prématuré à 34 semaines, césarienne en urgence et départ immédiat de la petite pour le bloc opératoire où on a réparé la malformation digestive qui l’aurait empêchée de s’alimenter. Si je peux me permette un avis de non-maman, ça me paraît quand même un peu hard à avaler, surtout pour une si jeune femme et pour une première grossesse.
Malgré ça, les choses se passent bien. La mère réussit à tenir le coup, le père aussi, la rencontre avec leur fille se passe bien, et tout ce petit monde réussit même l’exploit d’un allaitement maternel exclusif (en dépit d’un personnel hospitalier qui penchait plutôt pour un allaitement au biberon histoire de pouvoir mesurer le nombre de décilitres ingurgités quotidiennement). Bref, tout roule.

Évidemment, un bébé un peu prématuré opéré à J1 d’une malformation digestive, vous vous doutez qu’on surveille le poids attentivement. À la PMI, en l’occurrence. Et là, comme je m’apprête à pourrir la PMI, je préviens histoire qu’on ne me tombe pas dessus : je n’ai rien contre les PMI. Les PMI sont gentilles, les PMI sont belles, les PMI sont mes amies. Des fois on y fait du bon boulot. Là, juste, non. Ça aurait pu être un médecin, ça aurait pu être un pédiatre, ça aurait pu être pas mal de monde vu le niveau général de la connaissance de l’allaitement maternel chez les soignants en France.

Bref, ma patiente se présente régulièrement à la PMI pour faire peser sa petite, avec son allaitement maternel qui se passe bien, ses seins qui vont bien et sa petite qui prend du poids très honnêtement, en tétant un peu comme elle veut quand elle veut, avec une maman qui donne un peu le sein comme elle veut quand elle veut, sans que personne ne souffre de pleurs, de douleurs ou de problèmes de sommeil ou de surmenage quelconques.
Mais, tenez-vous bien le scandale est à vos portes, la mère allaitait PLUS DE DIX MINUTES PAR SEIN !

Alors, ils lui ont fait comprendre, à la PMI… C’est mal de donner le sein plus de dix minutes de chaque côté, malheureuse ! Et qu’elle allait avoir des crevasses et que ses seins allaient finir par brûler dans les feux de l’enfer pour l’éternité et que ce serait bien fait pour eux. Et qu’il fallait laisser TOUJOURS au moins deux heures entre deux tétées. Parce que la gourmandise est un péché aussi, on ne le dit pas assez, et que ça allait faire un enfant capricieux.
Bien embêtée, ma patiente, parce qu’en deux fois dix minutes, elle a pas l’impression de pouvoir donner tant que ça.
La fois d’après, la petite avait pris moins de poids. Ma patiente toute contrite a suggéré de compléter, peut-être, du coup, par des biberons ?
Mais oui ! qu’on lui a dit à la PMI… Puisque vos seins abrutis ne sont pas capables de nourrir correctement cette enfant dans les 7 x 2 x 10 minutes imparties, donnez-lui donc des compléments.
La petite, elle les a vomis tout ce qu’elle pouvait, vos compléments.
Et la fois d’après, du coup, elle en avait perdu, du poids.
Alors on me l’a envoyée se coltiner 2 heures dans ma salle d’attente.

Cette anecdote est d’une banalité déprimante. On part quand même d’une histoire qui va bien, où tout se passe bien, où tout se passe même mieux que ce qu’on aurait pu espérer dans nos rêves les plus fous, et parce que ça ne colle pas aux petites cases à la con dans lesquelles des petits cerveaux à la con ont voulu à toute force et à tout prix faire rentrer l’humanité entière, on ruine tout. On part d’un truc qui va bien, et on le fait tourner au désastre.  C’est juste atterrant.
Et c’est la même histoire toujours renouvelée, pour plein de choses. Pendant la grossesse, on se nourrira de capsules protéinées désinfectées pour éviter la salmonellose, puis on nourrira son enfant au sein 2x7x10 minutes, à cinq mois et 12 jours on commencera la diversification en donnant 13,8 grammes de haricots verts, on tirera sur les pénis pendant 37 secondes dans l’eau tiède tous les soirs pour les décalotter proprement et on ne prendra JAMAIS son enfant avec soi pour une nuit dans le lit parental parce que ça fabrique des délinquants.

