Quand j’étais petite, je voulais être dresseuse d’ours.
Pas « fée ».

Qu’on ne se méprenne pas, je n’ai rien contre les fées. C’est une catégorie socio-professionnelle comme une autre, et il n’y a pas de sot métier. Même si, pour les connaisseurs, il y a des métiers avec un seau.

Et pourtant, parfois, les gens me prennent pour une fée. 

Quand ils ne peuvent VRAIMENT pas se permettre d’être malades. 
Mais aussi parfois sans raison valable évidente.
L’autre jour, une patiente, la soixantaine, qui ne pouvait pas venir la veille voir le docteur Carotte parce qu’il n’y avait personne pour garder Bichon, m’explique les affres de son panaris. Une gangrène gazeuse, à l’entendre.
Elle me raconte les cris d’horreur du médecin qui l’a vue en vacances, le traitement « de cheval » qu’il a jugé indispensable de mettre en route immédiatement et l’évolution des choses depuis.
Bonne, l’évolution, visiblement, si j’en crois l’index qu’elle me brandit sous le nez. C’est encore vaguement rose foncé sur le côté, là où une écharde grosse comme une poutre et acérée comme une dague a bondi pour s’y planter violemment il y a trois semaines, et c’est encore un peu sensible quand elle appuie. Pour ce que j’en dis, l’a qu’à pas appuyer.
Bref, elle m’annonce solennellement :  « Tout ce que je demande, Docteur, c’est qu’il n’y ait plus rien dans deux semaines. »
Je me gratte le menton. Je décide de ne pas lui mentir : « Si vous voulez être absolument certaine qu’il n’y ait plus rien DU TOUT dans deux semaines, il faut couper ».
Comme je le pensais, le second degré de Madame est resté à la maison avec Bichon. Ses traits se durcissent, et elle me précise : « C’est que je dois partir en vacances en Corse. Et vous connaissez l’état du service de soin en Corse, je suppose ? Il est hors de question que j’y parte dans cet état-là, il faudrait que j’annule mon voyage. »
Elle part pas au Congo avec une cholecystite, hein, elle part en Corse avec une fin de panaris.

Je lui ai dit de poursuivre les soins locaux. Une semaine plus tard, le secrétariat laissait au Dr Carotte le message suivant : 
Mme X. A rappelé. Souhaite un rdv ce 18/08. A annulé son voyage. Précise que son doigt est très enflé et douloureux. Précise que le traitement n’a fait aucun effet. Nous l’avons informée que vous ne rajoutez plus de rdv ce jour, 18/08. Ne souhaite pas prendre de rdv avec Dr Rrr. Par ailleurs demande que vous lui établissiez une ordonnance pour faire une radiographie.

 Dans les épisodes suivants, si vous êtes sages, je vous raconterai les fois où je me sens coupable de ne pas être une fée.

A la demande générale…

8 septembre, 2009

Je suis la remplaçante.
J’attends dans mon bureau, devant mon emploi du temps vide.
Hier, c’était le Docteur Carotte, et c’était plein.
Demain, ce sera le Docteur Carotte, et c’est déjà plein.

Moi, j’ai mes 6 pauvres créneaux de rendez-vous sur le matinée, 6 parce que j’ai une matinée de deux heures, et que là où le Docteur Carotte prend 4 rendez-vous à l’heure, on m’en a prévu 3.
On a bien fait, cela dit, parce que à bientôt un an de remplacement, je culmine à 20 min la consultation. Qu’il vente qu’il pleuge ou qu’il neige, veaux vaches cochons, à la fin de ma journée, je divise le temps de travail par le nombre de patients et j’arrive à 20 minutes. Dix-huit dans mes meilleurs (ou plus mauvais) jours. Y compris les « Je n’en ai pas pour longtemps, c’est juste pour un certificat » et les « Oh moi ça va aller vite, c’est juste pour un renouvellement ».
Bref, je suis dans mon bureau vide, derrière mon pc qui malheureusement ne fait pas tourner Wow mais qui me permet au moins de passer le temps sur wowhead et sur mon forum de guilde.
J’ai un autre rendez-vous dans quarante minutes, le deuxième de la matinée, j’ai le temps d’aller bosser la strat de Yogg.

Et puis, on tape à la fenêtre.
A la fenêtre, alors que j’ai un interphone qui fonctionne et que, ici, je ne confonds pas avec la sonnerie du téléphone.
Et, bêtement, je vais ouvrir.
Scène improbable de dialogue entre moi et mon futur-patient, lui dans la rue et moi dans mon bureau, les deux mains sur les fenêtres que je viens d’ouvrir, les bras écartés, avec ce demi-mur idiot qui séparent nos jambes.
Il me dit qu’il veut une consultation, je lui dis que Heuu, il doit faire le tour de la rue et venir sonner à la porte.
Et en ouvrant les fenêtres, en découvrant mon patient de la rue, il y a déjà seize bonnes secondes de ça, quelque chose a dit dans mon crâne : « Oh toi mon coco, tu veux du Subutex ».

Je ne sais pas encore pourquoi, mais ça a sonné tout de suite du côté de mon alame intérieure.
Le côté incongru de notre première rencontre a sans doute joué, mais, en ouvrant la fenêtre et en découvrant mon patient, je me suis dit que je n’avais pas envie de cette consultation.

Il a fait le tour, il a sonné gentiment à l’interphone, et je n’ai pas pu faire autrement que de lui ouvrir.
Une fois assis en face de moi, quand nos jambes ont retrouvé leurs positions légitimes, il m’explique qu’il vient de déménager, et qu’il veut changer de médecin, et que justement il avait un problème en cours avec son dernier médecin d’il y a à peine quatre jours.
« Subutex, subutex, subutex » ânnone mon cerveau pétrifié.

