Autorité médicale

12 janvier, 2008

Internat, urgences pédiatriques.

Elle nous amène sa fille, deux ans à peine, parce qu’elle a mal au ventre.
Elle a mal au ventre parce qu’elle est constipée.
Après l’examen, quand j’ai bien palpé le ventre dans tous les sens (et vas-y que je masse), la petite a envie de faire caca. Et elle fait caca. Et elle n’a plus mal au ventre.
L’imposition des mains, ça s’appelle.
Les amis, y a pas, je suis trop forte.

La mère me dit, sur le ton dont on se plaint du temps qu’il est pas beau ou des impôts qu’ils sont trop chers :
« Vous savez, elle est souvent constipée. Mais forcément, elle mange queeeuuu des bonbons… » Levant les mains au ciel : « Tooooooooute la journée !!!« 

Genre la gamine est atteinte d’une maladie génétique orpheline qui lui fait pousser des bonbons à même la bouche.
Je me moque, je me moque, mais c’est vrai, ils sont pas faciles à cet âge là.
Ils vous disent « Moumou je t’aime » pour endormir votre méfiance, et dès que vous avez le dos tourné, ils vous chourrent les clés du scooter pour aller acheter des Dragibus au Champion.

Et quand je dis que bah oui, forcément, les bonbons toute la journée, ça aide pas, elle se tourne vers sa fille, me pointe du doigt et dit :
« Aaaah ! Tu vois ? Tu écoutes, ce que dit le docteur ? »

Deux ans, la gamine.
L’autorité médicale, y a qu’ça d’vrai.

C’est dur, d’être attentif jusqu’au bout de son examen.

A la fin de la journée, en plein hiver, en pleine épidémie de gastro, à la douzième sciatique, on finit par commencer ses consultations avec une idée toute faite et un diagnostic déjà posé.

– Des vomissements ? –> Et allez hop, encore une gastro.
– Seixième enfant-qui-tousse-malgré-le-traitement-commencé-la-veille-par-le-médecin ? –> Encore des gens qui s’imaginent qu’on peut faire passer la toux d’une grosse crêve en 24h de gélule magique, et qui s’imaginent que les urgentistes sont de grands spécialistes toussologues avec des médicaments super mieux.

On pose le stéthoscope parce qu’il faut bien le faire, parce qu’on le fait toujours, parce que c’est la trentième fois de la journée qu’on le fait.
Et après, il faut encore penser à écouter. Ecouter vraiment. Avec ses oreilles.
Pas juste faire les gestes et prendre une tête concentrée.

Parfois on oublie.
Parce qu’on voit bien, à la bouille de l’enfant qui gazouille et qui sourie, à l’absence de fièvre, à son nez plein de morve, à ses parentes idiots qui viennent aux urgences tous les trois matins, comme on passe au Mc Drive, qu’on n’entendra rien dans ses poumons.
Parce qu’on examine moins bien le ventre de celui qui vient parce qu’il a mal aux oreilles que de celui qui vient parce qu’il a mal au ventre, et que, peut-être, on est en train de passer à côté de tout autre chose.
Parce que, parfois, le moment qu’on prend pour faire semblant d’examiner le ventre nous sert à prendre le temps de réfléchir. Antibiotiques ou pas ?

Et puis, de temps en temps, au milieu de tous les patients qui vont bien et qui ont l’air d’aller bien, de tous ceux qui vont mal et qui ont l’air d’aller mal, il y a les petits vicieux qui vont mal et qui ont l’air d’aller bien.
De temps en temps, alors qu’on vient à moitié d’engueuler les parents parce qu’ils sont venus nous déranger pour trois fois rien, ça siffle à tout va dans les poumons.
De temps en temps, c’est pas une gastro, c’est une appendicite.

C’est difficile, vraiment, de rester concentré tout le temps.

Bouillon

6 janvier, 2008

Je n’ai pas de grandes ambitions carriéristes.
Enfin, disons que les ambitions qui me paraissent déjà énormes (avoir un cabinet, avoir des patients qui me respectent et qui me font confiance, et passer à leurs yeux pour un bon médecin) ne sont pas celles qui font rêver la plupart des gens.
Je n’ai pas envie d’être chef de service, je n’ai pas envie d’être prof à la fac, je n’ai pas envie de décrocher les diplômes accessoires qui feront de moi un généraliste spécialisé en veinologie ou en nutrition ou en urgences.