Ça suffit. Merde. J’aime les cases, ok, mais pas à ce point.
Autorisons-nous une marge de bon sens autour des règles.
Il n’y a pas UNE façon de faire, il y en a autant qu’il y a de familles, qu’il y a d’histoires, qu’il y a de rencontres.
Collez-zy pas des frites et du coca mixés dans le biberon à 3 mois, c’est tout ce que je vous demande.
Écoutez-vous, faites-vous confiance, écoutez VOS limites. Votre enfant ne sera pas capricieux parce que vous l’avez pris avec vous dans le lit un soir ou parce que vous ne l’avez pas « laissé pleurer » ou parce que vous lui donnez le sein quand il a faim. Si vous respectez vos limites à vous, si là, ce soir, non là vraiment j’en peux plus je suis trop fatiguée je me lève pas, ça se fera tout seul.
Un caprice, ce n’est pas aller au-delà des cases décrétées par le Professeur MesCouilles, c’est aller au-delà de vos limites. En vous faisant confiance les règles se placeront d’elles-mêmes, et ce seront de bonnes règles.
Et envoyez chier les médecins.

Vous m’avez sans doute déjà lu râler contre les certifalacon, il me reste mon plus beau à vous raconter.
Mon plus beau certifalacon, j’y ai été confrontée il y a quelques années, depuis l’autre côté de la barrière, quand on m’a demandé, avant d’avoir l’insigne honneur de commencer mes fonctions d’Interne des Hôpitaux de Bip, de faire certifier que je :
– remplissais les conditions d’immunisation contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite
– remplissais les conditions d’aptitude physique et mentale pour l’exercice des fonctions hospitalières.

Jusque là, tout va à peu près bien.
Comme je suis sage et bien élevée, je lis toute la feuille jusqu’au bout, avec application, même les petits caractères tout en bas. Qui m’apprennent que :
« Le certificat médical doit être établi par un médecin hospitalier » (…)
« Qualité du signataire (préciser la qualité) : PH, CCA, Assistant des hôpitaux, Attaché ».

Parce que pour dire que j’ai ni la gale, ni la tuberculose, que mes vaccins sont à jour et que je ne suis pas une psychopathe qui rêve d’assouvir une sombre vengeance à grands coups de tronçonneuse dans la tête des patients, faut être médecin hospitalier. Parce que pour dire que je peux exercer mes fonctions d’interne en médecine générale, on ne peut pas être médecin généraliste.

Je pense que je dois être à peu près la seule fille sur terre qui ait tiqué. Rapport que personne sur terre ne lit les petits caractères tout en bas, sans doute en partie. Mais surtout rapport qu’un certificat, quand on bosse à l’hôpital, ça s’obtient de la manière suivante :
Entre deux patients, on chope du coin la blouse de Marcel.
« Hey, Marcel, on lui dit (s’il s’appelle Marcel, sinon on s’adapte), dis voir, me faut un certificat, tu peux signer ? ». Marcel répond généralement que oui, mais vite fait parce qu’on l’attend au box 5 pour réduire la luxation d’épaule qui gueule. On tend la feuille, Marcel signe et atteste que vous êtes apte à la gym / au saut en parachute / à la plongée sous-marine sous glace à -150m / au canyoning sous AVK dans la vallée des piranhas.  Une fois la feuille signée et dûment tamponnée, Marcel ajoutera parfois : « Heu au fait, t’es le nouvel externe de réa c’est ça ? »