Mais pas de Subutex.
Il  avait un truc, des symptômes bizarres, il allait faire pipi souvent la nuit, et son médecin lui a fait un test d’urines, dont il n’a pas les résultats sur lui mais qui était normal, paraît-il, et il avait une sorte de poids dans le bas-ventre, et son médecin a fait faire l’analyse d’urines qu’il n’a pas mais qui était normale et lui a dit qu’il fallait en faire plus.
Mmmm, dis-je.
Je dis souvent Mmmm quand je me sens dépassée. Ca fait gagner du temps.
Mmmm, dis-je, donc.
Son médecin lui a donné un traitement dont il a oublié le nom, malgré les analyses normales, il a dit qu’il fallait attendre un peu, mais le traitement ne marche pas et ça ne passe pas et il a déménagé et le voilà chez-moi. Sans ses analyses, sans l’ordonnance du traitement-qui-ne-marche-pas, mais avec ses drôles des symptômes qui durent.
Il n’a pas de fièvre, il n’a pas d’écoulements, il n’a pas d’autres symptômes que ce poids dans le bas-ventre et ces analyses normales, et il attend de moi que je résolve son problème.
Mmmm, dis-je, encore un peu embrumée par mon cerveau qui crie « Subutex ! Subutex ! »
Mon patient, gentil qu’il est, essaie de m’aiguiller un peu, devant mes « Mmmmm » peu décisifs.
– « Il a dit que c’était peut-être une mmmmm, heuuu, « prostatite » ??? »

« Mmmm« , dis-je encore, fidèle à moi-même, « Oui, ça fait partie des choses à éliminer, passons à côté, je vais jeter un oeil sur votre ventre.  »

Sur le chemin qui sépare mon bureau-bureau de la salle d’examen, pendant que déjà, une certitude se grave en moi (Je m’en fous, je ne lui ferai pas de TR),  il ajoute :  « Mais en fait je dois vous dire, je n’ai pas ma carte vitale et je n’ai pas de quoi payer, j’ai laissé mon chéquier à la maison ».
L’occasion est là, et je bondis.
– Ecoutez, que je lui dis, trop contente d’avoir un prétexte pour écouter mon alarme qui hurle sans que je sache pourquoi, ça devient un peu compliqué. Vous n’avez pas les analyses, vous n’avez pas le nom du médicament qu’on vous a donné, vous n’avez pas votre carte vitale, vous n’avez pas de quoi payer… C’est un peu compliqué pour moi d’arriver au milieu d’une histoire que je ne connais pas, je vous propose de revenir demain avec tout ce qu’il faut, et nous verrons comment nous pouvons avancer.

Et je vois le patient prendre le contrôle de la consultation, à peu près comme à chaque fois que mon alarme sonne. Maintenant, je sais bien que cette alarme qui beugle, c’est le signe que je suis manipulée et que je perds le contrôle des choses, mais à l’époque, je n’entendais que « Subutex ! Subutex ! Ou alors, heuuu non, mais quoi ? Que se passe-t-il ? Je n’aime pas ce patient et je veux qu’il parte.  »
– Mais, qu’il me dit, mon médecin m’avait parlé de prostatite ?
– Hmmm, hmmm, oui, c’est possible, dis-je, c’est justement pour ça qu’il faudrait que vous reveniez demain avec tous les éléments…
– Mais, dit-il, il ne faudrait pas refaire l’examen ?
– Si ! Si ! m’entends-je hurler, justement ! Je vais vous refaire-faire un examen d’urines, vous allez le faire, et vous reviendrez avec les résultats du premier examen, l’ordonnance du traitement qui n’a pas marché et les résultats du deuxième examen, et votre carte vitale, comme ça on pourra avancer.
C’est tout ce que je trouve à dire devant mon cerveau qui me hurle : « Ruuuun ! You fools » sans que je comprenne pourquoi.
– Mais, si le premier examen était normal, ajoute-t-il, le deuxième va peut-être l’être aussi ?

A ce stade de la non-consultation, j’essaie tout ce que je peux et je n’ai plus qu’un seul but : le mettre dehors, vite et bien, et le faire revenir sur les consultations du Dr Carotte.
– Oui, peut-être, nous ne pouvons pas savoir, il faut vérifier qu’il n’y a pas une infection, il faut refaire l’examen.
Je dis n’importe quoi. Je le sais. Mais j’ai cette alarme, qui est maintenant devenue « Pas Subutex  ! Pas Subutex ! Je sais pas quoi mais Run you fools ! » qui m’empêche d’entendre quoi que ce soit d’autre, et je ne suis plus médecin.
Je suis une fille à couettes abasourdie par son alarme.
Le patient voit que je patauge, et, gentiment, me guide :
– Mais mon médecin, il a dit que comme les examens ils étaient normaux, il faudrait faire un autre examen plus poussé pour voir s’il y a une infection que le premier examen n’a pas vu ?

Là, en vrai, je ne vois pas de quoi il parle. Et je lui dis :
– Mmmmm, je ne vois pas ce que ça peut-être.

L’homme qui murmurait à l’oreille des consultations ne se laisse pas désarçonner. Il continue à m’aider :
– Il a dit qu’il fallait faire quelque chose pour que l’examen puisse voir l’infection plus facilement ?

Je ne vois toujours pas. Je suis curieuse, je me sens soudain bête de ne pas savoir, je sens mes couettes prendre des proportions imprévues, avec l’engrais supplémentaire de la culpabilité imbécile de vouloir me débarrasser de ce patient sans savoir au juste pourquoi,  mais vraiment, je ne vois pas.

– Ecoutez, je ne sais pas ce que votre médecin voulait faire comme examen, mais déjà, puisque moi je n’ai rien comme éléments pour me guider, on va refaire l’examen de base et vous reviendrez avec toutes les pièces du dossier, ok ?