Mais quand-même, parfois, je rêve d’être un jour la grande chef de service, pour imposer mes lois et mes caprices.
Et pour prévenir mon équipe que :

– Dans mon service, on frappe à la porte avant de rentrer dans une chambre. Toujours. Sinon on est viré. Ahahahahhaha, oui, comme ça, pouf, c’est moi qui décide.
– Dans mon service, on appelle les gens par leurs noms, et pas « Mamie » ou « La cirrhose du cinq ».
– Dans mon service, on parle aux gens à la deuxième personne du pluriel. Pas à la troisième du singulier.
– Dans mon service, on se présente aux patients. On dit qui on est et ce qu’on va faire.
– Dans mon service, on met des draps sur les gens qui sont tout nus.

Dans ma longue série hospitalière des « N’oublie pas« , il y a tous ces détails idiots, toutes ces choses insignifiantes, mais qui prendraient si peu de temps à l’équipe soignante, et qui changeraient radicalement le vécu et l’hospitalisation des patients.

Parce qu’il est juste intolérable de voir quelqu’un surgir dans sa chambre sans crier gare, pendant qu’on est tout nu, ou en train de faire pipi, ou en train de se gratter les couilles. Parce que c’est bon, on a bien compris qu’on est là de passage, et que ce n’est pas vraiment notre chambre, mais celle de l’hôpital, celle de l’infirmière, celle du médecin. Qu’ils sont là chez eux, et qu’on est le quatre-cent-vingt-quatrième « patient de la 12 » de l’année. Qu’ils pourraient aussi pisser aux quatre coins de la chambre pour rendre les choses plus claires.

Parce que je prépare un post complet sur l’habitude insensée d’appeler les patientes par leur nom de jeune fille.

Parce que s’il est déjà pénible de s’entendre demander par la bouchère si « elle va bien ?« , alors qu’on est habillée et digne et maquillée, il est parfaitement insupportable de s’entendre demander si « elle a fait pipi ? » alors qu’on a le cul apparent dans une blouse trop petite et mal fermée, la main sur le pied à perf qu’on essaie péniblement de transporter jusqu’aux toilettes, pour, justement, essayer de faire pipi soit-même comme un adulte dans des toilettes normaux, et pitié, pitié, pas sur le bassin pendant qu’on nous regarde faire et qu’on s’impatiente parce qu’on ne va pas assez vite.

Parce qu’il y a un moment où il faut arrêter de prendre les gens pour des cons, et apprendre à faire confiance à leur sens commun. Parce que quand on se retrouve le thorax sous la sonde d’échographie d’un type qui a visiblement 26 ans, qui fronce les sourcils, qui repasse quarante fois au même endroit, qui fait traîner l’examen sur quarante minutes, qui n’explique rien, qui hésite, qui se trouble, qui finit par bredouiller qu’un « collègue va repasser pour jeter un coup d’œil », on a envie de lui dire « Écoute coco, j’ai bien vu, que tu apprends, là, que tu t’exerces. Et ça ne me dérange pas. Et je comprends qu’il faut bien que tu apprennes. Mais juste, il aurait suffit que tu me le dises, que tu te présentes, que tu me le dises, enfin, que tu es étudiant et que tu apprends à faire des échographies, et que tu me demandes l’accord que je t’aurais donné si volontiers. »

Parce qu’avec les équipes qui changent sans arrêt, sur 8 ou sur 12 ou sur 24 heures, les blouses blanches de jour, les blouses blanches de nuit, les blouses blanches du week-end, les blouses blanches des médecins, les blouses blanches du matin, les blouses blanches des infirmières, les blouses blanches de l’après-midi, les blouses blanches des aides-soignantes, on finit par ne plus savoir qui est qui et qui remplace qui.

Parce que toutes ces choses évidentes pour nous (« Bin, je suis le médecin, voyons« ) , qu’on oublie de préciser puisque pour nous, on est le médecin tous les jours, 24h sur 24, et l’externe c’est moins fort que l’interne, et le liseré bleu sur la blouse c’est pour dire qu’on est la sage-femme, ce sont des choses que ne savent pas les gens normaux. Et que oui, il faut s’astreindre à faire l’effort de le redire, à tous les nouveaux patients, tous les quarts d’heure, inlassablement.