Toute révolutionnaire que je suis, je le décide dans un grand mouvement de révolte extatique : « Ça ne se passera pas comme ça avec moi ! »
« Les cons. Les sombres cons. Et bin ils vont voir ! » me souviens-je m’être dit.
Et je décrète que puisqu’on me demande un truc absurde, je pousserai l’absurdité à son bout, et que si je n’obtiens pas gain de cause pour faire signer mon certificat par le médecin généraliste du coin, je passerai par une voix légale et normale pour obtenir un certificat d’une main hospitalière.
Tu sais, la fille qui décide d’une révolution qui ne va emmerder qu’elle. C’est beau. C’est foutrement pathétique, mais quelque part, deep deep down, c’est beau.

Bref, me voilà en quête d’un rendez-vous officiel pour une consultation officielle avec un authentique médecin hospitalier. Mmm. J’appelle qui ? La médecine du travail ? La médecine, heu, du sport ? Y a une service dédié aux certifalacon, à l’hôpital ?
Pour résoudre cet épineux problème, j’appelle le bureau des internes qui demande le papier.
Je tombe sur une dame à qui je demande quel est le service compétent pour me délivrer la damnée sigature.

La dame m’a conseillé la bouche en cœur de me pointer aux urgences de n’importe quel hôpital, en expliquant que j’étais externe, et qu’on « ne me ferait pas de problème ».
Je lui ai dit que je sortais d’un stage aux urgences, que j’avais assez pesté contre les urgences-qui-n’en-étaient-pas pour ne pas aller emmerder mes collègues en plein mois d’Août, et qu’il était hors de question que je profite de mon statut pour obtenir un passe-droit quelconque. (Tu sais, la conne qui décide de faire une révolution qui n’emmerde qu’elle ?)
J’enchaîne en demandant pourquoi morbleu on a décidé d’ajouter cette clause ridicule, et pourquoi on ne peut pas se faire faire le certificat par son généraliste.

Sa réponse a été magnifique.
C’était : « Bin parce que bon, déjà, c’est un généraliste. »
Ce qui, vous l’admettrez, est un argument de poids.
Ensuite, parce que je crois qu’au fond elle était un peu démunie, puisqu’on ne lui avait jamais posé la question en 4 ans de bons et loyaux services, elle a ajouté : « Et heuuu, bin si c’est un médecin généraliste, ça peut être un certificat de complaisance. »

Mon bon Marcel, laisse-moi me gausser ?

Puis la discussion s’est embourbée. Ceux parmi vous qui ont déjà eu affaire à un employé de la Poste qui vous expliquait que non, on ne peut pas acheter de colis à la poste et qu’il faut fabriquer soit-même son colis avec du chatterton et une boîte de chaussures me comprendront. Ça a été une suite de « C’est comme ça et pis c’est tout », « Écoutez c’est une obligation légale, si c’est la loi c’est la loi » et « Je n’ai plus rien à vous dire ».
Les choses injustifiables, forcément que voulez-vous, c’est difficile à justifier.

Je vous passe le détail de la suite. J’ai fini par prendre un rendez-vous à la médecine du travail, dans le bureau glauque d’un recoin d’un bâtiment glauque quelque part dans le centre hospitalier.

On a pris ma tension, on m’a demandé si j’étais une psychopathe qui rêve d’assouvir une sombre vengeance à grands coups de tronçonneuse dans la tête des patients, j’ai dit que non, on a signé mon papier.
Tu sais, la conne qui décide de faire une révolution qui n’emmerde qu’elle ?

Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir eu le courage d’écouter le conseil d’un ami (Béni soit son nom) qui m’avait dit : « Sinon, tu vas voir le doyen, tu dis que tu es inscrite et qu’il te faut un certificat par un médecin hospitalier, et qu’il est le seul que tu connaisses. »

Histoire de faire une révolution qui emmerde au moins une autre personne que moi.