Je sens des racines pousser entre ses fesses et le fauteuil.
Il n’est pas content du tour que prennent les choses, c’est palpable. Visiblement, je le pousse dans ses derniers retranchements.
– Mon médecin, il a dit que si le premier examen il était normal, il fallait, heuuuu, comment il a appelé ça, déjà, un massage prostatique ?

Et voilà. Et voilà, ton Subutex, fool toi-même, que je ne savais pas pointer.
Merci. Le voilà, ce truc qui pressait le doigt sur mon interrupteur à alarme.
Je sais pas ce que c’est, un massage prostatique, j’ai un bout de couette en moi qui suggère que peut-être je ne sais pas ce que c’est alors que je devrais savoir, peut-être que c’est moi qui suis nulle et qui ne connait pas le massage prostatique comme étape importante du diagnostic de prostatite, peut-être que ça existe vraiment,  mais tant pis, je sais au moins, même si c’est de la faute de mon incompétence médicale, pourquoi ça carillonne comme ça depuis le début.

Je peux reprendre pied, et même si j’ai tort, même si le doute subsiste, même si peut-être tu n’es pas un gros pervers, même si peut-être le masage prostatique est une pratique répandue chez tous les urologues du coin, au moins, je sais ce qui m’arrive, et je peux te mettre à la porte gentiment.
Non, je ne pratique pas cet examen. Non, je ne sais pas ce que c’est, ni qui peut vous le faire, ni si des kiné le font. Non, ça ne fait pas partie des gestes que je fais quand je suspecte une prostatite, et peut-être vous devriez aller revoir ça avec votre médecin qui semble s’y connaître infiniment plus que moi en geste de sensibilisation à l’ECBU.

Une fois que je l’ai mis dehors, au bout de 35 minutes non rémunérées à part cet infini sentiment de soulagement, je suis allée taper sur Google « Massage prostatique ».
Comme il m’a fallu aller jusqu’à la page 6 pour trouver un semblant de lien médical qui ne parlait pas de point G masculin, de gods et d’orgasmes, je me suis dit que sans doute, mon alarme avait eu raison de mes couettes.

Prenons une plage.

7 juin, 2009

Un lecteur a laissé récemment, dans les commentaires, ce lien : http://www.stethonet.org/news/blues.php?cat3=4244

Merci à lui.
Prenez quelques minutes pour aller lire, et prenons, donc, une plage de la côte basque ;  je n’ai rien contre les basques.
Un vent force 7 et, voyons grand, dix mille personnes en train de se baigner.
Sur ces dix mille personnes, mille sont au delà de la ligne de sécurité. Les vagues y sont plus fortes, les courants plus pervers, et, statistiquement, elles ont toutes un risque de se noyer non négligeable.
A la lunette, un des CRS voit mille personnes en train de se potentiellement noyer.
Il se tourne vers son collègue et dit : « Boarf, Léon, allons plutôt nous en jeter une et mater les gonzesses ».

Ce qu’ils firent.  Dix personnes, qui étaient en train de commencer à effectivement se noyer, moururent.

Quatre se noyèrent bel et bien. Sur les six autres types, qui étaient partis pour se noyer en toute bonne foi, deux se firent piquer par un banc de méduses mortelles qui aimaient bien les plages basques, deux virent flotter non loin un vague bout de bois qu’ils prirent pour un aileron de requin et firent une crise cardiaque, un se prit un pot de bégonia sur la tête laché négligemment par un pilote de boing 747 qui n’aimait pas les bégonias, et le dernier, dépressif, décida de plutôt s’étrangler avec son slip de bain, puisqu’il était visiblement par trop quelconque de mourir par noyade sur cette plage-là.

Sur une autre plage, les CRS n’aiment ni les bières, ni les gonzesses, et sont bien déterminés à sauver les mille bougres. Aussitôt qu’ils les ont avisés dans leur lunette, ils appelent leur chef, qui envoie son escouade anti-noyade sur le coup.
Cint cenq zodiacs sur la rive font vrombir leurs moteurs, et se lancent à la rescousse des pauvres futurs potentiels noyés.

Pour les attraper et les faire sortir de l’eau, ils les happent avec le dernier super lasso électronique à tête chercheuse. Le lassotage est douloureux, violent, mais d’une efficacité redoutable. Bon, de temps à autres, la tête chercheuse passe à côté du noyé et ramène un espadon à la place, et, d’autres temps à autres, un faux contact électrocute le noyé. Mais c’est très rare.
D’autres fois, plus fréquentes, le lasso n’arrive pas à saisir les noyés par le torse, et les tracte sur le zodiac par ce qu’il a pu attraper, ce qui n’est pas sans conséquences malheureuses.
Mais les CRS le savent bien : ce sont les risques du métiers, et c’est avec fierté qu’ils ramènent 9 994 types bien vivants sur la rive, le SLEATC n’ayant certes électrocuté personne ce jour-là, mais ne pouvant rien contre les pots de bégonias les crises cardiaques et les méduses.
85 pénis seulement ont été sectionnés ; on les range soigneusement dans une boite en plastique pour les remettre à leurs propriétaires respectifs plus tard, histoire qu’ils puissent les enterrer avec les égards qui leur sont dûs.
Les CRS appelent leurs copains de la plage d’à côté, et se gaussent : ils ont 4 morts de moins sur leur plage à eux.