Parce qu’il faut se souvenir continuellement que l’hôpital est un monde à part, plein de significations et de peurs et de croyances, et que nous avons une vie pour nous y adapter.
Alors que les patients y sont projetés du jour au lendemain, alors même qu’ils sont affaiblis et malades, et effrayés.

Placébeau

6 janvier, 2008

Ils sont beaux, les médecins.
Ils sont grands, et ils ont une blouse très blanche, ou une grosse sacoche en cuir et un joli costume avec la touche précise de suranné qui inspire confiance .
Ils rentrent dans la chambre que le patient est déjà à moitié guéri.
Ils portent leur effet placebo au bout de leurs les tempes poivre et sel de celui-qui-a-déjà-tout-vu ou de leurs brillants badges rouges qui proclament, sur fond de chaîne en or et de pectoraux velus : « Interne en chiiii-ruuuuur-giiiiie« .

Alors forcément, quand je débarque dans une chambre avec mes couettes, mes joues de hamster et mes tâches de rousseur…

Au téléphone : excuse-moi, je dois te laisser, l’infirmière est là.
A l’interne en chiiiiruuuurgiiiiie que j’ai appelé pour un avis, qui veut vérifier l’état de confusion d’un patient, et qui me pointe du doigt en demandant qui je suis : c’est votre assistante, docteur.
Quand je viens d’interroger le patient, de l’examiner, de lui expliquer ce qu’il a et comment on va le traiter pendant 15 bonnes minutes de hochements de tête, après cinq ou six « Oui, oui » : Oui, oui, mmmhh, d’accord. Mais quand est ce que je vais voir le médecin ?

Je ne compte plus combien de fois j’ai dit « Mmm… C’est moi le médecin ».

En même temps, bien fait pour moi, ça m’apprendra à me présenter.

En même temps, j’ai de la chance, on me prend pour l’infirmière. Ma collègue congolaise, on la prend pour la femme de ménage.
C’est vrai quoi, on n’a pas idée d’être médecin et jeune, jolie ET noire.

Epique équipe

6 janvier, 2008

Dans la plupart des services où je suis passée, j’ai été la grande chouchoute de l’équipe paramédicale.

Grâce à mes hauts faits. Très très hauts. Voyez plutôt :

– Je dis bonjour
– Je dis bonjour en souriant !
– J’essaie de contourner le sol encore mouillé qui vient juste d’être lavé au lieu de marcher dessus avec mes gros sabots genre C’est-pas-tout-ça-mais-j’ai-des-vies-à-sauver
– Je dis s’il vous plaît quand je demande un truc
– Le matin, avant le tour, dans le dossier des patients, je lis aussi les transmissions des infirmières et des aides-soignantes.

Et plus sérieusement :

– J’ai compris depuis longtemps qu’une infirmière qui a plusieurs années d’expérience dans le même service sait plus de choses que moi qui vient de débarquer, et j’écoute les conseils et les réflexions qu’on me fait.

– J’ai appris depuis longtemps que l’équipe paramédicale est une source précieuse d’informations sur le vrai état des patients. Qui disent toujours « Ca va très bien » au médecin, et « J’ai trop mal« , ou « Je suis constipée« , ou « Je ne veux pas qu’on me transfère dans cet hôpital, c’est trop loin de chez moi » aux infirmières et aux aides-soignantes.

– J’ai une sincère et profonde admiration pour leur travail, qui va très, très au delà de la bête exécution des gestes techniques qui sont prescrits.
Parce qu’elles passent chaque minute auprès des patients, de leurs douleurs, de leurs questions, de leurs plaintes, quand on peut se réfugier derrière nos dossiers et nos chiffres.
Parce qu’elles sont la chair à canon des urgences, parce qu’elles sont au front, et que ce sont elles qui reçoivent en pleine face l’agressivité des gens. Qui sont odieux avec elles et adorables avec nous, puisqu’ on est LE DOCTEUR.
Parce ce que ce sont elles que les patients engueulent quand ils attendent depuis trop longtemps dans la salle d’attente, alors que c’est nous qu’ils attendent.
Parce qu’aux urgences, elles ont la très lourde, et très médicale tâche de repérer si un patient est « grave » ou « pas grave », et de nous alerter en fonction.
Parce que ce sont elles qui attirent notre attention sur le petit qui n’a vraiment pas l’air bien, et qui, parfois, en définitive, lui sauvent la vie.
Parce qu’elles sont nos yeux, nos oreilles, notre adrénaline, et que c’est nous qu’on remercie à la fin.
Parce que pas plus tard qu’aujourd’hui, c’est grâce à l’une d’elle que j’ai pu rappeler un patient que j’avais fait partir avec une ordonnance de QUARANTE FOIS la bonne dose quotidienne de primpéran.