28/04/10 : (Photo à venir du courrier que j’ai reçu ce soir de l’Urssaf. C’est trop beau pour être vrai. Je trouve comment vous mettre une photo et j’édite. Merci, merci, merci de venir illustrer si parfaitement mon post précédent. Il y a bien longtemps que j’avais pas ri autant. J’ai encore un peu mal au ventre.)

30/04/10 Avant hier, donc, j’ai reçu deux courriers de l’Urssaf. Difficile de vous décrire dans quel état d’esprit on ouvre les courriers de l’Urssaf. Une espèce de curiosité gourmande, mais avec un soupçon de trouille au fond.
Déception à la lecture du premier courrier, sans grand intérêt.

Voilà le courrier n°2 :

Le courrier n°1, c’était une pub pour le prélèvement automatique, qu’on me conseillait vigoureusement.

Je pense que je vais décliner.

J’ai craqué, il y a trois semaines.
J’ai appelé.

Je le savais, que c’était une grossière erreur. Pertinemment. Je savais que j’aurais en raccrochant davantage de questions et des envies diffuses d’attentat à la bombe. Mais je suis faible. Je suis naïve. Je suis jeune et pleine d’espoirs.
Et puis surtout j’étais acculée. Je me suis donc planifié une matinée Urssaf et j’ai posé une demi-journée de congé.
(C’est pas vrai ; en vrai je bosse pas à plein temps. Comment les gens qui bossent à plein temps arrivent à joindre l’Urssaf au téléphone, ça reste pour moi un mystère insondable.)

– 1er appel, on me déclare après 1 minutes 32 de bande annonce pour leur site internet qu’aucun conseiller n’est disponible et qu’on me remercie de renouveler mon appel un peu plus tard.
– Un peu plus tard, 2ème appel, on me déclare après 1 minutes 32 de bande annonce pour leur site internet qu’aucun conseiller n’est disponible et qu’on me remercie de renouveler mon appel un peu plus tard.
– Un peu plus tard, 3ème appel, on me déclare après 1 minutes 32 de bande annonce pour leur site internet qu’aucun conseiller n’est disponible et qu’on me remercie de renouveler mon appel un peu plus tard.
M’en fous, j’ai prévu le coup. J’ai mon café, mon paquet de Marlboro, mon triple fenêtrage sur le PC, mon chargeur de téléphone à portée de main ; je suis PRETE.
– Un peu plus tard, 4ème appel, victoire ! On me déclare qu’un conseiller va prendre mon appel, qu’on est désolé pour l’attente qu’on espère me rendre agréable sur fond de Vivaldi, et que je peux retrouver toutes les informations relative à ma situation sur doublevédoublevédoublépointurssafpointéfer.
– Douze minutes plus tard, je suis obligée de me rendre à l’évidence : je pensais être préparée, mais je le suis mal. Le café est une mauvaise idée, je dois raccrocher pour faire pipi.
– Un peu plus tard, 5ème appel, on me déclare après 1 minutes 32 de bande annonce pour leur site internet qu’aucun conseiller n’est disponible et qu’on me remercie de renouveler mon appel un peu plus tard.

Au quinzième appel, j’ai quelqu’un. Un type charmant comme d’habitude.
Je ne plaisante pas, ils sont VRAIMENT charmants. Je les soupçonne d’être très lucides sur la qualité et sur la clarté de leur organisation, alors ils compensent. Je ne sais pas comment ils tiennent le coup pour rester souriants, alors que je suppose qu’ils enchaînent les coups de fil épuisants, au mieux de gentilles demeurées comme moi qui ne comprennent rien mais avec gentillesse, au pire de types non naïfs, non jeunes, agressifs et énervés.
Bref, je tombe sur un type charmant.