Pendant les 20 années qui vont suivre, l’escouade anti-récidive-de-noyade passera une fois par mois chez les 9 993 types restant (un dépressif dans le lot s’est jeté du troisième étage de son immeuble), pour leur balancer des seaux d’eau glacée sur la gueule en pleine nuit, et leur plonger la tête dans les toilettes histoire de leur apprendre à retenir leur respiration.
La télé-opératrice les appellera tous les jours à des heures variées pour leur rappeler qu’ils sont des noyés potentiels, et que, peut-être, un jour, ils se noieront dans d’atroces souffrances. Elle ajoutera « gniark gniark », parce que c’est sur son script, et raccrochera.

Surveillez la plage si vous voulez, moi je vais boire une bière.

Oh, mon, dieu.

31 mai, 2009

Il y a un accent circonflexe à côlon oO

Rendez-moi ma bouée.

21 mars, 2009

Les gens s’étonnent souvent de voir que les médecins ne sont pas toujours d’accord entre eux.
Deux conduites à tenir, deux traitements et deux discours face à une même plainte, à un même diagnostic, c’est troublant.
Mais c’est que la médecine n’est pas un long fleuve de jolies petites cases tranquilles.

Les situations clairement codifiées et unanimes, celles devant lesquelles n’importe quel médecin, de n’importe où et de n’importe quel âge, ferait exactement la même chose que son copain d’à côté sont exceptionnelles.
Mieux, les situations clairement codifiées devant lesquelles tous les médecins devraient faire la même choses sont exceptionnelles.

Pour le reste, il y a de vagues directions à prendre, quelques chenaux flous, de fausses cases aux bords hachurés qui se superposent, et beaucoup de conviction intime.
Il reste quelques îlots bien nets d’interdictions formelles, de conneries universelles, de bêtises indémodables, dont on sait néanmoins qu’elles se démoderont peut-être un jour. (Demandez à vos grands-parents qu’on a couchés sur le ventre…)
Et, entre eux, on navigue à l’envie, comme on peut, de phares bancals en phares en ruines.

Prenons mes supers copains les anti-hypertenseurs, par exemple.  
L’hypertension, on se dit que bon, quand même, c’est archi connu, archi fréquent, et que ça doit être sacrément balisé en belles étapes codifiées.
Vous me voyez venir, et je vous le confirme en lançant ce cri : « Que nenni ! »

C’est la foire.
Pour avoir une idée des meilleures molécules, des meilleures indications (pour quels types de patients donner quels types de médicaments ?), des meilleures associations, et de ce qu’on va écrire, à la fin, sur notre foutue page blanche d’ordonnancier, de la pointe de notre bic assuré, il y a des centaines d’études qui s’accumulent, se contredisent, se révèlent parfois fausses, biaisées, corrompues, incomplètes, se révèlent parfois étouffées quand elles disent des choses qui dérangent les porte-monnaies.
On essaie de faire le tri, de revenir aux bases, aux consensus visiblement admis.
Qui nous disent, par exemple, que pour un patient lambda, sans profil particulier, sans autres maladies interférentes, on peut choisir indifféremment une molécule dans n’importe lequel des cinq grands groupes de médicaments.
Super fastoche.
Mais heu, là, là maintenant tout de suite, avec Monsieur Tendu en face de moi qui fixe mon bic, je prends lequel ?
Et dans le groupe, une fois que je l’aurai choisi dieu sait comment, je prends quelle molécule ?
Et une fois que j’aurai choisi la molécule, je prends quel médicament ? (Parce que oui, parfois, il y a plusieurs médicaments pour une même molécule, avec pour chaque médicament une fille en mini-jupe qui essaie de vous convaincre deux fois par trimestre que c’est elle qui a la plus courte. )

Ne vous étonnez plus que les médecins aiment les cases, elles sont trop rares.
Le médecin de base rêve de  cases, fantasme sur les algorithmes et se masturbe sur les arbres décisionnels.

Il y a dans cette inondation d’informations une double complexité, et on patauge dans un fleuve à deux affluents : celui des informations validées et fiables, déjà trop nombreuses, et celui des informations biaisées, des fausses véritées perverties et des propagandes laborantesques.

L’idéal voudrait donc que le médecin vérifie chaque information, la reprenne à sa racine, la critique, avant de l’intégrer, ou pas, à sa pratique.
Or, et c’est une vérité à peu près prouvée de source sûre et sans conflit d’intêret, les journées n’ont que vingt-quatre heures.
Il faut donc mettre en place des stratégies alternatives.

L’une d’elle est de ne pas chercher à valider chaque information individuellement, mais de trouver quelques sources fiables d’informations, et de formation.
De gens en qui ont a foi, dont on partage la vision des choses, à qui on confierait notre grand-mère. Et on se forge notre petit catalogue de Dieux De la Délivrance. En trois D et en un clin d’oeil.
Je la trouve payante, reposante, et c’est celle que j’applique.

Sous mes manichéennes couettes, je range l’information « Eux Gentils. Eux Copains. Eux dire bonnes choses. ».
Information qui implique dans mes manichéens neurones : « Moi pouvoir faire quoi eux disent, les yeux presques fermés. »

Mon meilleur copain que j’ai, c’est bien sûr Prescrire. J’y ai été abonnée avant même de savoir nouer mes couettes.
Bénis soient-ils.
Sans Prescrire, point de salut.
Amen.

Pour les quatre du fond qui débarquent, Prescrire, c’est LA revue médicale française sans pubs de l’industrie pharmaceutique, qui livre une guerre permanente aux conflits d’intêret et aux dealers d’opinion.
En plus, ça m’arrange drôlement, parce que c’est vachement plus simple de retenir la médecine de Prescrire.
Comme, en caricaturant à peine, ils disent que 90% des médicaments sont des bouses au mieux inutiles, au pire nocives, ça nous en laisse 10% pour soigner, et c’est ça de gagné pour ma mémoire.