Bref, s’il existe un top-ten des personnes qu’on ne peut pas accuser de se la jouer « Toi et moi on n’est pas sur le même barreau de l’échelle Cocotte« , je crois bien que je mérite d’y figurer.

Et parfois, malgré tout, on se noie dans des conflits qu’on n’a pas déclenchés. Parce qu’on tombe sur quelqu’un qu’on a trop souvent pris pour un con, ou parce qu’on tombe sur un con authentique.
Parfois, tout devient sujet à polémique. C’est la compétition permanente. Ahahah, il va bien voir, l’interne, que j’en sais plus que lui et que je ne suis pas qu’une infirmière à la con.
Non mais je sais, hein, ce n’est pas la peine de t’acharner à le prouver comme ça. Ce n’est pas la peine de chercher la petite bête dans la moindre de mes prescriptions. Ce n’est pas la peine de me le dire sur ce ton triomphal. On pourrait peut-être juste discuter, simplement, de ce qu’on pense meilleur pour le patient. Sans compétition, sans concours, sans sous-entendus, sans guerre des classes inutile, inopérante et absurde. Avec des mots. En équipe.
En équipe, quoi, merde.

Tout ceci devait être le préambule à mon histoire avec le brancardier de réa.
Comme ça commence à faire long, comme préambule, je vais m’arrêter là et me garder le brancardier sous le coude.

Bonne année mon cul.

3 janvier, 2008

Le titre, c’est juste pour un hommage à Desproges.

Le post, c’est juste pour signaler qu’en 26 et 27ème position des mots-clés qui ont amené des gens à visiter mon site, bien rangés entre les plats « dresseuse d’ours blog hopital » et « dresseuse dours », il y a :
– 27ème : dresseuse de male
– 26ème : dresseuse de bites

Bonne année à tous.

Vider les truites

3 janvier, 2008

– Et qu’est ce que vous faites dans la vie ?
– Je suis médecin.
– AaaaaaaaAAAAAHHHH !!?? Ouhlala, dites doooooonc !!!! Et quelle spécialité ?
– Je suis généraliste.
– Oh.

– Non non non, c’est très très bien, généraliste. C’est très bien, ça te va très bien…. Mais pédiatre, ça te plairait pas, pédiatre ??

– Et qu’est ce que tu fais comme spécalité ?
– Je suis généraliste.
– Ah. C’est six ans, c’est ça ?
– Non, c’est neuf.
– Ah. Mais le concours de l’internat, c’est pas à la sixième année ??
– Si si. Mais après, on fait 3 ans ou 3 ans et demi de spécialisation en médecine générale.
– Aaaah ? Oh bin je croyais que c’était que les spécialistes qui faisaient ça.

– Je suis embêtée de vous demander ça, je sais pas si vous pouvez, mais je n’ai pas pu avoir de rendez-vous avec ma gynéco avant le 17, pour mon renouvellement de pilule, et je ne vais pas en avoir assez….

– Et ça te plaît, en ce moment, ton stage de pédiatrie ?
– Oui, c’est bien…
– Mais je veux dire, si tu pouvais choisir une spécialité, tu ferais quoi ?
– J’ai déjà choisi une spécialité, j’ai choisi généraliste.
– Non mais je veux dire, je sais, là, que tu peux plus choisir. Mais si tu pouvais choisir, tu ferais quoi ?
– Bin je ferais généraliste.
– Non, mais si tu pouvais choisir une SPE-CIA-LI-TE ?
– GE-NE-RA-LISTE.

– Le pédiatre ne peut pas me voir aujourd’hui, j’ai rendez-vous dans une semaine pour ses vaccins, mais là, il me fait de la fièvre depuis hier midi. Alors je me suis dit, bon… Vous avez le droit d’examiner les enfants ?