– Bonjour, je suis vraiment désolée que mon coup de fil tombe sur vous, mais j’ai des questions. Un tas de questions, j’espère que vous avez du temps devant vous.
– Uhuhuh, écoutez Madame, vous savez, je n’ai pas le droit de rester trop longtemps au téléphone avec le même interlocuteur, dans dix minutes je suis obligé de raccrocher, mais je vais faire un gro-t-effort et je vais faire le maximum.
– C’est très gentil à vous de faire un gro-t-effort, me suis-je entendu dire (je ne suis pas d’un naturel moqueur, mais après 2h15 pour avoir quelqu’un au téléphone, c’est sorti tout seul). Je vais essayer de commencer par le début, et on verra jusqu’où on peut avancer. Alors. Première question : j’ai un problème de courrier en ce moment. J’ai déménagé, j’ai fait un transfert de courrier, mais ça ne fonctionne pas et ça fait un mois que je ne reçois pas de courrier. Étant donné que la fois dernière vous m’avez envoyé les huissiers pour me réclamer une somme que vous ne m’aviez jamais demandée auparavant, je me méfie un peu, et je voulais vérifier que je n’avais pas manqué une lettre importante ce dernier mois, que je ne suis pas en retard pour quelque chose ou je ne sais quoi.
– Alors, pour déclarer un changement d’adresse, il faut nous envoyer un courrier, madame.
– Non non, mais c’est pas ma question. C’est juste pour vérifier que vous ne m’avez rien envoyé d’important que j’aurais raté au courant du mois dernier.
– Oooooooooooooh, d’accord ! Alors, regardons….

Et on a regardé. Le bilan, donc, après dix minutes de gro-t-effort :

1) Je ne suis en retard pour aucun paiement. Mais c’est quand même bizarre étant donné qu’il y a un paiement de 508 euros que j’aurais dû faire début février, mais que je n’ai visiblement pas fait, mais en même temps c’est marqué nulle part que j’ai un impayé, donc c’est sans doute que tout va bien, mais il n’est pas sûr parce que c’est bizarre quand même que j’ai un paiement pas payé mais pas impayé quand même. Je me suis inquiétée, arguant en substance que si y a un truc que j’ai pas payé, c’est quand même peut-être que je dois le payer à un moment donné. Il a dit que puisque que le dossier contentieux était vide, c’est qu’il n’y avait pas de contentieux et que je ne peux pas régulariser une situation qui n’est pas signalée comme étant irrégulière. Un super-conseiller devra me rappeler dans deux jours pour essayer de tirer ça au clair.
2) Mon dernier paiement par TIP de 43 euros, par contre, il ne sait pas du tout à quoi il peut bien correspondre, est-ce que j’aurais une idée de ce que c’est ?
3) Pour éviter d’être dépendante du courrier et d’être embêtée par ces histoires de lettres perdues, il me suggère de m’abonner à doublevédoublevédoublépointurssafpointéfer, c’est super pratique et on peut tout gérer depuis le site. Ils m’enverront un mot de passe par courrier en, je cite, « croisant les doigts pour que je le reçoive ».
4) Il ne sait pas du tout pourquoi j’ai DEUX comptes Urssaf, dont un en tant que « Praticien auxiliaire médical » sur lequel on m’a demandé un paiement en 2008 puis plus rien. Suis-je bien sûre et certaine de n’avoir jamais été auxiliaire médicale en 2008 ? Mmmm c’est très bizarre, et un super-conseiller devra me rappeler dans deux jours pour essayer de tirer ça au clair.
5) ((Long préambule : Pour faire ma déclaration d’impôts aux impôts, j’ai besoin d’avoir le détail de ce que j’ai payé à l’Urssaf. La ventilation, ça s’appelle. En gros, je dois savoir que sur les 1000 euros payés en juin, c’était 200 de CSG + 500 de CRDS + 300 de AF. Évidemment, je n’ai pas le moindre début de commencement d’idée de ce qu’est la CSG ou la CRDS, mais je sais que je dois savoir combien j’ai donné pour quelle part à chaque fois)) . C’est merveilleux, l’Urssaf me fournit gentiment les documents détaillant la ventilation de tous mes paiements. Le problème, c’est qu’aucun paiement déclaré par l’Urssaf sur le merveilleux document ne correspond à ce qui a réellement été prélevé sur mon compte en banque. Donc je suis bien embêtée pour faire ma ventilation, puisqu’on me donne le détail pour des sommes qui ne correspondent à rien sur ma comptabilité. Lui non plus ne sait pas du tout à quoi correspondent les montants qu’on m’a débités. Par exemple, le chèque de 1345 euros de novembre : « Le plus proche qu’il voit c’est 1569 pour l’échéance de décembre, alors c’est peut-être ça », qu’il dit. Moi aussi, ducon, le plus proche que je vois c’est 1569, mais  ça va être un tout petit peu imprécis pour les impôts…  Un super-conseiller devra me rappeler deux jours plus tard pour essayer de tirer ça au clair.
6) Il va d’ailleurs m’envoyer gentiment en plus ces documents par courrier. En croisant les doigts pour que je les reçoive, toujours.
7) Je n’ai jamais vu autant de mystères sur le compte d’une seule personne ! qu’il s’ébaubit, ce con…
8) D’ailleurs il vient de se rendre compte qu’il leur manque mes « cotisations sociales personnelles obligatoires déclarées pour l’année 2008 (hors csg – crds)  » , et que ce serait bien que je leur envoie. J’ai jamais souvenir qu’on m’ait demandé ça, je ne sais foutrement pas ce que c’est ni où le trouver. Le monsieur se ferait un plaisir de me l’expliquer, mais les dix minutes sont malheureusement écoulées. De toute façon, je n’ai pas à m’inquiéter, il m’envoie la demande par courrier.