Une autre de mes source, loin, loin en aval, certes, mais quand même, c’était les recommandations de la HAS.
La Haute Autorité de Santé.
Reprenons ensemble l’impressionnante formulation, ô combien savoureuse pour un médecin barboteur en manque de cases, en décomposant bien les mots :   
> Haute
Autorité 
> de Santé
> Qui fait des Recommandations

Autant dire qu’avec un pedigree pareil, on peut s’autoriser à se poser le cul dans la belle et bien flottante bouée des recommandations, et y attendre sereinement le déluge.
– « C’est ce que la Haute Autorité de Santé recommande, Madame ! »
– « Ah, bon, ok, d’accord ! »

Et soudain, c’est le naufrage.

Le Formindep, qui serait mon encore-plus-meilleur copain que Prescrire s’il s’occupait aussi de me dire quoi faire en jolies recommandations, au lieu de seulement dénoncer ceux qui le font mal, annonce ce qu’on soupçonnait déjà en voyant les glitazones en bonne place dans les recommandations diabète, mais qu’on faisait semblant de ne pas vraiment voir tant il était intellectuellement et jurisprudencellement reposant de s’en remettre à la Haaaaute Autoritééééé de Santééééé, le Formindep l’annonce, disais-je donc avant de m’ensabler dans les méandres sournois de mes aigreurs égarées entre deux virgules si éloignées du début de ma phrase que voila-t-il pas que je ne sais plus de quoi je cause ((c) Desproges), avec des arguments fermes et détaillés : ça dessous-de-table ferme par là-haut aussi.

Autant dire qu’avec un pedigree pareil, on peut s’autoriser à se poser le cul dans la belle et bien flottante bouée des recommandations, et y déposer un serein étron, avant de repartir vaquer à d’autres plus instructives instructions.

Me voilà donc contrainte de rétrograder la très hââute, du neurone :
– « Eux pas forcément au top du top de l’EBM, mais eux pas dire de trop énormes conneries, et eux écoutables si moi avoir pas meilleure source sous la main »
à celui de :
– « Moi pas pouvoir savoir si grosse connerie ou pas, donc moi pas faire. ».

Hop, un gué de moins dans mon fleuve.
Rendez-moi ma bouée.

 

PS : Docteur Coq ? Tu me prêterais Jak le temps de me dessiner une miss à Couettes surnageant péniblement au milieu de sa bouée « Prescrire » dans un fleuve rempli de piranhas-DiantalvicArt50AcompliaVioxxChampixPseudoephédrine, et bataillant pour une bouée « HAS » contre une sirène en mini-jupe ?
Merci d’avance. Bisous.

Psychamnésie

17 janvier, 2009

Je suis toute jeune interne, dans mon tout pourri stage de rhumato.

Je vais voir une patiente qui vient d’arriver pour faire la première évaluation, la première observation du dossier.
Avec ce que j’ai en moi de passion pour les interrogatoires bien menés, avec ce que j’ai en moi de psycho-rigidité de fourmi autiste qui ne vit que pour les petites cases aux coins carrés, luisants et strictement superposables, avec ce que j’ai en moi de fierté  et de soif que le monde entier soit  irrévocablement au courant de ma perfection, et avec ce que j’ai en moi de haine contre ceux qui daignent atterrir parfois dans le monde des communs pour poser dans un coin du dossier leurs hiéroglyphes grandioses et parfaitement illisibles, donc inutilisables, donc potentiellement dangereux (x___8/i- @ /_  ___°//° –> Od£   signifiant  « Allergie à la pénicilline –> Oedème de Quincke », par exemple), avec ce que j’ai en moi de tout ça, disais-je donc avec ce que j’ai en moi de tendresse amusée pour les phrases trop longues, je rédige l’observation parfaite.

Les différents paragraphes et sous-paragraphes sont clairement visibles (les titres des paragraphes sont écrits en majuscules et encadrés, les titres des sous-paragraphes sont en retrait et soulignés), les antécédents sont parfaitement renseignés, l’historique des différents traitements, des différents intervenants, l’histoire de la maladie, les signes négatifs, tout y est.
Dans l’ordre.
Avec les informations pertinentes mises en valeur et un résumé encadré à la fin pour ceux qui n’auraient pas le courage de tout lire.
(Et des fois, j’avoue, quand je me suis trompée (par exemple quand j’ai encadré un sous-titre au lieu de le souligner), je fais comme avec mes cahiers à l’école : je recopie tout plutôt que de m’autoriser une rature.)
(Je déconnais à moitié quand je parlais de psycho-rigidité… J »ai dû sérieusement travailler là-dessus…)

Parce que forcément, les gens trouvaient mes observ trop longues.
Personnellement, je reste convaincue que ce n’était pas du temps perdu, mais du temps investi. On lit l’essentiel si on veut l’essentiel, mais le jour où on cherche une info un peu accessoire qui est devenue importante, bam ! Elle est dans mon observ.
Mes co-internes en gériatrie me bénissaient quand je leur envoyais une patiente des urgences. Mode de vie, coordonnées du médecin traitant et des enfants, rien ne manquait. Je leur économisais une demi-matinée à chercher comment renvoyer la dame chez elle.
Mes co-internes me bénissaient quand ils me succédaient à une garde et qu’ils reprenaient mes dossiers. Non, le patient n’a PAS eu de rectorragies, non, il n’a PAS pris d’AINS, non, ce n’est pas la peine d’aller lui re-demander, je l’ai écrit.  Je n’ai pas eu l’occasion souvent de bosser avec des plus-petits-que-moi, je n’ai presque jamais eu d’externes, mais quand j’en ai eus, je les bassinais avec l’importance des signes négatifs.
Les médecins que je remplace, qui, sans doute, me maudissent de temps à autres devant mes pavés, me béniront s’ils ont un jour un procès, quand on trouvera dans le dossier la liste méticuleuse des signes que j’ai cherché sans les trouver, et les raisons pour lesquelles je n’ai pas programmé d’examens complémentaires.