– Alors, tu vas pouvoir faire ton stage chez ton ami généraliste, là ?
– Je ne crois pas, pour finir. Mais en même temps, je me console en me disant que j’aurais eu vraiment trop le trac.
– Ah ? Pourquoi ??
– Bin, c’est quelqu’un que j’admire vraiment beaucoup, je crois que j’aurais eu trop peur de le décevoir…
– Le décevoir ? Bin, pour diagnostiquer des gastros et des grippes, hein….

Elle a 2 ans, elle est amenée par sa mère hystérique d’inquiétude aux urgences à 2h du mat.
Elle a été vue la veille pour la même raison : de la fièvre. On n’a rien trouvé, on lui a dit de repasser dans 3 jours si ça persiste.

La mère, elle, ne dort plus depuis 4 jours, elle n’en peut plus, elle débarque en hurlant. Je suis obligée de lui dire à plusieurs reprises « S’il vous plaît, arrêtez de crier, je suis juste à côté de vous. »
Elle m’énerve déjà, sa gosse a été vue la veille, on lui a dit de repasser dans TROIS jours et elle n’en fait qu’à sa tête.
C’est qu’il est tard, que je suis épuisée et que j’en oublie le premier commandement de la pédiatrie : « Toujours faire confiance à une mère qui s’inquiète ».

J’examine le bambin comme je peux, j’écoute ses poumons quand il reprend sa respiration entre deux hurlements, j’essaie d’y voir quelque chose dans le brouillard épais que la tension qui embue peu à peu la chambre a fait naître.
Je ne trouve rien.

Je vais voir ma chef, je lui dis que je ne trouve rien, je lui demande de ré-examiner la petite.
« Lance le bilan, je verrai après », qu’elle me dit.
Soit, je lance le bilan.

Radio de thorax, examen d’urines, prise de sang.
Trois heures plus tard, la petite a enfin fait pipi, et la prise de sang nous confirme ce qu’on savait déjà : il y a une infection tapie quelque part.
Mais ni dans le thorax, ni dans les urines.
Ma chef passe pour revoir l’enfant.
Courageusement, j’avais annoncé clairement les choses à la mère : « Je n’ai rien vu d’anormal, je vais demander à ma chef de passer la voir au cas où je serais passée à côté de quelque chose ».

J’étais passée à côté d’une magnifique otite bilatérale. Des tympans en feu, des deux côtés.
La mère est terriblement soulagée.
Elle me remercie quatre fois avant de partir.

Oh bah de rien, hein.
Je t’ai juste coûté trois heures d’attente sur une chaise avec une gamine en pleurs, ta nuit, celle de ton enfant, et vos deux journées de demain pour ce qui aurait dû être un diagnostic de 10 minutes.
Et à la sécu, j’ai dû coûter pas loin de 200 euros d’examens pour ce qui aurait dû être un diagnostic clinique.

Il faudra juste qu’on m’apprenne comment PUTAIN DE DIABLE on peut voir les tympans d’une môme qui hurle et qui se débat.
A bien y réfléchir, il faudra juste qu’on m’apprenne comment voir des putains de tympans tout court.

Tu n'apprendras jamais, bis.

11 décembre, 2007

« Tu n’apprendras jamais, bis« , donc.
Ou « Tu la sens ma grosse b… bis« , au choix du lecteur.

Externat, stage de gastro.

– Mon chef de service : « Tiens, cet après-midi, tu devrais passer voir le type de la 18. Il a un foie métastatique très palpable, on sent super bien le bord inférieur et les métas. J’en ai parlé à Toncollègue1 et Tacollègue2, ils sont allés voir tout à l’heure, ils l’ont bien senti »
– Heuuu…..
– Quoi, « Heu » ?
– Bin c’est pas mon patient, quoi. Je m’en occupe pas.
– Oui, je vois, et quand c’est pas tes patients, ça t’intéresse pas, c’est ça ? Tu t’occupes des chambres 1 à 12 et faut pas te demander de pousser jusqu’à la 18 ?
– Bin non, mais heu… Enfin, jveux dire… Enfin, tu vois….
– Je vois quoi ?
– Non, rien, oublie, c’est compliqué.