Je suppose qu’il est inutile de vous préciser que trois semaines plus tard, je n’ai pas reçu de courrier, et qu’aucun super conseiller ne m’a rappelée.
Je dois rappeler.
J’ai peur.
J’ai vraiment, vraiment peur.

Nougat et tartinettes

13 octobre, 2009

Âmes aguerries et vomisseurs de bons sentiments s’abstenir, je vais faire un post à l’eau de rose et l’assumer.
Ça va dégouliner de guimauve et de barbes à papa. A ceux qui supporteraient mal les barbes à papa à lire, j’ai d’autres suggestions d’utilisation moins romantiques mais passablement rigolotes pour donner le change.
Mais j’en ai un peu marre de vous raconter mes foirades et mes échecs.
Bien sûr, c’est plus facile de parler de mes doutes. C’est plus culotté, c’est plus blockbuster, c’est plus sensationnaliste.
Alors que mes fiertés, mes petits bonbons glanés à droite à gauche, c’est moins spectaculaire. Parce que c’est plus démago, déjà, et parce que c’est plus discret. Je ne contiens pas des hémorragies en clampant des aortes à mains nues avec les dents, alors ça en jette moins qu’un bon gros aveu de mauvaiseté.
Mais quand même, ça compte.

Avant-hier, j’ai reçu Emma, 18 mois, toutes ses dents et surtout tous ses pieds, qu’elle me balançait gaiement à la figure dès que j’étais dans le périmètre le permettant. La mère s’excusait : « C’est tout le temps comme ça, depuis sa bronchiolite, même le Docteur Cerise n’arrive plus à l’approcher ».
Une furie. Je ne suis pas mauvaise pour amadouer les gamins, mais celle-là était enragée que Chucky à côté c’était Princesse Sarah.
Il était 15 heures et j’avais une seule personne dans ma salle d’attente. J’ai remonté mes manches et j’y suis allée.
A 15h40, elle penchait la tête vers la gauche pour me laisser voir son tympan droit dans un calme Baudelairien.
A 15h42, elle mettait elle-même le bâton dans la bouche la plus grande ouverte du monde.