Une belle observ, un bel interrogatoire, parfois, c’est comme une belle démonstration de mathématiques.
Sachant que x, y, z, sachant que NON-p, NON-q, NON-r, la probabilité est forte pour que le diagnostic soit D.
Connaissant la VPP et la VPN de tel ou tel examen complémentaire, la probabilité pour que le diagnostic D soit retenu au sortir de l’examen E rend non pertinent la réalisation de l’examen P…
Bref, ça peut être beau.

Et c’est avec une fierté que je crois toute légitime que je vais ranger l’observ de Mme M. dans son ancien dossier.
Dossier pas si ancien que ça, en fait.
Elle a été hospitalisée chez nous il y a un petit mois, en fait.
Et dans le dossier, il y a une observ.
Avec des cadres, des majuscules et des titres soulignés.
Et oui, bien sûr, strictement les mêmes mots, dans strictement le même ordre.
Photocopie.
Au jeu des sept erreurs, vous n’en auriez trouvé que quatre ou cinq.

Ma psychorigidité a dû oublier de s’appliquer à ma case « mémoire ».
La dame a dû me prendre pour une folle.

Chasteté

22 octobre, 2008

Au début, je n’osais pas dire non.

Il faut dire que tout le monde l’avait déjà fait.
C’était un peu mode, ça en jetait.
Çafaisait « grande ».
On avait épié les plus vieux, et c’était un peu le rituel de passage dans la vie de grande personne.
Et puis ça aurait été vexant que je dise non, quand tout le monde disait oui.
Çaaurait fait pimbêche.

Alors, je disais oui.
Çane m’enchantait pas franchement, et il faut bien avouer que je m’ennuyais sec.
Et puis je me sentais un peu sale. Mais c’était fait, j’étais comme tout le monde, et je ne me faisais pas remarquer. J’avais décidé de le faire en pensant à autre chose, et ça me simplifiait la vie.

Et puis, un jour, j’ai pris assez d’assurance pour oser dire non.
Justement parce que j’étais assez grande pour avoir l’audace de le faire.

Ça a fait parler, forcément.
Ce n’était pas franchement malvenu ou impoli ; c’était juste incongru.
Et complètement inhabituel dans un milieu où c’était tellement banal.

J’étais devenue :  » L’interne qui ne reçoit pas les labos ». (tambours)

C’était un peu dur, parfois, de refuser LA lampe à regarder les pupilles que je piquais à tous mes co-internes en me jurant de trouver le temps pour aller m’en acheter une bien à moi.
Les deux seules entorses que je me suis accordées ont été quelques petits pains abandonnés qui restaient dans la salle de détente vide, quand personne ne regardait, et une poignée de stylos quand j’étais en rade. Mais, et j’y tiens, toujours chourée dans la poche d’un collègue, et jamais à la source.
Ah, et oui, ma fidèle règle à ECG que-tous-les-cardiologues-ont-la-même-et-qu’elle-est-la-mieux-mais-que-c’est-dommage-y-en-a-plus (la jaune fluo transparente, pour les connaisseurs) ; mais celle-là, je l’avais reçue de « mon externe » quand j’étais P2.
Autant dire que ça ne comptait pas.

Je n’ai pas beaucoup de mérite.
J’ai été profondément aidée par ma première rencontre avec Le Médecin, qui, non content de m’avoir soufflé ma vocation, m’a appris à peu près toutes les choses importantes que je sais aujourd’hui, et par ma première rencontre avec un couple de visiteurs médicaux, qui m’a confirmé au moins une partie des choses importantes que je sais aujourd’hui.
J’ai eu la chance de tomber sur Laurel et Hardy. Laurel, c’était le grand, naturellement, qui écoutait d’une oreille attentive les débuts hésitants du petit.
Le petit, tout petit qu’il était, n’était pas encore très bon. On aurait dit un joli magnétoscope, avec une jolie bande et un joli sourire plein de dents. Il prenait une grande inspiration, et il commençait sa tirade, qu’il poursuivait jusqu’au moment crucial du manque d’air. Il me faisait tendrement penser à Nicolas, mon très bon copain pas très fort de l’école, au CE1.
« Unefourmidedisuimètre-Havecunchapeausurlatête-Canéxisteupa !-Canéxisteupa !« …
A la fin, ils nous ont sorti de leur jolie sacoche-Mary-Popins un joli ordonnancier, pour nous faire gagner du temps, avec le Fosavance déjà prescrit, tous les conseils de prise déjà écrits, et plus que le tampon à mettre en bas à gauche. Vraiment sympas de nous épargner tant de peine.

Du coup, donc, j’ai appris à dire, avec, moi aussi, toutes mes dents : « Ah, merci beaucoup, mais je suis désolée, je ne reçois pas les visiteurs médicaux. »
Ils me regardaient d’un oeil arrondi, et, très professionnels, ne se départaient pas un dixième de seconde de leurs sourires émail diamant super white granules actives qui pouvaient se prévaloir de la co-signature de l’union française pour la santé bucco-dentaire.
Ils jouaient la carte « Je respecte tout à fait ça, mais ça m’intrigue, expliquez-moi donc pourquoi ? »

Au début, j’étais un peu gênée.
Désolée, même, du même désolement que j’ai pour les gens qui appellent pour vendre une chouette cuisine mobalpa pendant qu’on est en train d’essayer de ne pas foirer la cuisson des pâtes, et qu’on envoie bouler en se sentant vaguement coupable envers le pauvre employé dont le seul tort est de faire son boulot.
Alors je me justifiais : « J’essaie de rester indépendante, vous comprenez, je me forme ailleurs, je suis abonnée à des revues… »
Alors ils m’expliquaient que c’était très bien d’être indépendante, qu’ils ne demandaient que ça, que je sois indépendante, et qu’ils voulaient juste me donner les informations nécessaires à mon indépendance.
Alors je bredouillais que oui, peut-être, mais que c’était comme ça, que j’étais désolée, que ce n’était pas personnel.
Ils redoublaient de dents, en disant qu’ils comprenaient très bien, et revenaient me voir la semaine d’après en disant qu’ils se souvenaient bien de ce que j’avais dit, qu’ils n’allaient pas m’embêter, mais que juste ils avaient un chouette livre sur la prise en charge des urgences chirurgicales et qu’ils me le donnaient sans me parler, juste comme ça sans que j’aie à m’inquiéter.