Qu’est ce que tu vois ??
Tu vois la scène ?

Bonjour Monsieur ! Paraît que vous avez un super cancer trop génial, ça vous embête pas si je suis la troisième inconnue de la journée à surgir dans votre chambre d’agonie pour coller mes mains sur votre ventre ?
J’en ai pour deux minutes, hein, je sens votre grosse b. , je hoche la tête, je dis au revoir et vous ne me reverrez plus, ne vous inquiétez surtout pas.

Je n’y suis pas allée, mon chef m’a prise pour une tire au flanc jusqu’à la fin du stage, et je n’ai jamais plus eu l’occasion de palper un foie métastatique jusqu’à maintenant.
Reste à espérer que quand ça arrivera à un de mes patients, je sentirai qu’il y a quelque chose qui cloche au bout de mes doigts.

Super-Externe

30 novembre, 2007

Les ambulances, à part ramener chez eux des gens qui ont consulté à trois heures du mat pour une vague douleur qui dure depuis deux semaines, servent aussi à assurer le transport des malades d’un hôpital à l’autre. Quand on a besoin d’examens qu’on ne peut pas faire sur place, par exemple.

Et, si le patient est un peu lourd, la présence d’un « membre du corps médical » est exigée à bord.
C’est à dire qu’il faut quelqu’un pour s’occuper de lui s’il est susceptible de lui arriver quelque chose. Comme bien sûr, on ne va pas mobiliser un vrai médecin pour se coltiner 20 minutes de transport, une à deux heures d’attente sur place le temps que l’examen se fasse, 40 minutes d’attente des ambulanciers pour le trajet retour, et 20 nouvelles minutes de transport, on y colle l’externe. Quatrième à sixième année de médecine, soit deuxième à quatrième année d’hôpital.

Et dans « quelque chose », tout est possible.
Si le patient est sous oxygène, et si en passant un dos d’âne le tuyau d’oxygène se décroche, il faut un « membre du corps médical » pour prendre le bout de tuyau et le clipser sur l’embout de la bouteille d’oxygène.
Si un patient va très mal, il faut un « membre du corps médical » pour assurer la prise en charge immédiate. Genre, s’il fait un arrêt cardiaque, il faut un externe pour crier très fort « Au secoooours ! Au secoooours ! Je sais pas comment on faaaaait ! »

Pendant mon stage, je m’occupe d’un patient très lourd, au sens premier du terme. Il pèse 160 kilos.
– Comme il vient pour rectorragies (= sang dans les selles = plein de diagnostics plus ou moins graves possibles), il faut lui faire plein d’examens.
– Comme c’est toujours compliqué, on ne peut pas lui faire les examens sur place. Soit parce qu’on n’a pas du tout de quoi les faire, soit parce que le matériel qu’on a pour les faire ne supporterait pas ses 160 kilos.
– Comme il pèse 160 kilos, il doit voyager en « lit », et non en « brancard ».
– Comme il doit voyager en « lit », il doit être accompagné par un « membre du corps médical« .

Là, quand même, je m’interroge.
Parce que je suis à mi-temps à l’hôpital, et que si je dois l’accompagner partout, je suis partie pour une semaine de trajet en ambulances. Et avec un examen par jour, 4 heures d’ambulance et de salles d’attente par examen, ça s’annonce très formateur.
Que mes 5 années de médecine soient hautement indispensables pour brancher un tuyau ou pour crier au secours, soit.
Mais quel rapport avec le lit ??

Ah, m’explique-t-on.
C’est que les lits n’ont pas les dimensions qui collent avec les rails de l’ambulance.
Donc, ils ne sont pas bien fixés.
Un jour, lors d’une accélération un peu brutale, un lit est parti en arrière, a défoncé les portes de l’ambulance et s’est retrouvé sur la voie publique.
Depuis, les ambulanciers ont exigé, et obtenu, une clause qui précise qu’un « membre du corps médical » doit accompagner tous les trajets en lit.

Très bien très bien.
Bon, faisons le point sur ce qu’on attend de moi.
–> Si le tuyau se débranche, je rebranche le tuyau.
–> Si le patient fait un accident grave, je panique et je crie Au secours-Au secours.
–> Si le lit se décroche, je sors mes supers-biceps de super-externe, et je le rattrape à la volée.

C’est bien ça ?