Il y a deux semaines, j’ai revu ma mauvaise patiente de 19 heures.
Parce que la fois dernière, quand même, à la fin de ma consultation j’avais eu le temps de me dire dans ma tête tout ce que je vous ai dit dans mon post plus tard. Je lui avais dit que j’étais désolée, mais qu’elle méritait que je prenne plus de temps avec elle parce que son cas était compliqué, et qu’il fallait qu’elle prenne rendez-vous, et qu’elle ne pouvait pas débarquer comme ça à 19h si on voulait faire du bon travail. Elle m’avait fixé de ses yeux hagards et elle avait bavouillé un vague mot.
Et contre toute attente, elle a pris rendez-vous le vendredi suivant.
Contre toute attente encore, elle est arrivée presque à l’heure. Sept minutes de retard, mais comme j’avais bloqué 2 rendez-vous pour avoir le temps, ça n’a pas été trop pénalisant.
Je lui ai dit « Merci d’avoir pris rendez-vous ».
Elle a dit « C’est moi qui vous remercie ».
Et on a fait du bon travail.
Je pense qu’elle a un cancer et que son fils lui cogne toujours dessus, mais cette fois on a avancé.

Avant-hier, j’ai reçu la mère de M. Paty, que je n’avais plus revu depuis plusieurs mois.
M. Paty était venu dans le cabinet du Docteur Cerise parce qu’il n’en pouvait plus d’avoir mal au ventre depuis des années. Il m’avait raconté son désespoir grandissant devant les examens toujours normaux, les médecins de plus en plus indifférents et sa révolte contre tous ceux qui lui répétaient qu’il n’avait rien et tous les médicaments qui ne marchaient pas. Le dernier médecin, aux urgences, lui avait collé du Xanax qu’il n’arrivait plus à arrêter.
J’avais décidé que lui, ce serait mon premier colopathe à moi. Ça s’y prêtait pour la première fois de mes remplacements : un nouveau patient, une première prise de contact. Pas un à-moitié déjà suivi par un autre qui me voyait parce que cette fois il n’avait pas pu faire autrement que venir un vendredi. Un vrai patient à moi que je pouvais m’approprier et avec qui je pouvais commencer un partenariat.
Je l’avais revu souvent au début, parce que je le faisais revenir. Une ou deux fois par mois. On a causé. On a causé plein. Au troisième rendez-vous, il avait accepté l’idée qu’on ne ferait pas plus d’examens complémentaires. Au quatrième, il avait un peu moins mal au ventre et il avait réussi à diminuer le Xanax. Au cinquième, il avait encore un peu moins mal au ventre, mais le Xanax ne diminuait plus. Au sixième, statu quo.
Et puis il n’était plus venu.
Je m’étais dit ce que je me suis souvent dit : « Tu es trop enthousiaste, tu t’impliques trop. Alors quand ça commence à foirer, les gens ne viennent plus parce qu’ils ne veulent pas te décevoir. Ils ont échoué à guérir et ils ne veulent pas t’imposer ça. A trop en faire tu as perdu le lien. »
Je m’étais dit qu’il avait rechuté et qu’il était parti tenter sa chance ailleurs, avec un médecin moins culpabilisant de bonne volonté.
Et avant-hier, donc, j’ai vu la mère de M. Paty, qui m’amenait sa fille. A M. Paty. La petite-fille de la mère, donc. Bref.
Je n’ai pas fait le lien, et j’ai fait la consultation de la gamine.
Sur le pas de la porte, en me serrant la main, Mme Paty a marqué un arrêt.
« Vous avez fait beaucoup de bien à mon fils », elle a dit.
Elle a dit : « Il attendait ça depuis longtemps. »
En fait, M. Paty ne venait plus parce qu’il est guéri. Il a arrêté le Xanax, et quand il a mal au ventre, il se concentre pour que ça passe et ça passe. Des fois, il prend quand même un Carbosymag, mais pas souvent.
Et putain, j’ai fait ça avec ma bouche et les mots qui en sont sortis. Sans médicaments, sans examens, sans spécialiste. Ma bouche et mes oreilles.
Ça ne m’était pas venu à l’esprit que peut-être il ne venait plus parce que tout allait bien.