C’était fatigant.
Et, un jour où j’étais particulièrement fatiguée, avec l’envie d’à peu près tout sauf de recommencer l’éternel bi-monologue, je me suis entendue répondre à l’éternelle question « Ah, tiens ?! Mais pourquoi ?  » :

– Mon grand-père s’est fait écraser par un visiteur médical.

L’œil que je croyais déjà arrondi a atteint des proportions jamais imaginées.
Simple, décisif, implacable ; jouissif.
Depuis, c’est ma phrase fétiche.
L’essayer c’est l’adopter.

Encart publicitaire

1 octobre, 2008

Hop hop hop.

Je ne le fais pas souvent, mais comme ça vaut vraiment le coup, je vais le faire.

Et puis ça me donnera l’occasion de saluer au passage celui qui a fait récemment entrer dans mes statistiques de recherches google la très, très belle :
Comment se faire bien sucer par une infirmière salut « jaddo »
Ca m’a fait bien rire…

Encart publicitaire, donc.

D’abord, parce qu’il est dans mes liens mais qu’il mérite amplement une vraie, nette et claire pub : le merveilleux site Traducmed.
Plus le temps passe, plus j’adore internet.
La révolution qui permet d’avoir accès à un petit bijou d’aide à la consultation, un travail probablement gigantesque en amont et une gratuité et une utilité totales en aval.
Encore merci pour ça.

 Ensuite, et pour compléter un peu la bannière « Touche pas à ma prostate » que vous avez vue fleurir en haut à droite du blog, une excellente vidéo éducative :
Pour signer la pétition, y a qu’à cliquer sur la bannière.
Pour voir la vidéo, (merci Rightwolf, merci Thomas pour le mode d’emploi), c’est juste en dessous :


Le dépistage du cancer de la prostate n’est pas recommandé
par dailyglub

Burodiotie

28 août, 2008

Allez, un troisième, parce que je suis vraiment fâchée.

Régulièrement, je reçois en consultation des gens pour des formalités certificatoires en vue d’un nouvel emploi. A la mairie, ou à l’hôpital, le plus souvent.

Certifier que les vaccins sont à jour et/ou les remettre à jour le cas échéant ? Je veux bien.
Certifier que M. Truc ne m’a pas l’air d’être un psychopathe qui va descendre tous ses collègues le premier jour à grands coups de tronçonneuse dans la tête ? Pourquoi pas.
Donner les dates des trois premières injections de vaccin anti-hépatite-B, bon, allez, ça ne mange pas de pain.
Donner la date du dernier rappel anti-hépatite B (*), ça commence à me faire doucement marrer. (Surtout quand c’est écrit « Bureau du personnel des hôpitaux de Ville » en en-tête.)
Prescrire une radio de thorax de dépistage, comme ça, pour le fun, ça commence à me faire sérieusement grincer des dents.

Le gars, il va faire le ménage à la mairie.
Il n’a aucune raison valable d’avoir la tuberculose, d’ailleurs il est né à l’époque où on vaccinait tout le monde, il n’est pas originaire d’un pays à risque, il n’a aucun fucking signe clinique, il n’a personne qui tousse dans son entourage, il se porte comme un charme.
Et M. Administratifdemescouilles a décidé que quand-même, on allait lui faire une radio de thorax.

Je veux dire, si ça servait à quelque chose de faire une radio de thorax comme ça sans raison apparente à un adulte jeune, on ferait des radios de thorax comme ça sans raison apparente à tous les adultes jeunes.
Mais non. Ca sert à rien.
Et si encore ça ne servait qu’à rien…
Faire un examen qui ne sert à rien, ça ne sert pas qu’à rien, c’est dangereux.
Ca irradie pour rien, pour le cas de la radio (bon, ok, ça irradie pas grand chose, mais quand c’est pour rien, c’est quand même dommage…), et ça fait courir le risque de trouver un truc à la con, qui ne veut rien dire, qui n’aurait jamais fait parler de lui si on ne l’avait pas cherché, et qui va déboucher sur des kilotonnes d’examens en plus qui ne serviront à rien (et hop, pour chacun, on re-crée le risque de tomber sur une fausse-anomalie, on boucle la boucle, et vas-y que j’exponentielle) et sur des kilotonnes d’anxiété pour un patient qui se croyait – à juste titre – en parfaite santé.

Pardonnez moi, mais ils se prennent pour qui, au juste, ces merdeux dans leurs bureaux, à m’expliquer à qui je dois faire passer quel examen ?
Est-ce que je leur demande, moi, avant de les autoriser à me déclarer médecin traitant, la photocopie de leur carnet de famille ou la taille de soutif de leur soeur ?

Je bous, j’enrage, et je prends mon ordonnancier pour prescrire la radio de thorax.
Je l’ai fait au début, prendre mon ordonnancier pour écrire :
« Je soussignée Dr Rrr, certifie que M. Boulot ne présente aucune indication à la réalisation d’une radiographie de thorax »,
mais ce faisant, c’est mon patient que je mets dans la merde.
Le connard dans son bureau, là-haut, il s’en contre-fiche que M. Radio ait besoin ou pas d’une radio. Entre deux postulants, il prendra pour le poste le premier qui présente sa radio de thorax.
Et c’est M. Radio qui jouera le rôle de la balle de tennis dans la partie que je m’apprête à engager avec le merdeux.  C’est lui qui joue son poste.
Alors, la mort dans l’âme, je fais l’ordonnance.
En précisant au radiologue à grands coups de point de suspension tout le bien que je pense de l’examen que je suis en train de prescrire.

Un de ces jours, je les appelerai.
Je tomberai sur une gentille administrateuse qui n’y sera pour rien, et qui m’expliquera que c’est comme ça, que c’est la loi, et qu’elle n’y peut rien, mais que si le monsieur ne ramène pas sa radio, on ne pourra pas valider le formulaire B37, et que ça va empêcher sa postulation de nettoyeur de mairie.
Je serai sans doute encore plus énervée en raccrochant.
Mais il faut bien faire quelque chose, non… ?  

 

(*) Ca fait plein d’années, qu’on en fait plus, des rappels. C’est trois piqûres et basta.

A un moment donné de sa consultation, M. Jeune, la trentaine, parle de « check up ». (Le fameux « check up », vaste sujet s’il en est…)

Vaccins à jour, aucun antécédent particulier si ce n’est un peu de cholestérol dans la famille et quelques crises d’asthmes pour lui, qui se sont tassées d’elles-mêmes vers ses 7-8 ans.
On cause dépistage, sérologies & co : pas de soucis de ce côté-là non plus, il est en couple depuis longtemps, sans conduites à risque, tout roule.
Et puis d’ailleurs, il a fait un dépistage il y a quelques mois, hépatites et sida, parce qu’il a acheté un appartement avec son amoureuse.
Moi, du haut de ma grande naïveté, je demande quelques précisions d’un posé : « Heuuuuu… Quoi ?? »

Bin oui, il a acheté un appartement, alors il a dû faire un prêt, alors l’assurance de la banque lui a demandé de prouver qu’il avait pas le sida.
Normal.
Tout va bien.
Ah, et d’ailleurs, son prêt, il l’a payé 1,5% plus cher à cause de « son asthme ».

Voui voui voui, « son asthme« .
L’antécédent qui n’existe plus, qui a toutes les chances de ne plus jamais refaire surface et qu’il partage avec un bon 13% de ses contemporains.

Je n’ai pas demandé quels autres antécédents on avait rentré dans la calculatrice, ou pire, quels autres examens pertinents on lui avait fait passer ; j’étais suffisamment de mauvaise humeur.
Je ne me suis pas demandé ce que j’aurais conseillé, moi, s’il était venu me voir avant avec le questionnaire de l’assurance pour me demander mon avis sur les antécédents à signaler ; j’étais suffisamment de mauvaise humeur.
J’ai préféré ne pas me poser la question.
J’ai rentré ma tête bien profondément dans le sable.
La prochaine fois, peut-être, je choisirai d’en jeter quelques grains dans les rouages administratifs vicieux de l’assurance de la banque.

Et tenez-vous bien (tenez-vous mieux), j’ai mieux.

Quand j’étais externe, j’avais vu une vielle dame mal en point aux urgences.
Elle ne va vraiment pas bien. Hospitalisation, bilan, bataclan.
Son fils, la cinquantaine, qui l’accompagne, vient me voir une fois les questions médicales gérées. Il me demande de remplir le questionnaire de l’assurance, pour l’annulation de son safari en afrique, dont le départ est prévu dans quelques jours.

Ce truc, j’aurais dû le photocopier pour m’en servir de guide pour tous les dossiers à venir.
Antécédents médicaux, chirurgicaux, familiaux.
Traitement en cours.
Plaintes du patient.
Examen clinique.
Hypothèses diagnostiques, examens complémentaires prévus, diagnostic retenu.
Et, je vous jure, du haut de toute ma mémoire :

– « Les antécédents médicaux ont-ils un rapport direct ou indirect avec une consommation excessive d’alcool ou de drogues ? »
– « La pathologie actuelle a-t-elle un rapport direct ou indirect avec une consommation excessive d’alcool ou de drogues ? »

Parce que bon, on veut bien vous annuler votre voyage au Kenya si votre mère s’est pété le fémur dans un tremblement de terre ou si elle s’est noyée dans l’innondation de sa maison, mais sa rupture de varices oesophagiennes, on pourra pas dire qu’elle l’a pas méritée, cette sale alcoolique.

J’ai pris une vieille ordonnance, et j’ai écrit :
« Je soussignée Dr Rrr, certifie que l’état de santé de Mme Salealcoolique nécessite une hospitalisation en urgence et la présence de son fils M. Futuralcoolique à ses côtés« .
Ca n’allait probabement pas passer.
Mais je n’allais quand même pas remplir leur machin.

En même temps, quand on voit comme c’est dur d’obtenir des renseignements médicaux sur quelqu’un…
Il suffit d’appeler le secrétariat du Dr Spécialiste (de préférence un hospitalier) et de dire : « Bonjour, Dr Rrr à l’appareil. Je suis interne aux urgences de (la ville d’à côté) et nous venons de recevoir Mme Salealcoolique. J’ai un peu de mal à faire le point sur ses antécédents, pourriez-vous me faxer ses derniers comptes-rendus au (numéro de fax) s’il vous plaît ?« , et l’affaire est dans le sac.
Si vous n’avez pas de fax sous la main, vous pouvez demander qu’on vous les lise par téléphone, ça marche aussi.

Si j’étais agent d’assurance, moi, c’est ce que je ferais.
Et m’est avis qu’ils ne se gênent pas.