Régis et l’infanrix

9 octobre, 2009

Courrier des lecteurs.

Cher Régis,

Tu as été bien étourdi. Même si tu as eu 23 patients sur l’après-midi, même si tu étais fatigué d’écrire « C’est pas la grippe » sur un bon tiers des dossiers que tu as ouverts ce jour-là, ce n’est pas une excuse :  il FAUT mélanger la poudre avec l’eau dans la piqûre avant d’injecter un Infanrix Quinta.
Je te félicite néanmoins d’avoir su résister à la première tentation qui t’es venue devant le petit flacon encore rempli de poudre de le mettre rapidement à la poubelle en sifflotant Le pont de la rivère Kwai. Tu t’es jeté à l’eau, tu as dit à la mère : « Il y a un problème » et tu as bien fait.
Bien sûr, c’est embêtant que tu n’aies su répondre à aucune de ses questions après, et je comprends que tu te sois senti bien abandonné du Dieu Google en ne trouvant aucune réponse pertinente aux recherches « Infanrix non reconstitué » et « Erreur injection Infanrix » que tu as fébrilement pianotées sur ton ordinateur en essayant de faire semblant de garder une conversation normale sur un ton professionnel.
Mais tu as bien fait de te tourner vers moi et je vais aujourd’hui m’efforcer de répondre à tes questions.

– Non, tu n’as pas injecté au petit un soluté mortel en l’absence de reconstitution, et non, sa cuisse ne va pas se transformer en amas de chair gangrénée et putréfiée sous 48h. Je sais bien que c’est ce que tu as lu dans le regard de la mère, mais ça ne va pas arriver.
– En fait, mon petit Régis, tu as ré-inventé l’Infanrix tétra. Figure-toi que dans la poudre, il n’y a que l’Haemophilus, alors que dans l’eau de la piqûre, il y a tout le reste. C’est comme si tu avais injecté un diphtérie-tétanos-coqueluche-polio, donc. Tu vois, 4 vaccins réussis sur 5, ce n’est pas si mal !
– A ce stade de cette instructive lecture, tu dois te demander comment rattraper les choses. Et bien j’ai une bonne nouvelle : le vaccin monovalent pour l’Haemophilus existe ! Je sais, c’est une surprise, tu n’as bien sûr jamais eu l’occasion de le croiser et tu te demandes pourquoi diable il existe alors que le vaccin monovalent pour la coqueluche toujours pas. Mais la vie est ainsi faite, et recèle parfois d’heureuses coïncidences.
Il s’appelle Act-Hib et tu vas pouvoir le faire au petit d’ici 2 ou 3 jours.
– Oui, Régis, tu peux le faire sur le même site d’injection que le reste du vaccin, ce n’est pas un problème, la dame de la pharmacovigilance de Glaxo est formelle. Elle m’a d’ailleurs gentiment demandé de te dire que tu n’étais pas le premier à qui cette mésaventure arrivait. Qui sait même si ce n’est pas pour les petits distraits comme toi que l’Act-Hib a été spécialement prévu.
– Un conseil d’amie : si par miracle la dame n’a pas déjà changé de médecin traitant, n’oublie pas de faire l’injection de rattrapage en Acte Gratuit. Le petit va quand même se cogner 3 piqûres douloureuses au lieu de 2 et se mettre à pleurer dès qu’il franchira le seuil de ta salle d’attente pour les années à venir, tu leur dois bien ça.
– Non, Régis, le vidal n’ayant pas encore de rubrique phonétique, je ne sais pas si tu dois demander au pharmacien de commander du Act-hache-hi-bé ou du Actib. Tu n’as qu’à lui faxer l’ordonnance en sifflotant Le pont de la rivière Kwai.

J’espère que cette réponse t’a aidé, sois plus vigilant les prochaines fois !
La semaine prochaine, nous aiderons Régis à ne pas demander à ses patients qui préparent un voyage à Cuba dans quel pays c’est déjà.